Intervention de Clément Carbonnier

Réunion du 4 octobre 2016 à 16h15
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Clément Carbonnier, codirecteur de l'axe « Politiques socio-fiscales » du Laboratoire interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques, LIEPP de Sciences Po, maître de conférences en économie à l'université de Cergy-Pontoise, et chercheur au laboratoire THEMA :

Il faudrait pouvoir tout prendre en compte, c'est-à-dire l'ensemble des aides, pas seulement l'impôt sur le revenu.

Vous m'avez interrogé sur la constitutionnalité du quotient conjugal. Je me suis forgé une interprétation en examinant les décisions du Conseil constitutionnel. N'étant pas un spécialiste de droit constitutionnel, j'en ai parlé avec des collègues juristes, qui m'ont plutôt conforté dans mon interprétation.

L'idée de rapprocher la notion de quotient conjugal, ou de fiscalité jointe, de principes constitutionnels, résulte principalement de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, aux termes duquel « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »

C'est l'interprétation des termes « en raison de leurs facultés » qui fait que l'impôt doit être calculé en fonction des facultés contributives, lesquelles peuvent dépendre de la composition familiale etc.

Dans sa décision du 29 décembre 2012, un paragraphe illustre l'interprétation qu'en donne le Conseil constitutionnel. Il indique avoir censuré la taxe à 75 % pour différentes raisons, mais pas parce que le quotient conjugal avait valeur constitutionnelle. Il précise que, pour respecter les exigences de l'article 13 de la Déclaration de 1789, le législateur n'est pas obligé de tenir compte du foyer fiscal. Et, comme cela a été précédemment rappelé, il n'est pas obligé d'organiser un dispositif de quotient familial s'il a prévu d'autres dispositifs permettant notamment de prendre en compte les capacités contributives des contribuables.

L'idée est que le législateur doit prendre en compte les capacités contributives, mais qu'il a le choix de la manière dont il le fait. Ce qui nous ramène à la question de la globalité du système de taxes et transferts. Pourquoi, en effet, se focaliser sur l'impôt sur le revenu ?

Quand, dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, on parle de « l'entretien de la force publique » et des « dépenses d'administration », il s'agit de dépenses publiques très faibles en proportion du produit intérieur brut (PIB) et, évidemment, très faibles au regard des dépenses d'aujourd'hui, y compris si on les compare aux pays de l'OCDE qui ont la plus faible part de dépenses publiques dans le PIB. À l'époque de la Déclaration des droits de l'homme, les dépenses publiques étaient infiniment moindres. D'ailleurs, il n'est question que de « l'entretien de la force publique » et des « dépenses d'administration ».

Aujourd'hui, les dépenses publiques, ce sont aussi les allocations, les incitations, les aides, la redistribution, ce qui n'était pas pensable à l'époque.

Si l'on réinterprète l'article 13, certes, « une contribution commune est indispensable », mais aujourd'hui, les prélèvements obligatoires, c'est bien plus qu'une contribution !

On pourrait réinterpréter l'article 13 de la façon suivante.

Dans son système de taxes et transferts, l'État doit prendre en compte les facultés contributives. Pourquoi, en effet, se focaliser sur l'impôt sur le revenu, qui ne représente, dans les chiffres du projet de loi de finances pour 2016, que 7 % environ des prélèvements obligatoires, ce qui est relativement faible ? Pour ce qui est de l'équité, il faut prendre en compte l'ensemble des taxes et transferts. Sachant que, individuellement, les dispositifs peuvent avoir des impacts incitatifs. Rechercher l'équité à l'intérieur de chaque dispositif, individuellement, quelle que soit la conséquence incitative, peut multiplier les effets défavorables en termes d'incitation, sans pour autant avoir, au niveau global, l'effet d'équité recherché.

Je pense à un exemple assez parlant en la matière. Il s'agit d'un article paru en début d'année dans la revue Économie et Statistique, dans lequel nos collègues simulent les impacts redistributifs de l'ensemble de la politique familiale française : ce qui passe par les impôts, donc par l'impôt sur le revenu, mais aussi par la modulation de la taxe d'habitation en fonction de la composition familiale, ainsi que par les allocations directes, avec les allocations familiales, le complément familial, la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE), les parts modulées en fonction de la composition familiale de l'aide au logement etc.

Dans cet article, nos collègues ont essayé de tout cumuler pour voir combien on donnait aux familles en fonction de leur niveau de revenu, par déciles. Ils ont trouvé des différences au niveau de la composition familiale. Par exemple, on donne plus par enfant à un célibataire qu'à un couple. En revanche, l'article montre que chaque dispositif individuel a des effets redistributifs, mais que l'effet global est une distribution plate.

On peut donc s'interroger sur le fait de penser, en termes d'équité, dispositif par dispositif plutôt que de les envisager dans leur globalité, et sur les effets incitatifs de chacun des dispositifs.

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