Intervention de Jacques Cresta

Réunion du 12 octobre 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Cresta, rapporteur :

Monsieur le président, mes chers collègues, je suis très heureux de vous présenter ce matin mon avis sur le projet de COM liant l'État et France Télévisions pour la période 2016-2020.

Ce projet de COM propose pour le groupe France Télévisions des axes stratégiques qui m'apparaissent particulièrement satisfaisants et pertinents quand d'autres demandent à être complétés, améliorés ou précisés.

Parmi les orientations qui me paraissent très satisfaisantes figure en premier lieu le plan de soutien à la création. Ce plan s'appuie sur un indicateur d'investissement minimal annuel dans la création audiovisuelle de 420 millions d'euros entre 2017 et 2020 et le maintien d'un plancher d'investissement important dans le cinéma. Je crois que nous pouvons en particulier nous féliciter de l'accord conclu en décembre 2015 avec plusieurs syndicats de producteurs, qui permet à France Télévisions de développer la part dépendante de son investissement jusqu'à 25 %, contre 5 % précédemment.

Je salue également un effort bienvenu de clarification de l'identité des chaînes. Il en va ainsi de France 4, qui sera désormais clairement consacrée à la jeunesse et à la famille en soirée, et surtout de France Ô, qui abandonne sa dimension d'ouverture sur le monde et la diversité pour se consacrer exclusivement aux outre-mer. Je signale qu'il conviendra de mettre le cahier des missions et des charges en cohérence avec ces évolutions.

Je me félicite aussi vivement du lancement réussi de la nouvelle offre d'information commune du service public. Le groupe s'engage à évaluer la qualité de cette offre d'information au travers d'un indicateur qui sera mis en place avant la fin de l'année 2016. S'agissant d'un axe majeur, j'appelle le groupe à introduire également un indicateur de mesure de l'« audience 4 écrans » de cette offre. Je note que le COM vise aussi l'achèvement du projet info 2015, qui comme son nom l'indique a pris du retard.

Parmi les orientations qui me semblent devoir être complétées, améliorées ou clarifiées, j'insiste sur l'avenir de l'offre régionale.

Je prends acte avec un certain regret du maintien du statu quo en ce qui concerne le modèle de France 3 – chaîne nationale avec décrochages régionaux –, mais je formule des propositions qui me semblent indispensables pour garantir l'avenir de cette dimension essentielle du service public.

Le COM fixe tout d'abord un objectif de renforcement de l'offre régionale qui passerait de 25 % à 35 % de la grille de France 3. Cet objectif est mesuré par un indicateur qui ne me paraît pas suffisamment lisible puisqu'il inclut les « programmes à caractère régional », lesquels ne sont pas définis. Je conçois que « Midi en France » soit un programme à caractère régional, mais qu'en est-il de Maigret à Lyon ? Bref, cet indicateur doit impérativement être précisé.

Le document annonce aussi une réorganisation du réseau régional de France 3, qui vise à créer 13 nouvelles directions régionales dont le périmètre sera aligné sur la nouvelle carte des régions et à supprimer les quatre pôles créés au moment de la fusion de l'entreprise. Je note qu'il s'agit en grande partie de revenir à l'organisation antérieure... Je ne dispose pas d'une visibilité suffisante pour mesurer les impacts financiers et éditoriaux de cette réorganisation, mais j'invite le groupe à veiller à ce qu'elle s'accompagne d'un renforcement de l'autonomie éditoriale des éditions régionales et locales.

Je regrette beaucoup par ailleurs l'absence des éditions locales de ce projet de COM. Je rappelle que ces éditions, qui remplissent une mission essentielle d'information d'hyperproximité et d'exposition des langues régionales, sont confrontées à des difficultés de diffusion croissantes. En effet, elles ne sont pas accessibles aux téléspectateurs qui reçoivent la télévision exclusivement par box ou par satellite, soit près de 40 % des foyers. Sur mon département, les téléspectateurs équipés de box ne reçoivent pas la locale de Perpignan. Cette situation menace ces éditions, qui sont une vitrine essentielle de la vie des territoires et un vecteur majeur du lien social de proximité. Elle alimente aussi le sentiment de relégation de certaines populations concernées. C'est pourquoi je souhaite que la diffusion sur les box soit précisément chiffrée et envisagée. Cette diffusion peut techniquement se faire sur un territoire précis pour un coût limité. Au moment où des voix s'élèvent pour réclamer la suppression de France 3, il me semble qu'il serait particulièrement hasardeux que le service public se désengage de cette mission essentielle de proximité.

Enfin, alors que l'offre d'information locale et régionale de France Télévisions accuse un retard criant sur le numérique, j'appelle le groupe à introduire un objectif particulièrement volontariste pour développer cette offre.

Le projet de COM comporte un autre projet important qui ne va pas sans soulever des interrogations quant à ses contours et à son principe : il s'agit du projet d'offre de vidéo à la demande par abonnement qui est au coeur de la stratégie numérique du groupe.

Les paramètres de ce projet – contenus, partenaires, modèle économique – apparaissent encore très incertains, même si un plan d'affaires, que je n'ai pas pu consulter, a bien été intégré dans ce COM. Je note que le projet sera précisé et validé en 2017.

Le service public est plus que fondé à développer ses recettes commerciales, et l'on peut être séduit par un projet qui ambitionne de contrer la position dominante de grands acteurs américains dans l'accès aux contenus par abonnement. Je note néanmoins que le modèle économique d'un projet de vidéo par abonnement exige des investissements très importants.

Je note aussi que ce projet est particulièrement risqué en ce que son modèle économique est concurrent du modèle de financement fondé sur la contribution à l'audiovisuel public. Je crains donc que ce projet ne vienne affaiblir les arguments en faveur du nécessaire élargissement de l'assiette de la contribution à l'audiovisuel public. L'entreprise et ses tutelles doivent tenir compte de ces éléments dans la réflexion qui est la leur sur l'articulation entre offre gratuite et offre payante.

Le projet de COM comporte un autre volet, intitulé « accentuer la différence du service public ». Ce volet comporte différents objectifs pertinents, mais qui doivent impérativement être précisés. Il en va ainsi de la place des programmes culturels et musicaux sur les antennes. C'est également le cas des objectifs de représentation de la diversité et d'accessibilité des programmes pour lesquels le CSA a proposé d'introduire plusieurs indicateurs.

Un paragraphe est consacré au développement des synergies au sein de l'audiovisuel public. Je note que sa rédaction est peu volontariste et confie de facto à France Télévisions un rôle d'initiative. Les progrès en ce domaine sont donc conditionnés à l'adhésion des autres groupes, ce qui n'est pas acquis. Si le groupe a su jouer ce rôle pour l'offre d'information, j'estime qu'il revient à l'État d'affirmer une volonté forte d'avancer sur la voie d'une meilleure coordination entre les offres du service public.

J'en viens à présent au plan d'affaires. Ce plan repose sur des hypothèses particulièrement solides d'évolution des ressources publiques. Ces dernières augmentent de 63 millions d'euros, à l'horizon 2020, l'essentiel de l'augmentation intervenant dès 2017.

S'accompagnant de la disparition de la dotation budgétaire au profit de l'affectation du produit d'une partie de la taxe sur les opérateurs de communications électroniques (TOCE), le financement s'avère particulièrement protecteur de l'indépendance du groupe et de nature à lui offrir la visibilité dont il a besoin et qui lui a fait défaut dans l'exécution de tous ses précédents COM.

L'entreprise, qui demeure dans une situation très fragile, s'engage quant à elle à atteindre l'équilibre de son résultat d'exploitation et de son résultat net sur toute la durée du COM. Cette trajectoire apparaît soutenable. Pour autant, elle repose sur un ensemble de prévisions qui sont susceptibles d'évoluer tant en recettes qu'en dépenses. Il appartiendra à la direction de prendre les mesures nécessaires pour respecter les objectifs d'équilibre de ses comptes. Cependant, je pense qu'une clause de rendez-vous pourrait être utile en cas d'écarts très sensibles.

J'attire par ailleurs l'attention sur le caractère préoccupant de la trajectoire d'évolution de la trésorerie sur la durée du COM et sur la nécessité pour le groupe de présenter rapidement à ses instances de gouvernance ses différentes options en matière de gestion de cette situation.

La prévision d'évolution des recettes publicitaires et de parrainage apparaît relativement prudente. Elle intègre en particulier l'impact d'une suppression de la publicité autour des programmes jeunesse et un potentiel de recettes supplémentaires de parrainage de 10 millions d'euros résultant d'un assouplissement de la réglementation.

Néanmoins, les recettes publicitaires comportent un certain aléa qui tient soit à des facteurs extérieurs (le marché publicitaire), soit à des facteurs propres à France Télévisions (les audiences). À cet égard, les résultats d'audience du mois de septembre des nouvelles grilles de France 2 appellent une certaine vigilance.

Je relève que l'évolution des autres recettes commerciales, à savoir les recettes du distributeur et du producteur, est faiblement documentée, contrairement aux prescriptions de la loi et alors même qu'elles doivent contribuer de manière déterminante à l'équilibre des comptes. Le dynamisme de ces recettes doit s'appuyer sur le droit de propriété recouvré par France Télévisions dans le nouvel accord avec les producteurs et le développement des activités de gestion des droits parmi lesquelles la nouvelle offre de vidéo par abonnement.

En face des ressources prévisionnelles, le plan d'affaires prévoit, d'une part, une augmentation du coût des programmes, à hauteur de 3,2 %, et, d'autre part, une diminution des autres dépenses du diffuseur, de 1,15 % à l'horizon 2020.

Par ailleurs, le plan d'affaires repose sur la maîtrise de l'augmentation de la masse salariale qui passe par le non-remplacement de tous les départs à la retraite. À cet égard, j'observe que le groupe ne dispose pas encore d'une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) et qu'une organisation cible n'a pas encore été établie. Dans la mise en oeuvre d'un programme de non-remplacement systématique des départs à la retraite dans des conditions comparables, le groupe Radio France ne tiendra pas ses objectifs dès cette année. J'attire donc l'attention sur l'impératif de mettre en place rapidement une GPEC et une organisation cible.

De manière générale, le groupe s'engage à faire évoluer les métiers pour s'adapter à la transformation numérique. J'insiste sur l'importance de ce volet.

Enfin, l'exemplarité et la transparence de la gestion constituent un enjeu majeur pour France Télévisions, comme semble devoir le confirmer le prochain rapport de la Cour des comptes. Je regrette d'ailleurs que ce rapport n'ait pas pu être rendu public avant l'examen de ce projet de COM, ce qui aurait permis d'analyser les engagements pris à la lumière des dysfonctionnements constatés.

En tout état de cause, je note que l'entreprise s'engage dans une démarche de transparence et d'exemplarité des dépenses de l'équipe dirigeante. Cette démarche mérite d'être saluée.

Dans la même logique, je salue également l'introduction d'un indicateur qui permettra de mesurer la confiance des salariés dans leur entreprise et leurs managers.

Ce projet de COM comporte aussi un volet, qui me paraît indispensable, relatif à la lutte contre les conflits d'intérêts. Des règles doivent en particulier être établies afin d'encadrer les contrats passés avec d'anciens responsables de l'entreprise. Un premier pas a été franchi avec la nomination d'une déontologue en juin 2016. Il faut aller plus loin.

Le groupe doit également impérativement progresser vers plus d'exemplarité dans sa politique d'achats hors programmes. L'entreprise se doit notamment d'être particulièrement vigilante en matière de marchés de conseils et de prestations intellectuelles, compte tenu de leur sensibilité particulière et des montants en jeu. Dans un contexte de mise en place de l'entreprise unique, je rappelle que ces montants ont représenté près de 56 millions d'euros en 2012, 2013 et 2014.

L'entreprise devra remédier aux lacunes persistantes en matière de mise en concurrence pour les prestations de conseil d'un montant inférieur à 100 000 euros. Enfin, elle devra mettre un terme aux défaillances constatées en matière de respect des règles de la commande publique.

Il appartiendra aux instances de gouvernance d'effectuer un suivi exigeant de la mise en oeuvre de ces engagements et j'appelle le groupe à en rendre précisément compte dans le rapport d'exécution du COM.

Sous le bénéfice de ces observations et recommandations, c'est un avis favorable que je formule sur ce projet. Je vous remercie.

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