Intervention de Hervé Gaymard

Réunion du 12 octobre 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Gaymard, co-rapporteur :

Sur le post « Brexit », personne n'en sait rien aujourd'hui. On rentre dans les négociations. Il y a une équation budgétaire globale que personne ne sait faire aujourd'hui avec précision. Il y a moins de dépenses britanniques, mais personne ne sait quel sera le bilan final sur le plan budgétaire. L'image de l'Angleterre, c'était d'être contre la PAC, alors qu'elle en bénéficie beaucoup. L'autre sujet est l'effet dérivé vis-à-vis du Commonwealth, notamment de la Nouvelle Zélande et dans une moindre mesure de l'Australie, sur la poudre de lait et sur le mouton. Je me dis que, dans nos stratégies de négociations, il ne serait pas idiot de lier la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne et une réforme anticipée de la PAC, sur les questions de gestion des marchés.

Sur la stratégie à retenir, c'est toujours le même problème. Du point de vue européen, il faut que la Commission nous fasse des propositions qui nous conviennent. Il faut aussi s'assurer au Conseil et désormais au Parlement européen, une unité de vue. C'est également vrai au niveau des organisations agricoles européennes. On a un vrai travail de lobbying à faire au niveau européen sur ces questions parce que les conceptions que nous défendons sont loin d'être partagées par nos partenaires, quelles que soient les majorités en place. Les socialistes ou les sociaux-démocrates européens ont une vision très libérale des choses.

Il y avait des crises laitières, même avec les quotas. Les quotas ne sont pas la panacée. D'ailleurs il ne faut pas oublier qu'en 2003, après la réforme, les producteurs laitiers ont bénéficié d'une aide directe découplée qu'ils n'avaient pas auparavant. Pourtant, je constate que, malgré le versement de cette aide découplée, dont plus personne ne parle, rien n'a empêché la crise des revenus de la filière laitière, ce qui montre bien l'inanité d'aides forfaitisées qui ne sont pas liées soit à un acte de production, soit à un acte de réduction de la production. Je pense que, pour la réforme future de la PAC, cette réflexion sur le découplage total des aides doit nous inciter à faire des propositions offensives.

On se rend compte que, dans tous les pays du monde, la politique laitière est un sujet délicat. Par exemple le Canada, qui a une image très libérale sur le plan économique, est une économie laitière qui reste totalement administrée et qui rassemble beaucoup à ce qui était la PAC des années 1960. Aux États-Unis, c'est la même chose, il y a des Milk Boards, à l'échelon des organisations des producteurs, qui organisent la production laitière de manière assez administrée. On voit donc que la question laitière concerne tous les territoires.

Il n'y a pas deux marchés du lait mais des marchés du lait. Il y a à l'évidence trois marchés du lait et trois prix du lait, entre les produits bio, les AOP - où tout ne fonctionne pas bien, puisque cela dépend beaucoup du syndicat de défense de l'appellation - et le lait industriel, qui est soit transformé, soit vendu comme lait en brique, soit transformé en fromage non AOP ou encore transformé en poudre de lait pour être stocké ou exporté. Il y a forcément un marché international du lait, même si, comme sur tous les marchés agricoles, la part de la production échangée internationalement est assez faible, de l'ordre de 5 à 7% pour le lait les meilleures années. Pendant des années, la poudre de lait néozélandaise formait le prix directeur du lait industriel. C'est un peu moins vrai maintenant, parce que la Nouvelle-Zélande a beaucoup restructuré son activité laitière, du fait des surproductions. Par rapport à cette réalité, que fait-on ? Est-ce qu'on rentre dans une autarcie européenne, une autarcie nationale ? La réponse est évidemment non, et l'Union européenne est aussi exportatrice sur le plan mondial.

Sur la question des habitudes alimentaires, on rentre dans un débat sans fin. Est-ce qu'il faut être prisonnier du climat pour ce qu'on mange ? C'est un débat intéressant sur le plan philosophique mais vous ne pouvez pas empêcher, dans le monde, les gens d'avoir envie de se nourrir avec une nourriture diversifiée.

La situation est très complexe. On est à la fois dans un problème conjoncturel et un problème structurel. Le problème structurel est de plusieurs ordres. D'abord, dans les sociétés matures, il y a une vraie question à se poser sur la consommation à long terme des produits laitiers. Aujourd'hui, il y a toute une école qui vous dit que l'on ne doit manger des produits laitiers que dans les périodes de croissance. Tout le monde n'est pas d'accord pour le moment avec ça, mais c'est une petite musique qui se répand et influe donc sur les tendances de consommation, à long terme. La deuxième donnée structurelle, c'est qu'en dix ans, le paysage laitier français a complètement changé. À cela il y a deux raisons :

– la première, c'est une raison strictement nationale liée notamment au cout du travail en France. Dans les exploitations agricoles, il s'agit d'emplois faiblement qualifiés, à faible rémunération ;

– la deuxième, ce sont les normes et les règlementations.

Au niveau conjoncturel, on peut se dire qu'on est dans une période transitoire où tout le monde va comprendre qu'il ne sert à rien d'augmenter aussi fortement la production laitière. J'ajoute un dernier point : dans les pays de l'Europe du Nord, il y a des systèmes très différents. Aux Pays-Bas, des coopératives jouent un rôle de régulation et de sécurisation des revenus pour les producteurs qui n'est pas joué en France, hors des zones AOP.

Nous avons des propositions extrêmement humbles et nous pensons que nous devons remettre des procédures d'intervention européennes avec le tunnel de prix. Mais s'il n'y a pas de structuration de la filière et un consensus européen sur ces questions, on n'améliorera pas la situation. La responsabilité est collective.

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