Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les parlementaires, la dernière fois que je suis intervenu devant vous, c'était il y a exactement un an, le 13 octobre, juste avant les attentats du Bataclan, de Nice et Saint-Étienne du Rouvray, une année où le risque et la menace n'ont cessé d'augmenter sur le territoire national. Dans le même temps, le 12 avril, nous avons perdu trois soldats au Mali : le maréchal-des-logis Damien Noblet, le brigadier Michaël Chauvin et le soldat de 1re classe Mickaël Poo-Sing. Ils luttaient contre le terrorisme, là-bas, à la racine. Toujours dans le même temps, le service militaire volontaire et la réserve donnaient des premiers signes de réussite.
Dans une première partie, je reviendrai sur cette année écoulée, marquée, pour l'armée de terre, par une véritable inversion de tendance, sur laquelle il me semble important de s'attarder un peu.
Dans une deuxième partie, j'aborderai les perspectives pour 2017. Je souhaite une poursuite de la dynamique positive de 2016, tout en appelant à la vigilance, notamment au travers de deux points durs que j'ai identifiés, l'infrastructure et le MCO, et d'une préoccupation majeure que je fais mienne : le moral.
La troisième et dernière partie de mon propos sera un peu plus prospective. Elle portera sur l'après 2017, les 2 %, mes objectifs et les orientations sur lesquelles je fais travailler l'état-major, pour donner sa pleine puissance au nouveau modèle « Au contact ». C'est la condition nécessaire pour que nous ayons une armée de terre performante et efficace.
L'année 2016 porte donc le sceau d'une « inversion de tendance ». C'est une année charnière dans trois domaines.
Tout d'abord, 2016 est une année de recrutement historique, avec des objectifs quantitatifs deux fois plus élevés qu'en 2014, et 1,5 fois plus élevés qu'en 2015. La force opérationnelle terrestre – FOT – se trouvera densifiée par le recrutement de 11 000 hommes et femmes en deux ans, ce qui se traduit par des unités élémentaires supplémentaires dans les régiments. Ainsi, 17 compagnies et escadrons supplémentaires ont été formés. En avril 2017, nous en aurons 40.
Je rappelle toutefois que « recruté » ne veut pas dire « instruit », et qu'« instruit » ne veut pas dire « entraîné ». Je me suis engagé à recruter ces 11 000 hommes pour la fin de l'année, et l'objectif sera atteint. Mais bien évidemment, cette force ne sera ni complètement instruite, ni totalement entraînée. J'estime qu'elle sera complètement instruite à l'été 2017 et pleinement entraînée – sous réserve qu'il n'y ait pas de nouveau pic d'engagement à 10 000 sur le territoire national – mi-2018.
Ensuite, 2016 est une année charnière sur le plan capacitaire. C'est l'année des gros programmes, à mi-chemin entre la notification du programme SCORPION en 2014 et le début des livraisons attendues en 2018. C'est l'année du 60e Tigre et du 20e Caïman. C'est aussi une année de commandes de court terme, dont les livraisons commenceront dès 2017 : je pense notamment à celles du successeur du FAMAS et des premiers véhicules légers tactiques, en remplacement de la P4.
Enfin, 2016 est l'année du rééquilibrage des opérations, entre l'extérieur et l'intérieur, parce que la menace militarisée est désormais continue, elle aussi, entre l'intérieur et l'extérieur.
Je crois qu'on n'aura jamais autant écrit sur le territoire national que cette année passée et que, globalement, en deux ans, on en aura fait davantage qu'en vingt-cinq. Il me semble, très honnêtement, que nous avons bien rattrapé le retard. Je n'énumérerai pas les divers rapports, mais je considère que les études et les travaux parlementaires qui ont été menés nous ont beaucoup aidés, s'agissant d'un sujet qui, depuis la chute du Mur de Berlin, restait à défricher.
Par-delà les écrits, dans le domaine des actes, sur le territoire national, nous avons déployé de 7 000 à 10 000 hommes et femmes tout au long de l'année. Le plafond de 10 000 – évoqué par le dernier Livre blanc, sur une durée maximum d'un mois – a été tenu en 2016 pendant un tiers de l'année, ce qui n'est pas anodin.
Inflexion des effectifs, des équipements et des missions : 2016 consacre bel et bien un « changement d'époque » pour l'armée de terre, dont l'emploi est désormais structuré au travers de trois champs d'action.
Le premier champ d'action, le plus traditionnel, est celui du « Combattre là-bas », qui s'exprime au travers de trois types d'opérations.
Le premier type est celui des opérations classiques. On pense immédiatement au Mali, qui demeure un théâtre dangereux. Ce week-end encore, deux véhicules ont sauté sur un IED (Improvised Explosive Device, en français Engin explosif improvisé), qui a fait six blessés à sept kilomètres au sud d'Abeïbara. On pense aussi à l'Irak, où nos canons CAESAR tirent quasiment quotidiennement de jour comme de nuit.
À côté de ces opérations classiques, nous participerons bientôt à des opérations de réassurance qui contribueront à ce que j'appellerais une nouvelle forme de dissuasion face à l'Est. Ainsi, nous allons engager un sous-groupement tactique en 2017 en Estonie – aux côtés des Britanniques – et en 2018 en Lituanie – aux côtés des Allemands.
Enfin, il ne faut pas oublier de mentionner toutes nos actions de prévention dans l'arc de crise, ce que l'on appelle l'assistance militaire opérationnelle, ou la participation à des missions comme la MINUSMA – Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali. Tout cela passe par une étroite coopération avec nos alliés, notamment au G5 Sahel dont le CEMA vous parlera largement demain.
Le deuxième champ d'action, le territoire national, est celui du « Lutter ici », qui nous impose de relever simultanément trois défis.
Le premier défi est d'assurer la protection du territoire et des Français. Protéger la Cité et ses habitants est la raison d'être, la vocation première de toute armée. Ce défi se traduit, au-delà de l'effet de loupe médiatique dont bénéficie l'opération Sentinelle, par la construction en marche d'une véritable posture de protection terrestre – PPT – qui viendra s'intercaler entre les postures permanentes de sûreté des deux autres armées. Elle est évaluée à 10 000 hommes et doit s'entendre comme un savant dosage entre des effectifs déployés ou en alerte face à une menace très actuelle, et des effectifs en préparation opérationnelle, s'entraînant face à aux nouvelles menaces potentielles.
Le deuxième défi consiste à participer à la connaissance-anticipation, aux côtés des forces de sécurité intérieure – FSI – pour mieux appréhender le continuum de cette « menace militarisée », et mieux anticiper les changements de posture et de modes d'action de l'adversaire. Il s'agit en somme de « faire changer l'incertitude de camp » et, nous concernant, de dissiper au mieux le « brouillard de la guerre ».
Le troisième et dernier défi du « Lutter ici » est d'oeuvrer à renforcer la résilience de la Nation. L'armée de terre a, à cet égard, deux responsabilités : stimuler la cohésion nationale et incarner certaines valeurs que l'on identifie aujourd'hui comme des valeurs refuges. Son action s'appuie à la fois sur des initiatives au profit de la jeunesse, comme le service militaire adapté – SMA – ou le service militaire volontaire – SMV – qui est toujours en expérimentation, ainsi que sur la réserve opérationnelle dont nous poursuivons la montée en puissance à marche forcée, dans une pleine et vertueuse intégration à l'armée de terre d'active. L'objectif est d'atteindre 24 000 réservistes opérationnels sous contrat fin 2018.
Le troisième champ d'action est le renforcement de l'armée de terre, qui porte trois enjeux majeurs.
Le premier enjeu est de disposer d'hommes et de femmes en quantité, mais aussi en qualité. Recruter 11 000 personnes, c'est bien, mais il faut recruter 11 000 personnes dans le but bien précis d'en faire des soldats.
L'armée de terre marque un effort majeur sur la formation initiale de ses recrues, et y consacre un encadrement de l'ordre d'un instructeur pour quatre jeunes. Au quotidien, cela représente un volume équivalent à celui d'une brigade – 7 500 hommes – consacré à la formation initiale. Nous veillons enfin, en portant une attention particulière à la condition du personnel, à préserver dans la durée notre ressource. Pour le moment, aucun indicateur ne me laisse entrevoir une baisse de la fidélisation qui pourrait être due, notamment, à la suractivité ou à l'emploi dans le cadre de Sentinelle.
Le deuxième enjeu du renforcement est d'augmenter l'entraînement. Cette année, le nombre des jours de préparation opérationnelle – JPO – de l'armée de terre restera inférieur à la cible qui est de 90. Il devrait être entre 70 et 75. Néanmoins, il a légèrement augmenté par rapport à l'an dernier, où il était de 65.
Le troisième enjeu est de fournir les équipements nécessaires à nos soldats. Je reviendrai sur ce point plus en détail tout à l'heure. Je pense qu'une accélération, une densification des programmes, notamment du programme SCORPION, mériterait une réflexion plus poussée qu'elle ne l'a été ces dernières années.
De ce triple engagement « là-bas », « ici » et « en interne » découle l'équation de la suractivité que vit aujourd'hui l'armée de terre : « sur-recrutement » plus « sur-emploi opérationnel » égal « sous-entraînement » et « sur-absentéisme de la garnison ». Et cette suractivité se traduit budgétairement par quelques tensions en fin de gestion.
Des tensions de fin de gestion, c'est vrai, traduisent budgétairement la suractivité. Mais je souhaiterais rappeler à nouveau l'effort budgétaire qui a été accompli en 2016, notamment grâce à l'actualisation de la loi de programmation militaire – LPM – en juillet 2015. Cet effort visait à mettre en cohérence globale les ambitions et les moyens. Le résultat est largement positif. Les efforts consentis, et c'est pour moi le plus important, sont d'ores et déjà perceptibles par nos hommes au quotidien. Ils leur permettent de mesurer la contrepartie de l'engagement que l'on exige d'eux.
D'une part, ils constatent physiquement l'arrivée de nouveaux équipements « individuels » ou « de proximité » qui exercent un effet très positif sur leur moral. Souvenons-nous de ces mots du général de Gaulle dans Vers l'Armée de métier : « c'est au goût des belles mécaniques que le service dans les troupes de métier offrira pleine satisfaction ». Ainsi, en fin d'année, les 1 000 Ford Ranger auront été livrés, ainsi que les 3 500 premiers gilets de combat SMB – faisant désormais partie du paquetage individuel – qui équiperont une compagnie par régiment d'infanterie. 1 000 terminaux Auxylium ont également été livrés en 2016 et améliorent de façon significative les capacités de communication des unités Sentinelle engagées en Île-de-France. Ce ne sont pas les seuls exemples, mais les exemples les plus « visibles » pour nos soldats.
D'autre part, nos hommes sont attentifs à l'attention qu'on leur porte. Dans ce cadre, les mesures liées à la condition du personnel sont très positivement perçues. Parmi d'autres mesures, je voudrais évoquer l'effort en matière d'infrastructures conduit dans le cadre de la remontée en puissance. Entre « rénover le vieux pour faire du neuf » et « faire du totalement neuf durable », nous avons choisi une solution intermédiaire avec la livraison, en fin d'année, grâce à l'entreprise Bouygues, de neuf bâtiments modulaires durables CATALPA sur les quinze bâtiments commandés en janvier 2016. Les premiers ont été livrés fin août-début septembre.
Je voudrais également évoquer les deux premières mesures indemnitaires liées à la suractivité, qui arriveront concrètement sur le compte en banque de tous les militaires d'ici à la fin de l'année : le paiement de deux jours d'indemnité pour TAOPC – temps d'activité obligatoire complémentaire – pour 2016, soit un montant annuel de 170 euros – ce qui est important pour un jeune qui gagne l'équivalent du SMIC, et le doublement de l'indemnité pour sujétion d'alerte opérationnelle – AOPER – qui passe de 5 à 10 euros par jour, avec effet rétroactif à compter de juin 2016.
Je voudrais toutefois appeler votre attention sur les contraintes qui pèsent sur le budget en cette fin d'exercice. Ce sont toujours les mêmes : levée de la réserve de précaution ; couverture interministérielle des surcoûts OPEXMISSINT – opérations extérieuresmissions intérieures.
Quant à l'armée de terre, elle rencontre à ce stade de gestion des insuffisances préoccupantes, évaluées à plus de 100 millions d'euros sur le BOP « Préparation des forces terrestres » du programme 178. Elles sont la conséquence du sur-engagement opérationnel, des nouveaux besoins liés à la remontée en puissance de la force opérationnelle terrestre et d'une tension excessive sur l'entretien programmé des matériels, en particulier aéroterrestres. Ces insuffisances, si elles n'étaient pas couvertes, pèseraient sur la prochaine annuité et fragiliseraient l'équilibre de la construction budgétaire 2017, sur laquelle je vais maintenant venir.
L'année 2017 poursuivra, nous l'espérons, la dynamique positive initiée en 2016. Mais elle appelle toutefois à la vigilance.
En construction, globalement, on peut se satisfaire de ce qui nous est présenté.
2017 décline, tout d'abord, les décisions entérinées dans la loi de programmation militaire actualisée, puis lors du conseil de défense du 6 avril dernier par le président de la République.
L'armée de terre voit ses principaux objectifs validés, que ce soit en termes d'effectifs – y compris dans le domaine de la condition du personnel – ou en termes d'équipements. Je pense tout spécialement à la reconnaissance du besoin de mobilité de la force opérationnelle terrestre avec, en particulier, la validation du renouvellement de la P4 à hauteur de 3 800 unités, et l'augmentation de la cible VBMR-léger de 200 unités.
Le PLF 2017 devrait permettre à l'armée de terre de faire face à ses besoins en titre 2, avec notamment un BOP « Personnel militaire de l'armée de terre » doté à hauteur de 7,8 milliards d'euros. Nous pourrons ainsi poursuivre la montée en puissance du personnel d'active, augmenter la réserve opérationnelle et, surtout, ce qui est très important pour le moral, achever la transposition du « nouvel espace statutaire de catégorie C » (NES-C), revaloriser le point d'indice, mettre en place le plan d'amélioration de la condition du personnel – PACP – et enfin, nous l'espérons – cela fait partie des mesures qui devraient être annoncées à la fin de l'année – initier la mise en place du protocole « parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR).
Dans le domaine capacitaire, 2017 sera au croisement vertueux des commandes et des livraisons d'équipements : des commandes pour préparer l'avenir avec, en particulier, celles des 319 premiers Griffon, des 20 premiers Jaguar mais aussi de 12 000 AIF – armes individuelles futures, qu'on peut désormais appeler HK 416 ; des livraisons pour traduire concrètement les décisions récentes avec, en particulier : six Tigre, sept Caïman, cinq Cougar rénovés, 379 porteurs polyvalents terrestres ainsi que les 500 premiers véhicules légers tactiques polyvalents non protégés (VLTP-NP).
Aux côtés des équipements majeurs, je souhaite également mentionner tous les équipements d'environnement qui permettront de donner de la cohérence capacitaire à l'armée de terre et sont en cela indispensables, bien que moins visibles. Je pense à certains équipements, en particulier dans le domaine optronique, comme les viseurs infrarouges ou les lunettes thermiques, qui accompagneront la remontée en puissance de la FOT.
Je pense également aux munitions, domaine dans lequel l'enjeu est de taille, à la fois qualitativement avec l'entrée en service de systèmes nouveaux – comme les missiles moyenne portée, MMP, dont les 150 premiers exemplaires seront livrés en 2017 – et quantitativement avec la densification de certains stocks critiques – à l'instar des roquettes de LRU (lance-roquettes unitaire) et des missiles Hellfire pour l'hélicoptère Tigre. Ce sujet des munitions est véritablement sensible. L'effort financier, qui s'élève à 200 millions d'euros en 2017, devra être amplifié dans le futur pour que nous puissions remonter le stock critique de nos munitions, notamment missiles et roquettes, tout en honorant pleinement notre contrat opérationnel.
En termes d'entraînement, le PLF est également satisfaisant. Il fixe à 81 le volume des journées de préparation opérationnelle, ce qui est cohérent avec l'ambition de 90 journées, à terme, pour les 77 000 soldats de la FOT, mais surtout avec nos capacités actuelles, liées à la remontée en puissance de celle-ci. De la même façon, j'estime difficile de pouvoir réaliser davantage que les 164 heures de vol budgétées en 2017, à mettre en regard des 180 heures affichées en LPM. Ainsi, vous constaterez que dans le domaine de l'entraînement, nos ambitions ne sont pas tant dégradées par des insuffisances budgétaires que par des contraintes liées au sur-emploi opérationnel ou à l'insuffisante disponibilité technique de nos parcs de matériels.
Globalement, donc, le PLF 2017 est plutôt positif pour l'armée de terre, dans la mesure où il permet de confirmer physiquement l'inversion de tendance de 2016.
Je voudrais toutefois souligner un risque portant sur la déclinaison budgétaire de ces engagements, et notamment des engagements présidentiels du 6 avril dernier. En effet, d'une part, pour ces derniers, seuls 40 % des ressources octroyées proviennent de crédits budgétaires, le reste étant de fait incertain ; d'autre part, au-delà de 2017, le financement demeure soumis à des arbitrages politiques, dans la mesure où il n'est pas à ce jour gravé dans la loi. L'élan ne devra pas être brisé !
Cela étant posé, je souhaite maintenant mettre en avant deux « points durs » financiers, et une « attention particulière » du CEMAT.
Le premier point dur est l'infrastructure.
Depuis quelques années, celle-ci demeure le talon d'Achille de l'armée de terre, en dépit d'une véritable volonté à la fois politique et de commandement. Il convient à cet effet de noter les résultats positifs du plan d'urgence « condition du personnel » déclenché à l'été 2014 par le ministre de la Défense pour corriger les « points noirs » ; ils sont réalisés à hauteur de 82 % pour le ministère, et de 75 % pour l'armée de terre. De même, le logement des nouvelles unités de la FOT a bien été pris en compte, notamment grâce au projet CATALPA. Enfin, l'infrastructure liée à Sentinelle a bénéficié d'un effort notable, puisque plus de 20 millions d'euros ont été investis pour améliorer les conditions de logement de nos soldats.
Toutefois, ces actions « coup de poing » ne doivent pas masquer une situation globalement préoccupante.
Pour ce qui concerne les acquisitions, certains besoins prioritaires ont été repoussés : par exemple, l'accueil du SDT, le futur drone tactique, à Chaumont, ou le renforcement des capacités des forces spéciales à Pau. Cette situation reste à surveiller.
La situation est également préoccupante en ce qui concerne l'entretien du parc immobilier – notamment celui de nos quartiers, qui constituent de plus en plus la maison de nos soldats, qui reviennent s'y installer. Le parc se détériore au fil du temps, du fait d'un effort de maintenance qui est passé progressivement, en dix ans, de six euros du mètre carré en 2007 à deux euros aujourd'hui. Les crédits accordés au titre du PLF 2017 permettront tout juste de freiner la dégradation du patrimoine.
Le deuxième point dur que j'identifie concerne le MCO terrestre et aéroterrestre.
Le MCO terrestre est le coeur de la réforme « Au contact ». Cette réforme est la conséquence de trois réalités.
Une réalité opérationnelle, d'abord, liée à l'usure accélérée du matériel en particulier du fait du caractère abrasif des OPEX. En 2016, ce sont près de 3 000 matériels majeurs de l'armée de terre qui auront été engagés en opérations extérieures, outremer et à l'étranger, soit l'équivalent de 20 régiments – sur 80.
Une réalité technologique, ensuite, car aujourd'hui cohabitent dans les forces quatre générations de matériels avec des parcs anciens extrêmement hétérogènes – il existe par exemple plus de 50 configurations différentes de VAB, les véhicules de l'avant blindé – et des parcs de nouvelle génération faisant appel à une maintenance d'un autre type.
Une réalité humaine, enfin, du fait du départ, d'ici à 2025, de 2 400 agents civils de maintenance du ministère de la Défense, atteints par l'âge de la retraite. Ce sont des spécialistes de la maintenance, dont le départ n'est que partiellement compensé par un flux de recrutement annuel moyen estimé à 160.
Face à cette triple réalité, le projet MCO-T 2025, l'une des principales déclinaisons de « Au Contact », apporte une réponse qui s'inscrit dans une approche duale, séparant d'un côté la maintenance industrielle (étatique et privée) en charge de la régénération, et de l'autre la maintenance opérationnelle en charge de la disponibilité. En l'état, le financement permet globalement d'initier le projet sur 2017-2018 mais il n'est absolument pas garanti au-delà. Il faudra absolument assurer la continuité de ce projet. Du côté des hélicoptères, le MCO aéroterrestre est « le » point dur.
Le modèle économique est, en l'état, non viable. Avec 70 % des voilures tournantes du ministère, l'armée de terre est la plus grande entreprise d'hélicoptères lourds d'Europe. Cependant, 100 seulement décollent au quotidien pour un contrat opérationnel de 149 machines. Je ne peux me satisfaire de cette situation.
C'est un problème économique et opérationnel. C'est aussi un problème de formation. Et cela induit des coûts supplémentaires, puisque, pour permettre à mes équipages d'être engagés en opération, je suis parfois obligé d'externaliser une partie des heures de vol.
Avec 338 millions d'euros de crédits de paiement, le MCO aéroterrestre est considéré comme tout juste suffisant. Je pourrai vous en reparler.
Après ces deux points durs, l'infrastructure et le MCO, j'en viens au moral, auquel nous devons porter une attention spécifique.
Selon moi, c'est une responsabilité du CEMAT et du commandement. Il conditionne notre capacité opérationnelle. J'estime le moral de l'armée de terre plutôt bon. Il est soutenu par la dynamique positive dans laquelle se trouve l'armée de terre en matière d'effectifs et d'équipements. Il ne semble pas, pour le moment, être affecté à l'excès par les deux « vents contraires » que constituent la sur-absence de la garnison et le problème Louvois. Il convient toutefois d'être vigilant. Culturellement, le militaire est peu enclin à se plaindre. Mais le maillon fragile auquel il faut prêter une oreille attentive est constitué par les familles. L'absence de la maison et la solde en fin de mois touchent principalement la « base arrière ». Or il se peut que cette « base arrière » ait moins de retenue que nos soldats.
En 2016, 50 % de la FOT aura passé plus de 150 jours de mission hors garnison, certains allant même jusqu'à 220 jours, ce qui n'est pas anodin. Il n'est pas non plus indolore qu'au moment où je pensais lever la garde à l'issue de l'Euro et du 14 juillet, j'aie dû, en raison des attentats de Nice, rappeler 2 000 hommes de permission – des soldats qui avaient programmé leurs congés estivaux et qui sont rentrés en moins de 24 heures.
Aujourd'hui, financièrement parlant, cette sur-absence est globalement bien prise en compte. Dans la droite ligne des annonces ministérielles et présidentielles des deux dernières années, les mesures de condition du personnel liées à la suractivité sont financées sur le PLF 2017 – dont 35 millions d'euros pour l'indemnisation d'absence cumulée. Dans le même esprit, l'armée de terre sera très attentive aux annonces qui pourraient être faites au prochain Conseil supérieur de la fonction militaire – CSFM. Pour autant, et il faut que vous le sachiez parce que vous allez les rencontrer, nos militaires attendent le versement de ces primes.
En effet, il reste un obstacle majeur sur le chemin entre la décision et la mise en oeuvre : le logiciel Louvois, deuxième « vent contraire ». Celui-ci continue de poser des problèmes chaque fin de mois, pour 15 % des soldes. Mais surtout, il est extrêmement instable. Qu'en sera-t-il de la mise en oeuvre des nouvelles primes ? Cela risque d'être très compliqué.
On peut donc s'attendre à un délai important entre la prise de décision politique, la prise de décision « militaire » sur la mise en oeuvre, et la capacité de l'outil à verser ces primes. Il est exact qu'aujourd'hui, à part les deux jours d'ITAOPC, aucun militaire n'a bénéficié des primes annoncées soit par moi-même, soit par le ministre. On diffère le versement de ces primes, mais au bout d'un an, d'un an et demi, nous risquons de devoir faire face à un problème de crédibilité. Et je n'évoque pas le retrait à la source sur un logiciel non stabilisé. Cela inquiète beaucoup nos soldats…
Comme je l'ai dit l'an dernier et comme vous l'avez constaté, nos soldats ont le cuir épais. Ils nous ont « bluffés ». Beaucoup des 10 000 hommes qui ont patrouillé cet été à Paris et en province étaient des jeunes recrues. Or ils se sont remarquablement bien comportés. Certains soldats ont fait 12 semaines de missions consécutives entre mi-juin, avant l'Euro, et le 3 septembre, la rentrée scolaire. Mais je n'ai pas eu de problème de discipline et je n'ai eu que des échos favorables sur leur comportement et leur tenue.
Pour résumer cette partie, je qualifierai donc ce PLF de plutôt satisfaisant, mais on ne doit pas faire l'économie de quelques points d'attention et de vigilance, que j'ai essayé d'évoquer de façon objective. 2017 sera une année de transition. Les enjeux sont surtout postérieurs – 20172018. Je souhaite donc, pour terminer, vous parler de l'avenir.
J'ai coutume de présenter l'avenir de l'armée de terre en trois dimensions : l'organisation, l'équipement et l'orientation.
Premièrement, le modèle « Au contact » dont la vocation est d'organiser l'armée de terre. Le modèle est désormais en place à plus de 90 %, et il sera finalisé à l'horizon 2017. Il fallait trois années pour une telle ambition : 2014-2015 pour concevoir, 2015-2016 pour mettre en place, 2016-2017 pour mettre en oeuvre et aujourd'hui, l'oreille sur le capot, on écoute le moteur tourner pour procéder à quelques réglages. À l'été 2017, j'estime que le modèle sera entièrement en place.
Deuxièmement, le programme SCORPION, vu comme l'emblème de la transition capacitaire en cours. Il sert à outiller l'armée de terre qui, du point de vue de ses équipements, aura davantage changé en quinze ans, entre 2010 et 2025, qu'en quarante ans, entre 1970 et 2010.
Troisièmement, cette transition doit être appuyée par une réflexion sur le cap et la distance, et soutenue par une vision prospective. J'ai donc l'intention de sortir mi-octobre ce petit document intitulé « Action terrestre future ». Celui-ci met en avant huit facteurs de supériorité opérationnelle. Il doit guider notre réflexion sur les 2 %.
Je voudrais maintenant aborder un point qui me tient à coeur, qui porte sur un nouveau modèle économique, ou un modèle économique d'un nouveau genre pour l'armée de terre.
Il s'agit de chercher à saisir les opportunités, dès lors qu'elles sont à la fois soutenables financièrement et faisables techniquement, pour accélérer l'arrivée des nouveaux parcs, et ne plus entretenir de façon dépensière les anciens. Il faut savoir que reconstruire une P4, c'est 300 heures de travail et 27 000 euros, et que remplacer six chargeurs de FAMAS, c'est le même prix qu'un HK 416, etc. Cela m'interroge. Mais cela pose plusieurs questions que j'aurai l'occasion d'évoquer dans l'année qui vient.
Je me doute qu'à l'occasion de cette réflexion sur un nouveau modèle économique, vous allez me parler de patriotisme économique, du « made in France ». Certes, le fusil nous oriente un peu vers l'Est, les P4, dans l'immédiat, plutôt vers l'Afrique du Sud ou du côté d'un pays asiatique. Certes, vous souhaitez que la défense soutienne les acteurs économiques. J'y souscris pleinement. Pour autant, j'appelle les acteurs économiques à soutenir notre effort de défense. C'est ce que l'on pourrait appeler, en regard du « patriotisme économique », une « économie patriote ».
Pour cela, il faut que l'on agisse ensemble. Il faut que l'on communique avec les industriels davantage que par le passé. Je suis convaincu que si l'on avait dit, il y a quelques années, à nos industriels, que nous allions avoir besoin de P4, ils se seraient mis en ordre de bataille pour nous les fournir. Mais si on se réveille un beau matin en disant que 600 de nos P4 « meurent » chaque année, l'industrie automobile française n'est pas forcément capable de fournir le nécessaire.
Ce modèle économique est pour moi quelque chose de central, qui viendra accompagner à la fois l'organisation, l'outillage, ainsi que le cap et la distance d'Action terrestre future.
Je pense que dans le cadre espace-temps qui nous attend, au moins les cinq prochaines années, l'armée de terre devra porter davantage son effort dans le champ des équipements que dans le champ des effectifs.
Mon but est de donner toute sa puissance au modèle. Et s'il y avait une ambition de 2 %, dans les prochaines années autour de la défense, je formule, pour l'armée de terre, le souhait que les équipements rattrapent désormais les effectifs.
Je revendique surtout une ambition capacitaire pour nos forces terrestres. Cela se traduit par un effort à marquer dans les domaines des acquisitions d'équipements, de l'infrastructure associée et du maintien en condition opérationnelle.
Pour conclure ce propos avant de répondre à vos questions, je voudrais vous remercier, Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, puisque c'est probablement ma dernière audition au cours de cette législature. Je reconnais à cette commission une grande qualité : celle de placer les intérêts supérieurs de la Nation au-dessus de toute considération partisane. Pour cette raison, le chef militaire que je suis s'est toujours senti à l'aise et en phase parmi vous et avec vous.
Je voudrais enfin vous dire combien les hommes et les femmes de l'armée de terre méritent cette union nationale sur les questions de défense. Nous avons une armée de terre exceptionnelle, vous le constatez d'ailleurs quand vous les rencontrez sur le terrain. J'étais avec eux la semaine dernière, je pourrai vous en parler.