Intervention de général Jean-Pierre Bosser

Réunion du 11 octobre 2016 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

général Jean-Pierre Bosser, chef d'état-major de l'armée de terre :

Je commencerai par répondre sur la formation initiale. Si j'ai appuyé sur l'accélérateur des 11 000 recrutements en deux ans, c'était pour éviter qu'il n'y ait davantage de soldats expérimentés qui partent que de jeunes inexpérimentés qui arrivent ; c'est ce qui se serait passé si ces recrutements avaient été étalés dans le temps. J'ai pris en compte le fait que la durée de vie moyenne d'un engagé varie entre cinq et huit ans et j'ai souhaité concentrer cet espace pour que les uns et les autres « se superposent ».

Mais j'ai demandé en contrepartie que l'on veille à la qualité de la formation des soldats – savoir être et savoir-faire. D'où le ratio d'un instructeur pour quatre recrues, ce qui n'est pas classique. Vous vous souvenez sans doute que l'on m'avait demandé ici même si la quantité des recrutements ne risquait pas de se faire au détriment de la qualité. J'ai fait le pari de « la quantité plus la qualité », en deux ans, avec un ratio de formateurs de un pour quatre. Je suis en train de gagner ce pari. Je pense que j'aurai recruté 11 000 soldats fin décembre-début janvier. Et comme je vous l'ai dit, les premiers d'entre eux, engagés à Sentinelle, se sont comportés remarquablement bien, patrouillant dans les rues de France, avec armement et munitions, sans problème particulier.

Il est vrai que l'on m'a beaucoup dit qu'avec Sentinelle, tout le monde allait partir. Or aujourd'hui, je n'ai pas d'indicateur de baisse de la fidélisation. J'espère que cela n'arrivera pas. Je ne sais pas encore comment il faut l'interpréter, mais ce qui est sûr, c'est que nos hommes ont besoin d'action. Si en plus ils sont célibataires, ce qui est le cas d'environ 70 % d'entre eux, ils sont très clairement heureux d'être en mouvement. Et pour l'instant, il n'y a pas d'usure.

Ensuite, le premier GTIA SCORPION est prévu être projetable en 2021, et la première brigade SCORPION en 2023. Mais les premières livraisons interviendront dès 2018. Pour moi, SCORPION, ce n'est pas tant le véhicule en lui-même que son environnement.

On a fait un programme global, ce qui est une force pour l'armée de terre, qui n'en avait jamais eu. Mais c'est aussi une fragilité, dans la mesure où il y a plusieurs intervenants. Le Griffon, ce n'est pas qu'un véhicule, c'est aussi la numérisation tactique, la simulation, les munitions, etc. Voilà pourquoi j'appelle de mes voeux la coordination des industriels pour éviter un trop grand échelonnement des livraisons dans le temps.

Aujourd'hui, je ne m'inquiète pas à propos de Scorpion. Ce qui pourrait arriver, et ce serait une bonne chose, c'est qu'au lieu de dépenser de l'argent pour faire durer les VAB, on en dépense pour acquérir davantage de véhicules SCORPION. Cela ne devrait pas entraîner de difficulté majeure, puisque c'est le même industriel. Le seul problème qui pourrait se poser est que, en accélérant le processus, l'environnement ne suive pas. C'est mon souci sur le Griffon.

J'en viens aux troupes aéroportées. J'ai des inquiétudes qui sont liées à l'A400M et à sa capacité à larguer des parachutistes. En revanche, je n'ai pas de souci s'agissant du parachutage de matériel depuis cet avion. Avec l'acquisition par l'armée de l'air des C-130J, je m'y retrouverai globalement.

C'est un savoir-faire qu'il faut que l'on entretienne. Aujourd'hui, on largue toutes les semaines par air, de l'eau, du carburant à nos soldats en opération. À Abeïbara, nous assurons toutes les semaines une mission de livraison par air. On a largué des bulldozers pour refaire des pistes pour la force Serval. C'est un savoir-faire important sur lequel, honnêtement, je n'ai pas d'inquiétude majeure mais que j'entends conserver. D'ailleurs, sur les six brigades, une brigade parachutiste demeure dans le modèle « Au contact ».

Monsieur le député Audibert-Troin, vous avez parlé de la PPT et de la règle des quatre i. C'est un peu l'ancien temps. Cela ne veut pas dire que l'on va balayer les quatre i en même temps. Il y en a sans doute quelques-uns qui ont encore du sens. En revanche, au regard de la mission que l'on mène actuellement, certains ont effectivement perdu de leur validité.

Personnellement, je n'ai pas changé de ligne en matière de prérogatives. Je ne suis toujours pas favorable, à ce stade, à ce que nos soldats aient des pouvoirs à caractère judiciaire. Je pense que ce qui fait notre force, c'est aussi de ne pas avoir les mêmes prérogatives, les mêmes modes d'action, les mêmes finalités que nos amis des forces de sécurité intérieure. Je suis plutôt pour la complémentarité des forces, plutôt que d'avoir deux forces munies des mêmes pouvoirs sur le terrain. Maintenant, le risque que vous soulevez existe. Je ne vous dirais pas la vérité si je vous cachais que certains de nos hommes souhaitent, ou attendent peut-être, l'élargissement de leur mission au travers de nouveaux pouvoirs particuliers.

Vous avez compris que je m'oriente plutôt sur une posture de protection terrestre. En fait, le grand intérêt de cette posture, c'est d'aligner le milieu terrestre sur les autres milieux. Il y avait, hier, deux PPS – postures permanentes de sûreté – de deux armées, et au milieu, le vide était comblé par un « pied de colonne » de 10 000 hommes pour un mois, résultant des travaux du Livre Blanc. D'ailleurs, très peu de gens étaient capables d'expliquer clairement pourquoi 10 000 hommes, quand, comment, etc.

Aujourd'hui, on a une case au milieu, que l'on appelle « posture de protection terrestre » que l'on va construire brique par brique et dont je vous ai défini les grandes lignes. Avec cette posture, si la situation venait à empirer, si l'on avait à faire face à une menace terroriste d'une plus grande ampleur et d'une plus grande intensité, je pense que l'on s'adapterait plus efficacement.

Sur le contexte budgétaire, tout ce que vous avez rapporté, Monsieur de la Verpillière, est juste : c'est exactement ce que j'ai dit.

J'ai dit également que pour 2017, on n'atteindra pas les cibles en matière d'heures de vol et d'entraînement opérationnel, parce que la FOT ne sera pas encore en état de pouvoir consommer ce qui nous aurait été normalement alloué pour 90 jours de terrain. On ne le fera pas pour des questions pratiques.

S'agissant de l'infrastructure, je remarque que c'est l'entretien qui pose problème. Tous ceux qui sont propriétaires de biens savent que si on n'entretient pas sa maison au fur et à mesure, le jour où il faut la réparer, la somme est trop élevée. En fait, je veille à ce que la dégradation ne nous amène pas à un point de non-retour. Deux euros du mètre carré, c'est insuffisant.

Nous sommes en train d'essayer d'évoluer sur la manière de dépenser physiquement les budgets qui sont consacrés à l'infrastructure. J'ai demandé, par exemple, au Service d'infrastructure de la défense – SID – de libérer un peu les énergies, de permettre à la main-d'oeuvre d'être plus active, de faire davantage appel à des entreprises locales. Ainsi, les entreprises autour du Larzac pourraient nous aider à installer la 13e DBLE, même si elles ne peuvent probablement pas tout faire, parce qu'elles n'ont pas forcément la dimension ou les compétences suffisantes. En tout cas, c'est un sujet sur lequel il faut encore travailler, d'autant plus que les habitudes ont changé depuis 1996.

En 1996, les soldats, généralement les appelés, logeaient au quartier. Au fur et à mesure de la montée en puissance de la professionnalisation, beaucoup se sont logés à l'extérieur. Et puis, sans doute pour des raisons économiques, peut-être aussi, pour des raisons de sécurité, on assiste à un retour au quartier. C'est une tendance extrêmement lourde, qui nous impose d'imaginer une vie au régiment comme une vie à la maison : des infrastructures de qualité, avec des espaces de détente, de lavage du linge, etc. C'est sans doute une des évolutions majeures dont il faudra tenir compte dans les cinq années qui viennent.

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