Intervention de général Jean-Pierre Bosser

Réunion du 11 octobre 2016 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

général Jean-Pierre Bosser, chef d'état-major de l'armée de terre :

En premier lieu, Sentinelle est un dispositif qui évolue quasiment de semaine en semaine, et qui est passé du « tout statique » au « tout dynamique ». Il y a un peu plus d'an, l'emploi était dilué au profit des forces de l'ordre. Il est maintenant plus concentré, avec des zones de responsabilité qui sont imparties aux militaires, en étroite collaboration avec les forces de l'ordre.

Cette nouvelle situation correspond bien plus à notre manière de commander. Plutôt que d'avoir des hommes dilués et placés sous l'autorité hiérarchique d'une patrouille de police ou d'un commissariat, nos hommes ont pour chefs, sur le terrain, leur chef de section, leur capitaine et leur chef de corps. Les modes d'action tactiques ressemblent désormais à ceux de notre quotidien en opérations, je pense notamment au contrôle de zone ou aux patrouilles. L'exécution de la mission est ainsi, aujourd'hui, beaucoup plus militaire qu'elle ne l'était il y a deux ans.

Pour moi, cette évolution est très saine. Je rappelle au passage que la relation d'homme à homme entre policiers et militaires est excellente. Qu'entre lieutenant de police et chef de section, elle est parfaite. Qu'entre commissaire, chef de corps et sous-préfet, elle est également très bonne. D'ailleurs on n'a pas – ou peu – entendu de policiers émettre des réserves à ce propos. Voilà où l'on en est aujourd'hui.

Demain, je souhaiterais que l'on fasse encore différemment. Pour les années qui viennent, je pense nécessaire que l'on conserve ce capital de 10 000 hommes, mais qu'on l'emploie autrement. Je voudrais que l'on prépare la guerre ou les crises de demain, que l'on prenne en compte l'ensemble des risques évalués par le SGDSN, et que l'on travaille ces scénarios en collaboration avec d'autres ministères et d'autres forces – les douanes, les forces de sécurité intérieure au sens large.

L'idéal serait que le curseur des forces déployées dans le cadre de Sentinelle soit réduit à sa plus simple expression si la menace venait à se réduire ; mais que le complément à 10 000 hommes soit réemployé pour faire de la présence sur le territoire national et préparer les scénarios de demain.

C'était le thème de l'exercice Minerve, que nous avons mené avec les gendarmes, sur un cas de contrôle de zone en moyenne et haute montagne, et qui combinait l'intervention du préfet, de la gendarmerie, des douanes, de la police de l'air et des frontières et des militaires. Voilà comment on peut, dans une zone qui n'est pas facile, utiliser les compétences et les capacités des militaires.

J'ai beaucoup de projets de ce genre. Nous allons bientôt faire un exercice avec l'armée de l'air. Comment faire voler nos drones en commun, comment contrôler l'espace aérien ? On va le faire dans une zone où les forces françaises ne se sont pas déployées depuis longtemps, en plein coeur du territoire national. Pour ma part, je ne plaide pas pour un retrait du territoire national, en disant que maintenant que j'ai engrangé 11 000 hommes, je vais les concentrer sur les OPEX. Je plaide pour capitaliser ces 10 000 hommes, soit en alerte, soit en entraînement pour préparer les scénarios futurs, soit en déploiement dans la mesure où l'on n'échappera pas à un déploiement minimum, que j'évalue à 3 000 hommes – la répartition serait donc de 3 000 et 7 000 hommes.

J'en viens aux besoins en effectifs et en équipements. Dans ce domaine, j'aurai besoin de tout votre soutien. On a déconstruit l'armée de terre au travers de ses effectifs. Certains s'imaginaient que l'armée de terre aurait comme ambition de se reconstruire – objectif des 2 % et signal des 11 000 – au travers de ses effectifs. En fait, mon ambition en matière d'effectifs, que je suis en train d'évaluer, est somme toute assez faible.

Quel est aujourd'hui mon objectif ? Nous avons 11 000 hommes en plus. Je cherche à équiper mes soldats de façon homogène et à les entraîner de façon correcte. Je cherche à régler mes problèmes de MCO et d'infrastructure. Si j'avais une vision « effectifs » – plus 15 000 hommes, plus 30 000 hommes, reconstruction de l'armée de 2008 ou d'avant – j'accentuerais cet écart entre une partie importante de l'armée mal équipée, mal entraînée et une autre partie, plus resserrée, qui serait plus homogène, mieux équipée et plus cohérente.

Je sais que cela va surprendre. J'étais la semaine dernière à Toulouse et pour me faire plaisir, l'adjoint au maire m'a dit : « Mon général, on veillera à ce que vous remontiez en effectifs ». Je lui ai répondu de ne pas se précipiter, et que ce n'était pas du tout mon orientation. Je ferai ce que l'on me dira, mais très clairement, je suis plutôt pour un mode d'action visant, au moins dans le cadre espace-temps à venir, à rétablir les équilibres.

Vous avez parlé du service national. Pour moi, c'est un sujet politique. Nous avons la capacité de faire beaucoup, avec le SMA et le SMV : on fait rentrer des garçons et des filles, et ils sortent avec un emploi. Je veux bien augmenter les volumes du SMV de 1 000, de 10 000, de 20 000, mais je rappelle que le but du SMV est de réussir le retour à l'emploi. Aujourd'hui, il permet 72 ou 73 % de retour à l'emploi, ce qui est un beau résultat. Mais je ne suis pas certain qu'en industrialisant le SMV, le résultat soit aussi satisfaisant.

S'il n'y a plus de point de sortie, le point d'entrée peut être largement augmenté. Mais alors, pour répondre à votre question, ce n'est plus le même modèle d'armée. Si nous prenons demain un virage consistant à rétablir un service militaire obligatoire, ou un service militaire où l'on s'occupe des décrocheurs pris en masse, ce ne sera pas la même armée, clairement. Ce sera autre chose.

Aujourd'hui, pour vous donner un ordre de grandeur, pour 1 000 garçons et filles au SMV, il y a 250 cadres, soit un pour quatre. C'est le volume de cadres d'un régiment. Si vous voulez 10 000 ou 100 000 garçons et filles, faites le calcul. À 100 000, vous atteignez l'armée de terre au complet. Donc, ce n'est plus une armée de terre qui fait la guerre, c'est une armée de terre qui ne fait plus que de la cohésion sociale. C'est un choix politique. Je sais faire. À partir de là, quelle armée veut-on ? Où met-on le curseur ?

À propos de l'aéromobilité, beaucoup de choses ont été dites. Je vous précise qu'aujourd'hui, c'est le coeur de la capacité militaire. On ne fait plus rien sans hélicoptères, que ce soit sur le territoire national ou en opérations extérieures. Il y a donc un lien très fort entre l'aéromobilité et l'opérationnel.

L'hélicoptère moderne n'est plus celui d'autrefois, qui était techniquement assez simple. Les hélicoptères,aujourd'hui, ce sont des outils numériques, un système de pièces de rechange extrêmement pointu, au moins aussi pointu que celui de l'automobile. C'est de la navigabilité, de la sécurité aérienne.

Quand on raisonne « hélicoptères », il faut aller bien au-delà des machines. Il faut raisonner « chaîne de maintenance ». Or la chaîne est ce qu'elle est : il y a des intervalles. Faut-il autant d'intervalles entre les différents acteurs ? La question est posée. Cependant, la réponse ne doit pas se focaliser sur tel ou tel acteur (utilisateurs, BSAM, SIAé, SIMMAD et Airbus Helicopters) : il faut raisonner « global ». Donc, si vous nous aidez à diagnostiquer encore mieux cette chaîne dans sa globalité, vous serez clairement les bienvenus.

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