Intervention de Général Pierre de Villiers

Réunion du 12 octobre 2016 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées :

En ce qui concerne l'action sur le territoire national, au sol, je vous ai rappelé qu'au moment des attentats du 7 janvier 2015, environ 1 000 soldats étaient déployés dans le cadre du plan Vigipirate dans les lieux publics. Ce dispositif, « à l'ancienne », était statique. Nous sommes dès lors passés à un effectif de près de 10 000 soldats, en oscillant régulièrement, par la suite, entre 7 000 et 10 000 soldats. Au fur et à mesure de l'annulation des déflations – de 18 750 personnes, à l'occasion d'une première tranche, et de 10 000, à l'occasion d'une seconde tranche – nous avons regonflé la force opérationnelle terrestre sous enveloppe d'effectifs.

Ce qui reste à construire, et je partage votre interrogation, c'est l'adaptation permanente de nos modes d'action à l'ennemi, à l'adversaire, à l'acte terroriste militarisé – pour reprendre les mots du ministre de la Défense. Les armées peuvent largement y contribuer, fortes de leur savoir-faire en opérations extérieures. Il ne faut toutefois pas se méprendre et bien s'en tenir aux principes : le ministre de l'Intérieur est le responsable de la sécurité à l'intérieur du territoire national ; aussi nous ne nous substituons pas aux forces de sécurité intérieure, mais nous les complétons. Nous disposons d'équipements spécifiques à la meilleure utilisation desquels nous devons travailler. Nous devons améliorer la synergie entre les armées et les forces de sécurité intérieure, notamment en matière d'échange d'informations. D'un point de vue technique, nous avons d'ailleurs progressé puisque nos moyens de transmissions sont désormais compatibles.

Ensuite, nous avons franchi un cap, cet été, dans les modes d'action. J'y ai beaucoup travaillé avec le général Bosser et avec le général Favier. Nous sommes persuadés que nous devons mieux travailler avec les forces de sécurité intérieure, notamment avec la gendarmerie, selon des modes d'action dynamiques, de contrôle des flux arrières y compris aux frontières. L'été dernier, nous avons expérimenté un premier dispositif à la frontière belge, très intéressant et très productif. En effet, si l'on s'en tient à un dispositif fixe composé de seuls gendarmes, on est beaucoup moins efficace qu'avec une force militaire qui les accompagne, musclée, mobile et totalement imprévisible pour les terroristes. Nous avons obtenu des résultats remarquables.

Comprenez néanmoins que nous sommes au début d'un processus d'adaptation de nos méthodes, pour une meilleure coopération. La force militaire apportant sa spécificité et les forces de sécurité intérieure étant responsables, je l'ai dit, de la sécurité sur le territoire national. Je ne veux pas vous donner l'impression que nous avons toutes les recettes ; nous définissons des pistes qu'il faut ensuite affiner.

Prenons l'exemple de Paris. En dix-huit mois, nous avons entièrement modifié notre organisation. Il s'agit d'une véritable révolution, dont peu d'institutions sont capables en Europe et qui suscite l'admiration de mes homologues. Depuis l'hiver dernier, trois GTIA (groupements tactiques interarmes) sont déployés dans la capitale, et ils sont commandés chacun par un colonel, comme en opération extérieure. Ce nouveau dispositif est d'une remarquable efficacité, encore plus depuis l'été où nous avons abandonné les gardes statiques. Ainsi, un colonel que je connais – car il faut être informé par le haut et par le bas – vient d'achever ses deux mois de présence à Paris dans le cadre de l'opération Sentinelle et il m'a écrit que cela n'avait rien à voir avec la mission qu'il avait accomplie il y a un an. C'est enfin « une mission de chef », m'a-t-il dit ! De fait, le chef de corps commande l'ensemble de ses unités ce qui représente en tout 1 700 hommes– ; le capitaine commande sa compagnie, avec une vraie manoeuvre de zone, et le chef de section est responsable de l'application des bons processus tactiques au plus bas niveau avec ses chefs de groupe. C'est cette organisation que nous devons continuer à mettre en oeuvre ; l'évolution n'en est qu'à ses débuts. Le général Bosser et moi sommes parfaitement d'accord sur ce point. L'armée de terre travaille d'ailleurs avec l'état-major des armées pour établir une doctrine prenant en compte le besoin de modes d'action évolutifs.

J'ajoute que, puisque les terroristes peuvent nous attaquer sur les différents terrains, nous devons faire le lien entre action terrestre et action maritime, notamment dans les ports, entre action terrestre et bases aériennes, etc. Il n'y a pas, d'un côté, Sentinelle et, de l'autre Cuirasse, le dispositif de protection de nos emprises. Il s'agit d'une approche globale : terrestre, aérienne, maritime, sans oublier la cyberdéfense.

J'en viens maintenant aux coûts des facteurs. Ceux-ci ont fait l'objet de deux rapports rédigés conjointement par l'Inspection générale des finances (IGF) et le Contrôle général des armées (CGA). Comme vous, je lis les rapports. Les bénéfices attendus des coûts des facteurs sont évalués, sur les trois années à venir, à trois milliards d'euros. Quant aux charges additionnelles, c'est-à-dire celles qui n'ont pas été prévues dans la LPM et qui se surajoutent au fil du temps, qu'elles soient étatiques – prix de l'électricité, par exemple – ou spécifiques au plan opérationnel ou au plan organique, elles sont évaluées à quatre milliards d'euros. Le second rapport a conclu que le gain attendu n'était pas supérieur à ce qui avait été dit. Ainsi, pour 2017, les économies sur les coûts des facteurs sont évaluées à 630 millions et les charges additionnelles à 900 millions. Enfin, les indices économiques de mai 2016 laisseraient une marge de manoeuvre de 200 millions d'euros, qui compléterait les 600 millions d'euros que nous avons obtenus pour le PLF. Certes, tout cela méritera d'être analysé en gestion, et il faudra être vigilant. Mais je ne m'en suis pas caché : je vous ai dit que c'était un des risques que j'avais identifiés.

Pourquoi ne pas augmenter le budget de la défense dès 2017 dans le cadre de l'objectif des 2 % du PIB ? C'est une bonne question ! Je suis là pour vous tenir un langage de vérité. Objectivement, l'effort consenti par l'État, ne serait-ce que pour arrêter la baisse et maintenir le budget à 1,77 % du PIB, est considérable ; personne ne l'a fait auparavant. En outre, il est très difficile d'inverser un processus. Or, depuis la guerre d'Algérie, les armées se sont réorganisées sous le coup de déflations successives. Aujourd'hui, elles doivent faire face à une remontée en puissance ; c'est un changement de la donne. Donc, nous stabilisons en 2017, puis nous augmenterons en 2018, 2019 et 2020. Oui, en 2018, l'effort sera important. Pour 2017, il est déjà très important, puisque non seulement le budget n'a pas baissé, comme le prévoyait la LPM initiale votée en 2012, mais il a augmenté en valeur absolue. Au bilan, on stabilise aujourd'hui l'effort de défense et il faudra franchir une marche importante en 2018 pour amorcer la remontée en puissance.

Si nous avions atteint 2 % du PIB, ce n'est pas 600 millions supplémentaires (par rapport à la LFI 2016) que nous aurions obtenus, mais plus de cinq milliards. Le ministre de la Défense et moi-même, nous nous devons d'être responsables. L'objectif que nous avons fixé me semble être un bon compromis entre le souci des finances publiques, c'est-à-dire la souveraineté économique, et la souveraineté de défense. Pour le reste, le contexte géostratégique a changé cette année : le niveau de tension sécuritaire n'était pas du tout le même dans les deux types de conflictualité – retour des États-puissances et terrorisme international – lorsque je suis venu devant vous l'année dernière à la même époque.

Qu'en est-il de nos relations militaires avec la Russie ? Ces relations existent ; elles dépendent, comme toujours, des à-coups des relations politiques. Nous les avons renouées, à la demande du président de la République, à l'automne dernier. J'ai donc rendu visite, à Moscou, à mon homologue, le général Guerassimov, le 23 décembre dernier. Cette réunion de travail a permis de poser les bases d'une déconfliction entre nos groupes aéronavals en Méditerranée et d'initier des discussions visant à identifier les groupes terroristes en Syrie. Nous avons ainsi convenu de rétablir progressivement nos relations via nos cellules de renseignement. Depuis, je n'ai pas eu de contact direct, personnel, avec le général Guerassimov. Mais, si l'on veut établir une paix durable, en Syrie, en Irak et dans le reste du monde, il faudra que l'ensemble des acteurs y soient associés, car s'il en manque un seul, le plan de paix échouera. Or, ces acteurs sont nombreux, et la Russie en fait incontestablement partie.

Pour ce qui concerne la Tunisie, j'entretiens les meilleures relations avec mon homologue qui est venu me rendre visite récemment à Paris. Leur système est un peu différent du nôtre, puisque le CEMAT est également CEMA. Nous les invitons d'ailleurs à « s'interarmiser », de façon à ce qu'ils disposent d'un outil permettant de protéger leur territoire de façon globale. La Tunisie fait évidemment l'objet de toutes les attentions, politiques et militaires. Le ministre de la Défense a convenu avec son homologue d'un plan budgétaire ; je rencontrerai, quant à moi, mon homologue tunisien la semaine prochaine. Nous sommes en contact permanent, et nous les aidons dans le cadre de coopérations portant sur le renseignement, les forces spéciales, l'équipement, etc. C'est fondamental, car la stabilité de la Tunisie est une condition essentielle pour la stabilité de la zone.

En ce qui concerne le Liban, je rencontrerai mon homologue libanais à Washington lundi. La France entretient avec ce pays une relation particulière, y compris au plan militaire. Je connais très bien le général Kahwagi, que je rencontre régulièrement. Au sein de la FINUL, la force française au Liban, qui comprend près de 900 soldats, représente d'une certaine manière une assurance pour les Libanais.

En ce qui concerne les fusiliers marins, je préfère appréhender la problématique globalement, en incluant les commandos de l'air et, plus largement, tous les militaires chargés de la protection des emprises militaires. Ces composantes ont largement diminué depuis de nombreuses années, notamment dans le cadre de la RGPP, qui a été appliquée dans un autre contexte sécuritaire. Aujourd'hui, nous devons remonter en puissance, car notre dispositif n'est plus du tout adapté. De ce fait, les unités sont en surchauffe. Or, plus il y a surchauffe, moins on fidélise le personnel, et moins on le fidélise, plus il faut recruter. Nous devons briser ce cercle vicieux. Ainsi, nous voulons augmenter d'environ 600 le nombre des fusiliers marins – nous avons obtenu les effectifs –, mais nous devons également garder ceux qui sont en poste. Nos fusiliers marins et nos commandos de l'air doivent atteindre un niveau d'effectifs qui leur permette de ne plus être en suractivité. J'y suis extrêmement attaché, car je ne dissocie pas le dispositif Sentinelle de la protection de nos emprises ; c'est une même problématique.

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