Je n'ai pas de vision globale sur cette question, mais je peux vous donner des exemples de passages d'un système à l'autre et de leur impact sur la participation des femmes au marché du travail.
Nous venons de voir la différence, liée notamment au système par foyer fiscal, du taux d'imposition du second apporteur de revenu, dont nous pouvons supposer qu'elle peut avoir un impact sur la participation des femmes au marché du travail. Dans le même temps, il y a, comme vous l'avez dit, beaucoup d'autres éléments. Les possibilités de modes de garde vont évidemment jouer énormément, mais l'intérêt porté à certains métiers, à une carrière, à une activité, peut aussi avoir une grande importance.
Nous avons essayé de mesurer, parmi toutes les motivations pour retourner ou non sur le marché du travail, l'impact de l'imposition commune.
Différentes études ont été menées sur cette question. Je vais vous présenter très rapidement les cinq études que je connais.
Quatre d'entre elles ont analysé une transition, dont deux dans un sens, avec les États-Unis et la République tchèque, qui sont passés du système d'imposition individuelle à l'imposition jointe, respectivement en 1948 et en 2005. Les deux autres études ont analysé deux transitions dans le sens inverse, avec la Suède et le Canada, qui sont passés, en 1971 et 1988, au système d'imposition individuelle.
L'objectif des auteurs de ces études était de comparer, avant et après la réforme, les différences de taux de participation des femmes mariées au marché du travail par rapport à la façon dont la réforme les impactait. Il s'agissait de savoir si une forte augmentation du taux d'imposition modifiait, en moyenne, la participation au travail des femmes les plus touchées.
Aux États-Unis, par exemple, on a comparé des femmes mariées dans différents États, sachant que ces femmes ont été touchées différemment en raison de législations étatiques initiales qui ont fait que la réforme a changé les taux différemment selon les États.
Cette étude conclut, notamment sur le haut de la distribution des revenus, à un effet sensible, que l'on peut traduire par deux points de participation en moins, dans une société, certes, différente, en 1948, de celle d'aujourd'hui. Deux points, ce n'est pas un changement du tout au tout, mais ce n'est pas négligeable.
On retrouve en Suède, en 1971, avec le passage au système d'imposition individuelle, un effet un peu plus fort, mais toujours de l'ordre de quelques points de participation au marché du travail et principalement sur le haut de la distribution des revenus. L'étude concernant la Suède a comparé la situation de femmes dont les maris avaient des revenus différents. En passant de l'imposition jointe à un système individuel, les femmes mariées à des hommes aux revenus élevés et qui, de ce fait, étaient fortement taxées, ont davantage bénéficié de la réforme que celles qui étaient mariées à des hommes ayant des revenus plus faibles. Dans ce cas de figure, l'effet de la réforme, sur le haut de la distribution, se traduit par quelques points de participation en plus.
Même chose pour le Canada, qui est passé à l'imposition individuelle en 1988. Compte tenu de la manière dont sont présentés les résultats, il est plus difficile d'avoir une interprétation de l'ordre de grandeur, mais les effets sont, là aussi, assez forts et représentent probablement plusieurs points de participation en plus.
Enfin, pour ce qui est de la République tchèque, qui est passée à l'imposition jointe en 2005, l'étude conclut à environ trois points de participation en moins.
Il s'agit, à chaque fois, de chiffres relativement comparables. Certes, ils peuvent différer parce que les situations, le contexte, les impôts sont différents, mais on n'aboutit pas à un changement radical qui entraînerait tout à coup une très forte ou une très faible participation. Pour autant, les différences sont assez sensibles, de l'ordre de plusieurs points de participation.
Le problème, avec ce type de méthode, c'est qu'elle ne porte que sur les couples du haut de la distribution des revenus.
Le système d'imposition français présente l'intérêt de comporter des tranches assez basses. J'ai essayé d'avoir un autre regard, en utilisant la méthode dite de régression par discontinuité, laquelle consiste à observer la place où se situent les couples dans le barème de l'imposition des revenus, en ne retenant que les revenus du patrimoine et les revenus du mari, avant que le conjoint décide ou non de travailler.
En bas de la tranche ou un peu plus haut, le taux moyen du conjoint ne changera pas beaucoup.
Mais si l'on s'approche de la tranche supplémentaire, on a assez rapidement une très forte variation du taux moyen. L'idée est de voir, parallèlement aux périodes plates et aux périodes de fortes variations du taux moyen qu'on observe au fur et à mesure qu'on avance dans le barème de l'impôt, s'il y a aussi des discontinuités dans les taux de participation des femmes à l'approche de ces tranches du barème. On peut raisonnablement penser que le phénomène est lié aux discontinuités dues au barème de l'impôt, et donc, au quotient conjugal.
On observe un impact assez important en haut de la distribution, tandis qu'au milieu, milieu « haut », il n'y en a plus, ce qui peut s'expliquer notamment par le fait que le choix repose sur d'autres motivations et que l'imposition ne joue qu'à la marge.
On observe, en revanche, un effet très fort en bas de la distribution des revenus, notamment autour de l'ancienne première tranche. Une des raisons possibles de cet impact très fort en bas, c'est probablement que, lorsqu'on passe la première tranche, on ne perd pas seulement 5,5 % de la part des revenus qui dépassent la première tranche, on perd aussi le statut de non-imposable, qui ouvre droit à d'autres allocations, d'autres aides, notamment locales. Cela crée un effet de seuil très fort, qui peut expliquer qu'en bas de la distribution des revenus, l'effet du quotient conjugal redevienne relativement fort.