Intervention de Sophie Rohfritsch

Réunion du 12 octobre 2016 à 10h30
Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSophie Rohfritsch, présidente :

À la mi-septembre 2015, le scandale Volkswagen éclatait aux États-Unis. La révélation de l'installation dans les véhicules diesel commercialisés par différentes marques du groupe d'un logiciel de reconnaissance des situations de tests sur banc d'essai a constitué un véritable séisme. Il s'agit d'une fraude sans équivalent par son ampleur et sa dimension internationale de la part d'un groupe qui a atteint le premier rang mondial des constructeurs. Ce qu'il est communément admis d'appeler l'« affaire Volkswagen » ébranle l'industrie automobile mondiale, même s'il n'est pas question de suspecter a priori tous les constructeurs d'une même fraude.

Cette révélation venue d'outre-Atlantique affecte néanmoins la confiance des consommateurs envers l'industrie automobile dans son ensemble. Devant l'ampleur des conséquences de l'affaire Volkswagen, la Conférence des présidents a décidé de créer une mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale. Son cadre de réflexion dépasse le seul objet de la diésélisation du parc automobile français. La mission a donc orienté ses travaux dans une optique plus générale et prospective.

Sans prétendre à l'exhaustivité, un grand nombre d'acteurs de la filière, mais aussi des organisations non gouvernementales (ONG) et les organisations syndicales ont été entendus au long de quarante-deux auditions et de déplacements, notamment sur des sites industriels ou de recherche et développement (R&D). La Rapporteure, Mme Delphine Batho, a également multiplié les rencontres avec les représentants des constructeurs, équipementiers, promoteurs des nouvelles filières de motorisation, qu'elle soit électrique, au gaz naturel pour véhicules (GNV), au GPL, au biométhane ou autres biocarburants. Elle a également rencontré des représentants des activités de l'aval : entretien-réparation, financement de l'acquisition de véhicules utilitaires ou de sociétés, pièces détachées pour poids lourds et beaucoup d'autres professionnels.

En France, le secteur automobile emploie près de 540 000 salariés pour la construction et ses achats. Mais, au total, l'ensemble des activités directement ou indirectement liées à l'automobile et aux transports routiers représente près de 9 % de la population active avec 2,8 millions d'emplois. Le secteur constitue le premier pôle français de recherche et développement, des activités dont la mission d'information a tenu à souligner l'importance économique.

Il convient de souligner l'état d'esprit qui a présidé aux travaux de la mission d'information, permettant à ses interlocuteurs de s'exprimer très librement sur les sujets les plus sensibles.

Il apparaît qu'aucun expert, aucun dirigeant d'un groupe automobile ne peut aujourd'hui prédire quels seront les caractéristiques et le rythme d'évolution du parc automobile du futur. L'irruption du digital dans le monde automobile a ouvert une ère nouvelle : avec des véhicules d'ores et déjà massivement connectés, puis l'esquisse de ce qui demeure un saut dans l'inconnu avec l'émergence du véhicule autonome.

S'il donc n'est pas prouvé que d'autres constructeurs ont, comme Volkswagen, organisé un système érigeant la tricherie en principe d'action. Un doute s'est néanmoins installé. En témoignent les conclusions rendues le 29 juillet 2016, dans la discrétion de l'été, par la commission technique indépendante mise en place par Mme Ségolène Royal et chargée de tester quatre-vingt-six véhicules de vingt-quatre marques différentes. De façon inquiétante, cette commission « technique » officielle n'a pas été en mesure d'accéder aux logiciels de contrôle moteur désormais installés sur les véhicules, car il lui a été impossible d'accéder aux codes source ainsi qu'aux algorithmes mis en oeuvre. L'incapacité de la commission à déchiffrer le fonctionnement de véritables « boîtes noires » l'a amenée à conclure qu'elle « ne peut donc se prononcer définitivement sur la présence ou absence de logiciels “tricheurs” dans les véhicules testés » ! Au regard de cette conclusion plutôt floue faisant suite à des investigations dont on pouvait attendre plus, on s'interroge sur l'opportunité de la création de cette commission comme sur sa méthode de travail.

Aucun type de motorisation « propre » ou « zéro émission » n'est à même d'être généralisé à court ou moyen terme. Les moteurs essence ou diesel de nouvelle génération qui répondent à la norme Euro 6, la plus récente, émettent jusqu'à dix fois moins de polluants nocifs et de microparticules dangereuses pour la santé que les véhicules mis sur le marché il y a quinze ou vingt ans. En termes d'émissions, des progrès plus que significatifs ont déjà été réalisés. Certes, le transport routier demeure un des facteurs principaux de la pollution atmosphérique, notamment en ville, mais il ne peut être considéré comme son fait générateur exclusif ou même dominant.

Une meilleure connaissance de la diffusion puis de la dispersion des polluants résulte de l'implantation sur la majeure partie du territoire d'un réseau de surveillance de la qualité de l'air. Sur la base de relevés effectués sur de longues périodes, des travaux scientifiques ont pu quantifier les impacts épidémiologiques des principaux polluants. Les travaux les plus récents distinguent notamment les conséquences sanitaires de l'exposition chronique des populations à la pollution de fond, c'est-à-dire dans la durée, de celles résultant des pics de pollution, des épisodes journaliers souvent surmédiatisés mais dont les effets sanitaires sont moins probants. Il n'est cependant plus possible d'ignorer les données de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ou d'autres institutions à vocation scientifique, qui montrent la croissance des maladies chroniques et la surmortalité dues à la pollution atmosphérique. La mission d'information a constaté que les constructeurs ont, à présent, pleinement conscience d'un tel défi.

Dans ce contexte, on rappellera qu'un grand nombre de Français n'ont pas la possibilité de choisir leurs modes de mobilité. Toutes les études révèlent que, pour leurs trajets quotidiens, notamment « domicile-travail », une majorité d'habitants des zones suburbaines ou rurales est dans l'obligation d'utiliser un véhicule particulier. Prétendre « éradiquer » la circulation des véhicules considérés comme les plus polluants au travers d'une surtaxation ou, pire encore, d'une forme de pénalisation de leur usage, méconnaît la dimension sociale qui caractérise les impératifs de la mobilité.

Le renouvellement complet du parc circulant ne se réalisera d'ailleurs que de façon très progressive si on retient l'âge moyen d'un acheteur de véhicule neuf, qui ne cesse d'augmenter et dépasse aujourd'hui cinquante-trois ans, et la vitalité du marché de l'occasion, trois fois supérieur au marché du neuf en termes de transactions annuelles.

Par ses propositions, la mission d'information entend soutenir des pistes prenant en compte l'évolution des modèles d'usage de l'automobile. Cette évolution est déjà perceptible d'un point de vue sociétal avec l'adoption, notamment par les plus jeunes, de pratiques nouvelles – covoiturage, autopartage, location ponctuelle – qui les détournent de la possession individuelle d'un véhicule. Sans oublier que des raisons économiques, comme les coûts d'acquisition et d'entretien, pèsent de tout leur poids sur ce phénomène.

En tout état de cause, une refondation de la réglementation sur les tests d'homologation et les normes d'émissions des véhicules doit impérativement intervenir. Ce travail est engagé au sein de l'Union européenne. Il importe de rompre avec une certaine opacité et de définir des normes plus réalistes dont le respect s'accordera avec les différentes étapes d'une programmation industrielle. Chaque franchissement d'étape exigera des constructeurs des efforts considérables d'adaptation de leur outil de production. Cette réorientation industrielle est inéluctable. Pour le grand public, les normes d'émission et les tests d'homologation actuels ne sont absolument plus crédibles, non plus, et depuis longtemps, que les « données constructeurs » relatives à la consommation de chaque modèle mis sur le marché.

La filière automobile se trouve confrontée à des défis majeurs d'évolution technologique ainsi qu'à l'obligation de concevoir des véhicules en accord avec les évolutions d'usage désormais perceptibles et bien enclenchées, mais à des échéances et sur la base de modèles économiques qui restent incertains. Il lui revient de dépasser un cap dont l'ampleur est sans doute sans équivalent dans l'histoire de cette industrie. Les propositions de la mission visent ainsi à soutenir, dans le cadre d'une telle transition, tous ceux qui concourent à cette activité.

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