Plusieurs questions ont porté sur l'organisation interne et les pouvoirs de l'Autorité de la concurrence. La clémence de l'Autorité est accordée aux entreprises qui coopèrent avec elle. Cette procédure très utile permet de mettre au jour ententes, cartels et pratiques restrictives de concurrence qu'il serait extrêmement difficile de déceler sans cela. Elle a notamment été utilisée dans une affaire concernant le secteur des messageries, qui a abouti à des sanctions très élevées. La transaction, nouvelle procédure issue de la loi du 6 août 2015, sera un autre élément utile, permettant à l'Autorité de continuer à faire face à ses missions.
J'aurai, sur les moyens budgétaires et humains, une position très ferme, car l'Autorité ne doit pas être victime de son succès. On lui a confié récemment d'importantes prérogatives nouvelles qui demandent des instructions très approfondies ; c'est le cas, notamment, pour ce qui touche aux tarifs des professions réglementées, et cela a conduit l'Autorité à créer un service spécifique et à recruter. Une autre préoccupation tient au fait qu'au regard des moyens considérables dont disposent les « mastodontes » mis en cause pour assurer leur défense contentieuse, ceux de l'Autorité peuvent parfois sembler limités. Vous pouvez donc compter sur moi pour appeler l'attention du Parlement si j'estime les moyens budgétaires de l'Autorité insuffisants. Des efforts ont déjà été faits pour les deux derniers exercices ; ils devraient permettre de faire face aux nouvelles missions, mais ce ne sera peut-être pas facile. Je serai aussi attentive à envisager des réformes qui pourraient nous donner des moyens supplémentaires ou des moyens de traiter différemment les dossiers dont nous avons la charge si j'estime qu'il est nécessaire d'en passer par une évolution législative.
L'Autorité de la concurrence française a été leader au sujet du numérique. Il faut rester très présent dans ce domaine. Le droit existant et une Autorité nationale peuvent-ils faire face à ce défi, quand certains considèrent que les géants de l'internet sont bien plus puissants que les États ? On peut s'interroger. Le réseau européen de concurrence est une force et je suis heureuse que vous ayez mentionné l'étude relative au Big Data réalisée avec notre homologue allemande. Les Autorités nationales doivent agir de concert. Cette étude très intéressante dessine la cartographie des risques pour la concurrence et dresse la liste des enjeux économiques de la collecte du Big Data, qui concernent, outre le secteur numérique, les secteurs financier et industriel. L'étude nous donne des clefs d'analyse majeures pour traiter ces sujets.
Je pense aussi que, pour certains dossiers, la Commission européenne choisira d'agir et s'appuiera sur les Autorités nationales : il se produit qu'elle nous demande de procéder à des investigations pour nourrir ses propres dossiers contentieux. La Commission européenne et la directrice générale de la concurrence sont très occupées par ces questions ; j'entends les rencontrer très prochainement pour définir des dossiers à traiter en priorité et montrer notre détermination à ne pas laisser des acteurs du secteur numérique bloquer complètement un marché et verrouiller l'accès à des infrastructures essentielles pour notre économie. Je serai très vigilante sur ce point.
L'Autorité s'intéresse de très près aux centrales d'achat et, plus généralement, à la grande distribution. Ce n'est pas toujours visible, mais elle traite des concentrations qui lui sont soumises et elle demande très fréquemment des engagements ou des cessions d'actifs pour éviter que ne se créent des monopoles locaux. Dans l'avis relatif au rapprochement des centrales d'achat et de référencement dans le secteur de la grande distribution qu'elle a rendu en 2015, l'Autorité définit la cartographie précise des risques concurrentiels à l'aval mais aussi à l'amont, vis-à-vis des fournisseurs qui pourraient se trouver en état de dépendance économique du fait de ces rapprochements. Il est vrai que, le nombre d'acteurs étant désormais extrêmement restreint, ces rapprochements posent question tant du point de vue des fournisseurs que de celui des clients. Nous avons dressé la liste des risques possibles.
Vous avez évoqué le fait qu'en raison de leur différence relative de poids et d'influence, les PME n'osent pas toujours affronter les grands distributeurs. Nous souhaitons vivement que les entreprises nous signalent les difficultés qu'elles rencontrent, car si nous n'avons pas de cas précis à examiner il nous est difficile d'agir. Nous entendons être extrêmement vigilants. À cet égard, il me paraît justifié que la DGCCRF, forte de son réseau territorial, soit très présente au niveau local pour faire remonter les difficultés dont elle a connaissance.
Il faut appliquer aux centrales d'achat le nouveau cadre législatif qui fait obligation aux distributeurs de notifier tout rapprochement à l'Autorité de la concurrence et suspend l'application de l'accord pendant deux mois ; vous savez que, lors de la campagne précédente, l'une des difficultés tenait à ce que le rapprochement était intervenu en pleine période de négociation avec les fournisseurs. Nous ferons le bilan de ce dispositif et mesurerons s'il est assez efficace.
Comme cela a été signalé, ce sujet est lié à celui de l'abus de dépendance économique. Chacun comprend à quoi correspond cette pratique mais, depuis quelques années, les dispositions législatives tendant à la réprimer n'ont pas toujours semblé parfaitement efficaces, la jurisprudence ayant posé des conditions extrêmement fermes à leur mise en oeuvre. Des travaux législatifs étant en cours à ce propos, l'Autorité de la concurrence, attachée à ce qu'une disposition à ce sujet ne soit pas seulement inscrite formellement dans le code de commerce mais qu'elle puisse être mobilisée par les entreprises, a formulé des suggestions en ce sens.
Je suis très favorable à ce que la CEPC saisisse l'Autorité puisque celle-ci nourrit son action des saisines et des indications remontant du monde économique et des consommateurs. Nous sommes toujours très attentifs aux saisines émanant des associations de consommateurs, mais le consommateur n'est pas toujours suffisamment représenté, faute que ces associations aient des moyens suffisants. L'Autorité s'est prononcée récemment, sur une saisine de l'association Consommation, logement et cadre de vie (CLCV), sur le fonctionnement du marché du foncier. Au sein du collège de l'Autorité siègent des représentants des consommateurs. Les élus doivent eux aussi faire remonter à l'Autorité les difficultés dont ils ont à connaître.
L'Autorité s'est souvent prononcée au sujet des marchés agricoles. Les lignes fortes de ses propositions sont connues ; elles ont notamment trouvé leur traduction dans l'avis relatif au fonctionnement du secteur laitier. L'Autorité s'était attachée à mettre en lumière les difficultés dues aux rémunérations respectives des producteurs et des distributeurs. Dans ses décisions, l'Autorité prend en compte les spécificités du secteur agricole. Elle le fait lorsqu'elle statue en matière de concentration mais aussi en matière de pratiques restrictives de concurrence car elle a bien conscience que les producteurs sont dans une situation particulière eu égard au caractère cyclique de la production et au fait qu'il s'agit de produits périssables, tous facteurs qui les placent dans une situation plus difficile que pour d'autres. La préconisation générale de l'Autorité est que les producteurs se regroupent ; ils sont plus forts lorsqu'ils sont réunis dans des structures transparentes, officielles et clairement identifiées comme telles ; tout ce qui peut s'apparenter à des ententes occultes n'étant évidemment pas en odeur de sainteté. Dans l'avis relatif au fonctionnement du secteur laitier, nous avons préconisé un rassemblement, sous différentes formes, afin que les producteurs puissent récupérer une partie de la valeur issue de leur production et qu'elle ne soit pas simplement engrangée par le circuit de distribution. Nous sommes attentifs aux initiatives en la matière.
De même, dans sa récente décision relative à certaines pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la commercialisation de la viande de volaille, l'Autorité a préconisé, et accepté en alternative à des sanctions qui auraient pu être infligées pour des montants plus importants, que la filière avicole s'engage à se structurer. L'Autorité recommande ces rapprochements et favorise leur mise en oeuvre.
Le cadre européen est-il adapté aux préoccupations des filières agro-alimentaires ? Je tiens à rappeler que l'Autorité de la concurrence a oeuvré pour que la Commission européenne prenne mieux en compte les spécificités de l'agriculture, desserre certaines contraintes inadaptées à ce secteur et facilite les formes d'organisation de marché qui permettent de remédier quelque peu aux déséquilibres constatés.
Le réseau européen de concurrence existe depuis une douzaine d'années. Il fonctionne de manière très satisfaisante et l'Autorité de la concurrence française y joue un rôle très actif. Une nouvelle phase s'annonce ; il s'agira de mettre à niveau certaines Autorités nationales dont la Commission européenne considère les pouvoirs insuffisamment effectifs et les capacités d'intervention insuffisamment dissuasives. Un projet, qui pourrait se traduire par une directive, est en cours d'élaboration ; il vise à définir un socle commun permettant que toutes les Autorités de la concurrence européennes soient aussi efficaces que l'est l'Autorité française. Celle-ci participera à l'élaboration de ces normes et poursuivra, d'autre part, ses échanges quotidiens dans le cadre du réseau européen.
Le système européen de concurrence me paraît devoir aussi être vanté en ce qu'il met en oeuvre une réelle subsidiarité. La Commission européenne peut sous-traiter à l'Autorité nationale des affaires qui pourraient relever de son domaine ; elle le fait souvent avec l'Autorité française, en qui elle a confiance. C'est un élément important que le droit européen puisse aussi être appliqué au niveau local et pas seulement au niveau d'instances supranationales telles que la Commission européenne. Les relations de travail sont très confiantes.
Mme Jeanine Dubié a mentionné la place particulière des autorités administratives indépendantes dans le paysage législatif. L'Autorité de la concurrence a montré que ce statut, qui n'est pas une fin en soi, est très adapté pour cette prérogative particulière ; cela ne signifie pas que l'Autorité n'est pas comptable de son action devant le Parlement.
L'indépendance de l'Autorité est-elle réelle ? Elle est largement garantie par les textes qui la régissent et qui structurent très nettement les rôles respectifs du rapporteur et du collège. On voit aussi que, dans les nominations des membres du collège, toutes les qualités et compétences diverses ont été recherchées, de manière que des points de vue divers s'expriment. L'Autorité n'est pas monocolore, mais son collège est composé de personnalités qui connaissent bien l'économie et qui ont une connaissance concrète de ces questions. Pour l'Autorité de la concurrence, le statut d'autorité administrative indépendante est pertinent.
M. André Chassaigne a insisté sur la mission de conseil de l'Autorité, singulièrement pour éclairer la place respective du droit national et de la contrainte européenne. Il est important de rappeler qu'une part des réformes qui ont conduit à l'ouverture à la concurrence de plusieurs secteurs correspondait à la mise en oeuvre du droit européen mais qu'une autre part relevait de choix nationaux. Le citoyen doit avoir conscience de ce qui relève du mouvement européen d'harmonisation et d'ouverture à la concurrence et de ce qui relève du choix national. Des choix ont été faits sans certains domaines – en matière ferroviaire ou d'énergie – sur lesquels l'Autorité a eu à se prononcer, et il est arrivé qu'elle préconise des solutions autres que celles qui ont été retenues. Ce faisant, elle était dans son rôle puisque sa préoccupation était, pour le secteur ferroviaire notamment, que la concurrence se traduise effectivement par l'émergence de nouveaux acteurs. L'Autorité est souvent saisie de ce type d'interrogations ; elle s'attache toujours, dans ses avis, à faire oeuvre de pédagogie, en étant le plus objective possible dans ses constats et en distinguant nettement les propositions qui relèvent de son analyse particulière.
Quelles actions mener à l'endroit des acteurs du numérique ? L'Autorité exerce sa vigilance sur les ventes en ligne. Ainsi, ayant été saisie par de petits acteurs de ce secteur qui se plaignaient que la SNCF s'employait à les empêcher de vendre des billets de train, elle s'est prononcée l'année dernière. Il en est résulté que la SNCF a pris des engagements. Cela montre que sur des sujets circonscrits, lorsque l'Autorité est saisie par des acteurs du secteur s'estimant victimes de pratiques anti-concurrentielles, on peut obtenir rapidement des changements effectifs. L'engagement, l'un des outils que l'Autorité utilise désormais très fréquemment plutôt que la sanction, permet d'aboutir à un changement des pratiques commerciales, notamment pour les ventes en ligne. Ce moyen est souvent bien plus efficace que ne le sont les sanctions financières.
L'articulation entre l'Autorité de la concurrence et la DGCCRF doit-elle être revue, et est-elle suffisante dans la répartition des affaires entre les deux organes ? Certains ont jugé que la réforme de l'Autorité de la concurrence, en 2009, était inaboutie en raison du partage des rôles avec le ministère de l'économie. Or l'architecture est satisfaisante. Le ministère est dans son rôle ; il a un pouvoir d'évocation, dont il fait un usage mesuré, et il fait remonter à l'Autorité ses propositions d'enquête et d'investigation. L'Autorité n'ayant pas de réseau territorial, c'est une grande chance pour le système français que des agents de la DGCCRF puissent constater, en tous lieux, des pratiques restrictives de concurrence et faire remonter leurs observations. La répartition des rôles est assez bien calée. L'Autorité ne se saisit d'affaires ou d'investigations que lorsqu'elle estime qu'une question de principe n'a pas encore été traitée sur laquelle elle juge important de se prononcer parce que le cas pourrait être transposé sur l'ensemble du territoire. Quand les agents du ministère relèvent des indices de pratiques anti-concurrentielles au niveau local et que la pratique décisionnelle et la jurisprudence sur cette pratique sont bien établies, l'Autorité laisse la DGCCRF poursuivre les investigations sans se saisir du dossier. Le dispositif actuel fonctionne bien mais l'on peut bien sûr réfléchir à d'autres systèmes ; je n'ai pas de point de vue sur le sujet à ce stade mais, si je suis nommée, j'en discuterai avec la directrice générale de la concurrence et le ministère pour apprécier si des réflexions doivent être menées à cet égard.
M. Lionel Tardy s'est inquiété du suivi de la décision relative aux clauses tarifaires imposées par les plateformes de vente en ligne de réservations hôtelières. L'Autorité, qui avait été saisie par des hôteliers s'estimant très pénalisés de ne pouvoir vendre les nuitées moins cher qu'aux tarifs publiés par ces plateformes, sera très vigilante sur le suivi des engagements pris. De plus, une étude européenne est en cours qui tend à déterminer si la modification des pratiques commerciales acceptées par Booking.com s'est traduite par une amélioration pour les hôteliers. L'Autorité s'assurera que les contraintes imposées aux hôteliers, qu'elle avait jugées injustifiées, ont été effectivement levées.
Il est vrai que le système de régulation est un peu différent en France et aux États-Unis. Pour les cartels, les Américains recourent moins aux sanctions financières que les Français ou les Européens, privilégiant l'emprisonnement des dirigeants des entreprises jugées coupables de telles pratiques… S'agissant des concentrations, des règles sont également appliquées.
Les Autorités de la concurrence ont beaucoup travaillé ensemble pour échanger des pratiques et développer des projets, aussi bien dans le cadre du réseau européen de concurrence créé à l'instigation de M. Bruno Lasserre que dans le cadre de l'International Competition Network. Une coopération étroite et utile a lieu avec l'Autorité américaine et avec d'autres Autorités en constitution. L'Autorité de la concurrence française a beaucoup aidé à la création d'Autorités dans des pays en développement ou émergents. C'est un volet intéressant de la coopération entre États et une manière d'exporter le modèle français de régulation de la concurrence. Il est important que les entreprises françaises, quand elles s'implantent à l'étranger, bénéficient de la même protection que sur le marché français pour ce qui relève du droit de la concurrence. Dans les négociations commerciales internationales en cours, c'est un enjeu sérieux que la France et l'Union européenne ne soient pas les seules à réguler la concurrence ; il pourrait bien sûr en résulter des distorsions, et l'on sait que certaines économies n'ont pas le même niveau de protection. À son niveau, l'Autorité de la concurrence française joue son rôle ; elle a des programmes de coopération assez poussés avec certains pays qui ont fait appel à elle pour former les responsables et réfléchir aux textes qui régiront leurs Autorités de la concurrence.