Intervention de Hervé Gaymard

Réunion du 12 octobre 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Gaymard, co-rapporteur :

Je voudrais revenir, dans un premier temps, sur l'histoire des quotas laitiers. Une organisation commune de marché sur le lait, qui reposait sur les prix garantis, a été mise en place au milieu des années 1960. Si les prix étaient au plus bas, il y avait des mécanismes de stockage pour garantir le revenu des éleveurs. Ce système a produit pourtant des surproductions : on se souvient des montagnes de lait congelées et de lait en poudre, du « beurre Noël », à la fin des années 1970. Une taxe de coresponsabilité laitière a été mise en place à ce moment-là. Ce fut d'ailleurs un des sujets de la campagne européenne de 1979. Mais le prix garanti devenait très coûteux pour l'Union européenne, d'où les quotas laitiers en 1984. Ceux-ci furent mal reçus par les organisations agricoles françaises. Mais ceux qui s'opposaient aux quotas laitiers sont devenus leurs meilleurs défenseurs.

Toutefois, les quotas laitiers ont commencé à être attaqués à la fin des années 1990 et c'est la raison pour laquelle, lors de l'accord de Berlin en 1999, leur suppression a été actée, à l'horizon 2007. En 2003, lors de la réforme anticipée de la PAC au Luxembourg, nous avons obtenu, dans un paquet global, de décaler à 2015 la suppression des quotas, pour laisser douze ans à la filière pour s'organiser.

Les pays n'avaient pas tous la même position. L'Allemagne, l'Europe du Nord, considéraient les quotas comme un actif de haut de bilan. Ils trouvaient donc anormal de devoir restreindre leur production, alors que la demande mondiale augmentait. Les pays d'Europe du sud, quant à eux, étaient opposés aux quotas pour d'autres raisons : leurs quotas étaient inférieurs à la consommation nationale. Ils représentaient la moitié de la consommation nationale pour l'Italie. Le Portugal, l'Espagne, la Grèce, à un niveau moindre, suivaient la même logique. Nous étions donc les seuls à l'époque, avec l'Autriche, à défendre les quotas laitiers. Nous étions par ailleurs les seuls à procéder à une gestion territoriale des quotas, à l'échelle départementale. Cela nous a permis de conserver des zones d'activité laitière partout en France, non seulement dans le grand bassin laitier Ouest (Normandie, Bretagne, Pays de la Loire), non seulement dans les zones où sont implantées les appellations d'origine contrôlée, mais aussi dans ce qu'on appelle les zones intermédiaires, la grande diagonale qui n'est ni en AOC, ni en production laitière intensive. Mais l'isolement de la France a empêché de répéter ce que nous avions obtenu 2003.

Dès lors, l'intervention publique, nonobstant la suppression des quotas, conserve sa légitimité, à condition de respecter un certain nombre de critères.

En premier lieu elle doit être réactive. En effet, les mécanismes d'intervention européens, tels que le relèvement des plafonds d'intervention pour le beurre et la poudre, l'augmentation du plafond des aides, l'activation de l'article 222 de l'OCM unique ou enfin les incitations financières à réduire la production, se sont échelonnés sur près d'un an et demi. Pendant toute cette crise, l'Europe a toujours eu un coup de retard et les conséquences sont dramatiques. Il faut changer absolument de manière de procéder. Si les grands arbitrages sont encore éloignés, l'idée de cette mission était d'accompagner le bilan que nous tirons de la fin des quotas de propositions d'outils à mettre en place à toutes les échelles, du local à l'international.

Nous bénéficierons toutefois d'une petite fenêtre de tir avec les négociations sur le « Brexit ». Il y aura deux sujets importants à ce propos :

– l'aspect budgétaire, puisque nos amis britanniques sont probablement le troisième ou quatrième pays bénéficiaire de la PAC ;

– les accords de commercialisation privilégiés, concernant notamment la viande ovine et le lait néo-zélandais.

Ceci étant dit, nous proposons avant tout un encadrement des prix dans des « tunnels », selon différentes modalités. Nous avons retenu la possibilité suivante : dès lors que le prix du lait chute ou augmente de manière drastique, par rapport à une période de référence telle que la campagne précédente, on pourrait mettre en place automatiquement des mécanismes d'incitation à la réduction de la production. La part de l'Europe sur le marché mondial est conséquente. Les variations de la production européenne ont donc un impact direct sur les prix. Ces incitations, voire ces contraintes, dans les cas les plus extrêmes, s'arrêteraient de même, dès lors que l'offre se serait ajustée à la demande.

Mais cette intervention doit également être souple. Nous ne reviendrons pas à un système administré, d'autant plus que les outils mis en place en 2012, par le « paquet lait », nous paraissent avoir de l'avenir. Nous faisons confiance aux organisations des producteurs, comme au système des contrats. C'est dans ces contrats que pourrait être instauré un deuxième mécanisme, garantissant la stabilité du revenu des producteurs, par différents biais, qu'il s'agisse d'y intégrer la distribution, ou de distinguer différents prix du lait en fonction de sa valorisation. En tout état de cause, il serait à l'évidence contreproductif d'introduire une trop grande rigidité dans les relations entre producteurs et transformateurs. Nous avons la chance d'avoir des champions mondiaux dans ce domaine. Ne les brimons pas inutilement.

Enfin, troisièmement, l'intervention publique doit être proportionnée au résultat recherché et adaptée à la diversité des productions sur le continent. Les mécanismes de régulation pour les produits d'appellation leur assurent une plus grande valorisation. De la même manière, nous avons été frappés par l'augmentation exponentielle de la consommation des produits laitiers biologiques. Les mécanismes d'encouragement à la conversion pourraient être renforcés. De même, des campagnes de communication sur la qualité de la filière, axées sur le respect du bien-être animal, du bien-être végétal et du contrôle de la qualité sanitaire, pourraient être développées, à l'intention des marchés tiers.

Voilà donc les trois conditions nécessaires pour une intervention publique redoublée.

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