Intervention de Général Pierre de Villiers

Réunion du 12 octobre 2016 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées :

…il s'agit ensuite des conséquences des décisions de financer les surcoûts liés à la Garde nationale. Pour 2017 – et la décision vient d'être officialisée, il y a quelques minutes, par le président de la République –, ce sont de l'ordre de 45 millions d'euros qu'il faudra trouver en loi de finances rectificative. Troisième risque : la consommation de 250 millions d'euros de ressources issues de cessions, dont 200 millions d'euros de cessions immobilières, soit 100 millions d'euros supplémentaires, alors que nous connaissons le caractère éminemment aléatoire de ce type de ressources. Enfin, le financement des mesures catégorielles éventuellement décidées dans le cadre du conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) du 16 novembre prochain.

Le PLF 2017 confirme la stabilisation des ressources à 1,77 % du PIB, pensions incluses. Il donne les moyens nécessaires à la mise en oeuvre de notre modèle d'armée. C'était indispensable. Cependant, comme vous le savez, le costume reste taillé au plus juste et alors que les principales ruptures capacitaires acceptées lors de la construction de cette LPM sont encore devant nous. C'est la raison pour laquelle les armées poursuivent leur transformation sur la base d'un projet commun, Cap 2020, non pas pour dégager de nouvelles marges de manoeuvre – qui en réalité n'existent plus, puisque dans ce domaine tout a déjà été fait – mais pour gagner en agilité, optimiser nos capacités opérationnelles et affûter notre organisation générale. L'objectif est de nous prémunir du « grain de sable » qui pourrait conduire à la défaite.

Cela me conduit naturellement à ma dernière partie.

Mes préoccupations sont au nombre de quatre : le moral, notre modèle de ressources humaines, la protection et la défense de notre personnel et de nos installations militaires et, bien sûr, ce que j'appelle l'effort de guerre.

Premier point de vigilance : le moral. Je l'évoque à chacune de mes auditions car il constitue une part déterminante de la capacité opérationnelle des armées – c'est l'idée que je me fais du chef qui doit avant tout s'occuper du moral de ses hommes : c'est le carburant pour la victoire.

Comment va le moral de nos armées ? Il est aujourd'hui contrasté : porté par les opérations, il est néanmoins fragilisé par des motifs d'insatisfaction liés à la conciliation de la vie professionnelle et de la vie privée, mais aussi, parfois, aux conditions de travail.

Vous le savez, les hommes et les femmes de nos armées ont un sens aigu du service. Cet engagement fait notre fierté et appelle la reconnaissance de la Nation, tout entière. Face aux dangers qui montent, tous ont pleinement conscience de leurs responsabilités. Leur moral est robuste quand ils sont directement employés pour la défense de notre pays. Je le constate, lorsque je les visite – au moins deux fois par semaine ; c'est aussi mon carburant – en opération extérieure ou intérieure, là où se concrétise le sens de leur engagement. Mais je constate aussi que les hommes et les femmes qui servent dans nos rangs attendent de justes compensations des efforts consentis. Nous avons, donc, un devoir de vigilance absolue sur ce sujet. C'est la raison pour laquelle je place le moral au premier rang de mes préoccupations.

Le manque de moyens humains et matériels au quotidien, les difficultés de la famille à gérer l'indisponibilité accrue et les difficultés du conjoint à accéder à l'emploi contribuent, directement, à la fragilisation du moral. Ces nombreuses complications alimentent le sentiment d'un déséquilibre croissant entre les principales sujétions, d'une part, et les différentes compensations accordées – pécuniaires, statutaires ou professionnelles –, d'autre part. Le Haut comité d'évaluation de la condition militaire (HCECM) a souvent écrit sur ce sujet récurrent ces dernières années des rapports très intéressants.

Sur la base de ce constat, des mesures ont bien été prises. Ainsi, en 2017, 207 millions d'euros de dépenses catégorielles nouvelles, par rapport à 2016, ont été intégrés en programmation, dans deux directions : d'abord la compensation de la « suractivité » – je devrais parler de la « sur-absence » du domicile familial –, avec la création de l'indemnité d'absence cumulée à partir de 150 jours et l'élargissement de l'indemnité pour sujétion spéciale d'alerte opérationnelle (AOPER), dont le montant a été doublé, cet été, en passant de 5 à 10 euros par jour ; ensuite l'équité interministérielle, avec la transposition du protocole sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations, pour le personnel militaire et le personnel civil.

Des perspectives sont donc ouvertes et contribuent directement au soutien du moral. Il ne faudrait pas, cependant, que cet espoir soit déçu. Or, certaines mesures, dites d'équité, très attendues, restent incertaines comme la transposition du protocole adopté pour la gendarmerie ou la monétisation de cinq jours supplémentaires d'indemnités pour temps d'activité et d'obligations professionnelles complémentaires (ITAOPC) à raison de 85 euros par jour. Les gendarmes ont obtenu quinze jours et les militaires souhaiteraient qu'il en soit de même pour eux. Le CSFM du mois de novembre constituera, sur ce plan, un rendez-vous majeur à ne pas manquer. Il y a là un enjeu à la fois humain et opérationnel.

Le deuxième point de vigilance touche au modèle des ressources humaines (RH) – c'est la clef.

À chacune de mes fréquentes rencontres avec la jeunesse qui est dans nos rangs – y compris quand c'est depuis quelques jours à peine –, je constate combien elle est talentueuse et enthousiaste ; elle ne demande qu'à se réaliser et à donner le meilleur d'elle-même. Je crois fermement en ses qualités et j'apprécie son état d'esprit. Nous avons une belle jeunesse qui mérite qu'on s'investisse pour elle. Je m'attache à ce que les armées assument leurs responsabilités vis-à-vis d'elle : parfois nous intégrons des jeunes en très mauvais état et nous en faisons des héros en quelques mois ou en quelques années. Je tiens donc à ce qu'ils soient formés avec sérieux et professionnalisme. La jeunesse est notre plus grande force.

Notre modèle RH doit avoir la double ambition de répondre aux besoins de nos armées, bien sûr et avant tout, mais également d'entendre et de prendre en compte les légitimes aspirations des jeunes qui y servent.

À cet effet, avec les chefs d'état-major d'armée, nous voulons un modèle plus dynamique dans ses flux, mieux « pyramidé », plus souple, plus attractif. Nous voulons rétablir la cohérence entre le grade, les responsabilités et la rémunération. Nous voulons renforcer la transparence dans la gestion et multiplier les passerelles entre notre institution et le monde civil. En un mot, la construction de l'armée de nos besoins doit aller de pair avec une approche résolument humaine. C'est tout l'objet du volet RH de notre projet de transformation Cap 2020. Je vous en ai déjà parlé plusieurs fois.

Ce modèle RH intègre également un volet spécifique pour la réserve, vivier de multiples compétences, pivot du lien armées-Nation et précieux renfort pour les armées – je sais que cette question des réserves vous est chère. Ainsi, au cours du premier semestre 2016, ce sont plus de 500 réservistes, en moyenne, qui sont déployés sur notre territoire national, chaque jour – l'objectif est d'atteindre une capacité de déploiement de 1 500 réservistes avant la fin de l'année 2018. Aux réservistes aussi, il convient d'apporter une réponse en termes de lisibilité de carrière et de perspective d'évolution tout en répondant aux besoins croissants des armées.

De ce point de vue, la création de la Garde nationale, qui est présentée, en ce moment même en conseil des ministres, représente une opportunité en termes d'attractivité et de parcours de carrière pour nos « militaires à temps partiel ». C'est une grande avancée que nous attendions depuis longtemps – de fait depuis 1996. Je suis prêt à répondre à vos questions sur ce point, si vous le souhaitez.

Le troisième point de vigilance est la protection et la défense de notre personnel et de nos installations militaires.

La menace terroriste qui pèse sur notre pays vise aussi – et peut-être en priorité – les militaires pour ce qu'ils représentent. Nous devons prendre toutes les mesures nécessaires pour renforcer la sécurité de nos installations, de nos militaires et de leurs familles. Il s'agit de se protéger sans se retrancher. Nous devons notamment nous interroger sur la pertinence de l'externalisation de certaines fonctions, comme celle du gardiennage. Le personnel affecté sur chaque emprise doit rester le premier acteur d'une défense collective, cohérente et coordonnée. Un effort doit également être produit en termes de durcissement des installations. Ce sera le cas en 2017 et 2018 grâce à la priorité définie en programmation. Il faudra poursuivre les opérations engagées au-delà de 2018. Cela passera nécessairement par des dépenses d'infrastructures et de personnel supplémentaires.

Enfin, quatrième et dernier point de vigilance : l'effort de guerre.

Tout le monde l'a compris : c'est le prix de la paix. La nécessité de mettre la nation tout entière en ordre de bataille fait désormais consensus. Le Premier ministre lui-même a repris à son compte cet objectif de porter le budget de la défense à 2 % du PIB. Il l'a d'ailleurs confirmé à Dakar, le 23 septembre dernier, devant les éléments français du Sénégal en réaffirmant : « Nous continuerons à accroître notre effort de défense, un effort indispensable pour répondre aux enjeux de sécurité, et notamment ce continuum inédit entre sécurité intérieure et sécurité extérieure ». Tout est dit.

L'actualisation de la loi de programmation militaire 2014-2019 a marqué une première étape en mettant un terme inédit à la tendance baissière des trente-cinq dernières années. Désormais, cet effort doit se traduire par une hausse progressive du budget de la défense pour, je le répète, rejoindre la cible de 2 % du PIB durant le prochain quinquennat et si possible dès 2020 – à savoir 41 milliards d'euros de 2017. Cet effort, qui correspond, d'ailleurs, à un engagement international de la France et de ses partenaires de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), a le mérite de la clarté. Il compensera l'usure accélérée de notre modèle d'armée.

Mon constat est que, dorénavant, cet effort ne pourra être ni allégé, ni reporté, en dépit de la complexité de l'équation budgétaire étatique prévisionnelle, en particulier dès 2018. Il vise à atteindre trois objectifs qui tous concourent à la robustesse et à l'efficacité de nos armées.

Le premier objectif est de « boucher les trous », c'est-à-dire de récupérer des capacités auxquelles il avait fallu renoncer temporairement pour des raisons budgétaires, à un moment où le contexte sécuritaire était très différent. C'est le cas, par exemple, des patrouilleurs hauturiers nécessaires à la surveillance des côtes ou des pétroliers ravitailleurs ; c'est également le cas des avions ravitailleurs – qui ont plus de cinquante ans – et des avions de transport tactique qui permettent d'agir dans la profondeur ; il en va de même pour les véhicules blindés qui connaissent un vieillissement accéléré et dont le nombre doit être réévalué pour permettre à la force opérationnelle terrestre de préserver sa capacité à entrer en premier sur un théâtre. Ce ne sont là que quelques exemples.

Les menaces ne diminuant pas, le deuxième objectif consiste à aligner les contrats opérationnels simplement sur la réalité des moyens que nous engageons aujourd'hui. Ces contrats, détaillés dans le Livre blanc, sont désormais en deçà de l'engagement réel et actuel de nos forces. Cette situation de distorsion est commune à nos trois armées. Elle n'est pas tenable dans un contexte de dégradation durable de la sécurité.

Le troisième objectif vise à assurer l'indispensable crédibilité de la dissuasion nucléaire par le renouvellement successif de ses deux composantes, océanique puis aéroportée. Pour être soutenable, l'effort doit être lissé sur les quinze prochaines années ; il y va de la cohérence de notre défense au moment du retour des États-puissances. Différer cette décision équivaudrait, en réalité, à un renoncement.

Je considère, qu'en maintenant l'effort de défense à 1,77 % du PIB, le PLF 2017 permet d'éviter le décrochage de nos moyens par rapport à nos missions et à la menace. Ce faisant, il constitue une base crédible pour amorcer la remontée en puissance et l'accroissement de l'effort de défense qu'avec les trois chefs d'état-major d'armées nous appelons de nos voeux, dès 2018.

Mesdames et Messieurs les députés, vous le voyez, nous sommes entrés dans des temps difficiles et incertains. Les perspectives sécuritaires sont dégradées. Les guerres actuelles durent. Les foyers de crises se multiplient aux portes de l'Europe. Les États-puissances développent des stratégies de plus en plus offensives et le terrorisme djihadiste frappe jusque sur notre sol. Désormais, il n'est plus possible de « tenir la guerre à distance » ni de la « cantonner dans un cadre strict ».

Dans ce contexte, je crois que nous pouvons être légitimement fiers de ce que réalisent – et de ce que sont – nos armées, directions et services. Je le dis avec mes tripes. Fiers, d'une part, parce que nos armées ont su s'adapter en temps réel au durcissement de la donne sécuritaire ; voilà deux ans et demi que je suis chef d'état-major des armées et je puis vous assurer que nous ne cessons de nous adapter. Les opérations que nous menons – interministérielles, interarmées, interalliées – démontrent le professionnalisme, l'expérience et la maturité de nos forces. Fiers, d'autre part, des hommes et des femmes qui ne mesurent pas leurs efforts et cherchent avec constance et volonté à surmonter des difficultés que vous connaissez dans le détail ; il faut continuer à les traiter pour permettre à nos armées de durer et à notre modèle de perdurer.

Nos armées font l'admiration de nos alliés et j'aimerais pouvoir vous communiquer leurs regards admiratifs. Je le mesure, systématiquement, au sein des instances de l'OTAN, de l'Union européenne et lors des réunions avec la coalition.

Il faut poursuivre dans cette voie. Il faut conserver la garde haute !

C'est, d'ailleurs, ce que pressentent nos concitoyens, confrontés à l'évolution rapide de la situation sécuritaire.

Je vous remercie encore du soutien sans faille dont votre commission a gratifié les armées tout au long de ces dernières années. Vous pouvez compter sur mon engagement personnel, sur ma pugnacité et sur ma totale loyauté. Je nous sais tous ici habités d'une seule ambition : le succès des armes de la France au service d'une paix d'avance.

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