Je suis heureuse d'être devant vous pour cette audition qui témoigne de l'importance des relations entre l'Autorité de la concurrence et le Parlement, relations qui se sont développées et enrichies au cours de la période récente.
Ma formation initiale a porté sur la gestion d'entreprise. J'ai souhaité ensuite rejoindre le service de l'État car j'étais passionnée par les politiques publiques et voulais servir l'intérêt général.
Au cours de ma carrière, j'ai pratiqué les différents aspects du droit : la rédaction de textes juridiques ; le contentieux, auquel j'ai consacré plusieurs années – y compris dans la fonction de juge des référés, fonction qui s'est développée au Conseil d'État ; le droit comme élément de l'action publique au sein du ministère de la culture et du ministère de l'écologie.
Comme présidente de chambre au sein du Conseil d'État, j'avais la responsabilité d'une chambre spécialisée dans des contentieux relatifs à l'environnement, à l'urbanisme, aux professions réglementées, à la justice et aux contentieux financiers. Cette chambre traite de 700 à 1 000 dossiers par an ; mon rôle était d'animer le travail du greffe et des magistrats afin que ces dossiers soient traités le mieux possible et dans des délais réduits.
En tant que directrice des affaires juridiques au ministère de l'écologie, j'ai eu à suivre l'élaboration de plusieurs lois importantes comme la loi Grenelle 2 et aussi des lois dans lesquelles l'ouverture à la concurrence était très présente, telle la loi relative à la nouvelle organisation du marché de l'électricité ou encore la loi relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires.
J'ai aussi développé des intérêts plus sectoriels ; je me suis ainsi intéressée de longue date au secteur de la presse écrite et des radios au ministère de la culture et aussi, tout récemment, au sein de l'Autorité de régulation de la distribution de la presse, autorité administrative indépendante qui a eu à traiter de questions délicates étant donné la crise que traverse la presse écrite, domaine dans lequel les préoccupations relatives à la préservation de la concurrence étaient extrêmement importantes. Enfin, comme membre de l'Autorité de la concurrence depuis deux ans, j'ai participé à des décisions couvrant toute la palette des pouvoirs de l'Autorité : décisions de répression d'entente et d'abus de position dominante, décisions sur des opérations de concentration – dans le cas du rapprochement entre FNAC et Darty par exemple – ou encore avis, notamment celui qui a été rendu sur les professions réglementées avant le vote de la loi du 6 août 2015.
Au terme de cette première période d'expérience professionnelle, j'ai acquis certaines convictions que j'aimerais mettre au service de l'Autorité de la concurrence. Je crois tout d'abord que le traitement des dossiers complexes appelle une grande rigueur dans l'analyse des faits et du droit mais qu'il faut aussi savoir innover. Je me suis souvent nourrie, dans ma pratique, du droit comparé et du dialogue avec les professionnels concernés. Il est important d'être toujours attentif aux changements juridiques, économiques et technologiques.
Je crois aussi profondément aux valeurs d'indépendance et d'impartialité. C'est aussi ce qui m'a attirée dans le métier de juge. Pour tout responsable public, c'est un exercice quotidien de chercher à prendre des décisions en se gardant de tout préjugé, de tout a priori, et en étant guidé avant tout par des considérations relatives à la loi et à l'intérêt général.
Ma troisième conviction est qu'à plusieurs on décide souvent mieux que seul. J'ai pratiqué assidûment la décision collégiale dans mes fonctions juridictionnelles et au sein de l'Autorité de la concurrence. L'une des chances de l'Autorité est d'avoir un collège particulièrement riche de compétences aux profils très divers. On constate combien chacune des voix qui composent l'Autorité contribue à ce que la décision rendue soit pertinente sur le plan économique et de l'opportunité.
Le quatrième principe auquel je suis très attachée est que lorsqu'on prend une décision, il importe de tenir compte des difficultés d'application. Cela impose de parvenir à des décisions claires et qui puissent être mises en oeuvre. Il faut aussi prendre le temps d'expliquer la décision pour justifier ses choix auprès de ceux qu'elle concerne.
Enfin, je suis convaincue que les missions de l'État sont toujours légitimes aujourd'hui, mais que l'État a un devoir d'adaptation. Les entreprises sont en permanence soumises à des contraintes d'adaptation très rapides, où se joue souvent leur existence ; l'État doit et peut se réformer en permanence, s'interroger sur ses missions pour définir si elles sont toujours pertinentes et s'il doit les exercer en changeant, le cas échéant, ses méthodes de travail.
Quelle est ma conception de la concurrence et ma vision du rôle de l'Autorité ? Je crois profondément à la nécessité de la concurrence. Elle fixe des règles indispensables au bon fonctionnement du marché : de même qu'une société ne peut vivre sans règles communes, l'économie a besoin de règles du jeu claires et d'un arbitre pour les faire respecter. C'est la condition pour que chaque entreprise puisse être jugée selon ses mérites et non en vertu d'avantages acquis. La concurrence n'est pas l'ennemie des entreprises ; elles la perçoivent parfois comme une contrainte, mais c'est aussi une opportunité pour elles de pouvoir s'adresser à un marché libre et non faussé.
La concurrence a aussi pour vertu de permettre à société de se moderniser, d'inventer de nouveaux métiers, de nouveaux produits et services, dégageant ce faisant une valeur qui n'est pas strictement économique.
La concurrence n'est pas le seul objectif des politiques publiques. L'État doit en poursuivre bien d'autres – l'aménagement du territoire, la solidarité, le développement de l'industrie et de la recherche… Pour autant, la concurrence doit occuper une place importante dans les priorités publiques car elle permet de libérer les énergies et d'empêcher la captation des marchés par les acteurs en place.
L'Autorité de la concurrence est chargée de cette mission. Je souhaite, si cette responsabilité m'est confiée, préserver son efficacité reconnue, largement consacrée par le législateur, qui a, au cours des années récentes enrichi ses pouvoirs en lui donnant de nouvelles prérogatives. L'Autorité a aussi été très largement façonnée par M. Bruno Lasserre, à qui je rends hommage pour tout ce qu'il lui a apporté.
L'Autorité de la concurrence est aujourd'hui connue et visible. Peut-être peut-on encore agir pour faire partager la « culture de la concurrence », notamment auprès des PME, qui ne perçoivent pas toujours ce que l'Autorité peut leur apporter, qu'il s'agisse de l'accès au marché ou de la libération des contraintes auxquelles elles sont soumises.
Je passerai rapidement en revue les grands champs d'action de l'Autorité.
Dans les dossiers de concentration, l'Autorité intervient souvent et dans des délais assez contraints ; elle doit continuer d'être très attentive aux spécificités du marché concerné. C'est ce qu'elle fait lorsqu'elle statue sur des rapprochements dans le secteur agricole. C'est aussi ce qu'elle a fait dans sa décision relative au rapprochement entre FNAC et Darty, innovant en tenant compte, pour la première fois en Europe, non seulement des ventes en magasins mais aussi des ventes en ligne.
S'agissant de la répression des pratiques anti-concurrentielles l'Autorité doit préserver ses facultés d'investigation et continuer à travailler en bonne harmonie avec le ministère de l'économie, qui lui transmet des indications sur les enquêtes qu'il mène de son côté. Lorsqu'on évoque l'aspect répressif de l'action de l'Autorité, on parle souvent des sanctions importantes qu'elle inflige – Mme la présidente y a fait allusion à l'instant. Je considère que des sanctions d'un montant élevé sont justifiées lorsque des pratiques anti-concurrentielles ont causé un dommage très important à l'économie pendant plusieurs années et que l'opérateur en a retiré des profits. Mais, dans une pratique constante au cours des années récentes, l'Autorité tient compte des difficultés des entreprises et sait adapter la sanction qu'elle inflige pour ne pas mettre en péril la survie de l'entreprise.
L'Autorité a aussi un pouvoir d'avis et de recommandation, rôle grandissant depuis la réforme de 2009. Des études sont en cours, dont l'une, sectorielle, sur les audioprothèses, sera rendue publique à la fin de l'année. L'Autorité de la concurrence a un rôle fondamental à jouer comme lieu de réflexion ouvert à tous, permettant de larges consultations des acteurs politiques, économiques et de la société. Dans la période récente, l'Autorité a pu favoriser des évolutions ou contribuer à les dépassionner. On l'a vu pour la délicate question des voitures de transport avec chauffeur (VTC) et pour le développement du marché du transport inter-régional par autocar, décidé par le législateur sur proposition de l'Autorité. Les réformes de ce type me paraissent particulièrement porteuses d'avenir en ce qu'elles permettent de développer la croissance et les emplois – c'est assez manifeste pour le secteur du transport par autocar – mais aussi d'offrir des nouveaux services aux consommateurs pour des demandes de transport auxquelles il n'était pas répondu précédemment.
L'action de l'Autorité sur les plans européen et international a pris une grande importance. Elle doit continuer de s'investir dans le réseau européen de concurrence et dans le réseau international de concurrence. C'est ce qui lui permettra notamment de traiter les sujets numériques, pour lesquels j'aurai une attention toute particulière si les fonctions de présidente de l'Autorité me sont confiées. L'Autorité, qui a été en pointe à ce sujet, doit continuer d'être très vigilante et active, singulièrement au sujet du fonctionnement des plateformes numériques, qui structurent désormais l'économie et peuvent acquérir des positions fortes sur lesquelles il est difficile d'agir ensuite. Nous avons connu l'année dernière un très beau succès : grâce à l'action conjointe de la France, de la Suède et de l'Italie, les pratiques des plateformes de réservation hôtelière ont fini par être modifiées dans l'ensemble de l'Espace économique européen. Cette manière de procéder permet donc l'efficacité, y compris face à des acteurs mondiaux.
Dans les années à venir, l'Autorité devra continuer d'exercer sa vigilance à l'endroit de la grande distribution. Elle a rendu un avis important en 2015 sur les rapprochements entre centrales d'achat et depuis la loi du 6 août 2015 elle dispose d'un outil nouveau : les enseignes qui engagent une telle démarche sont désormais tenus de l'en informer.
Pour les concessions autoroutières, l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) dispose également d'outils nouveaux et l'Autorité de la concurrence pourra examiner d'un oeil attentif le respect des obligations nouvelles.
Enfin, je pense qu'un organisme tel que l'Autorité de la concurrence concourt à l'attractivité de l'économie française. L'existence d'un système juridique et institutionnel protégeant les entreprises en faisant respecter des règles du jeu équitables est un élément important de la décision des entreprises en passe de choisir l'État dans lequel elles vont s'implanter. C'est aussi pourquoi, dans les fonctions qui me seront peut-être confiées, je souhaite préserver l'efficacité de l'Autorité de la concurrence et lui permettre de traiter les défis qui se présentent à elles.