Puisque nous examinerons les crédits en commission élargie, je mettrai l'accent sur le portage politique de deux sujets éminemment importants.
Alors que le Président Obama reçoit son conseiller à la recherche tous les vendredis, que la Chancelière Angela Merkel préside le board de la stratégie High Tech, qui définit la politique allemande de recherche et développement, et que le Premier ministre du Japon a l'obligation – inscrite dans la Constitution – de présider la réunion mensuelle du Conseil de la recherche, on ne peut pas dire que la recherche française bénéficie du même portage politique. Cette situation est particulièrement notable dans les deux pathologies à travers lesquelles j'ai décidé d'analyser, cette année, les crédits de la mission « Recherche », qui me semblent constituer des enjeux majeurs de santé publique pour les décennies à venir : la maladie d'Alzheimer et le diabète.
La maladie d'Alzheimer est une maladie neurodégénérative, qui touche principalement des sujets âgés et conduit à une dégradation des fonctions cognitives et à une très forte dépendance sociale. Longtemps considérée comme une caractéristique « normale » du vieillissement, cette maladie découverte au début du XXe siècle est aujourd'hui analysée comme une pathologie à part entière. Elle touche actuellement 900 000 personnes en France, et 3 millions de personnes si l'on considère le rôle primordial que jouent les aidants et leurs familles, qui sont fortement impactées. Or ce chiffre devrait doubler d'ici à 2050. Un chercheur me signalait que, dans le monde, toutes les trois secondes, une personne est atteinte d'une maladie neurodégénérative. C'est un véritable fléau.
Le diabète est, quant à lui, une maladie métabolique aux conséquences extrêmement graves puisqu'il peut conduire à des problèmes cardiaques, à des accidents vasculaires cérébraux, à de l'insuffisance rénale et à la cécité. Il touche aujourd'hui 3,6 millions de personnes en France et va assurément devenir une véritable pandémie dans les années à venir. D'après l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le diabète sera la septième cause de décès dans le monde en 2030.
Si j'insiste sur la dimension mondiale de ces maladies, c'est que nous ne sommes pas loin, par la Méditerranée, des côtes de l'Afrique, notamment subsaharienne, où l'on voit déjà s'opérer la hiérarchie des maladies, des maladies infectieuses aux maladies chroniques, parmi lesquelles sont repérées le diabète et la maladie d'Alzheimer. Ce qui frappe aujourd'hui des sociétés extrêmement jeunes et dynamiques nous concernera inévitablement un jour, compte tenu de la proximité géographique que j'évoquais. Il s'agit d'une cause mondiale qui nous concerne tous. Ce n'est pas qu'un problème franco-français.
Eu égard au coût économique et social que représentent ces deux pathologies, un effort de recherche conséquent a été consenti au cours des deux dernières décennies.
Le diabète, s'il n'a pas fait, en tant que tel, l'objet d'un plan gouvernemental depuis 2001, a bénéficié de crédits issus du Programme d'investissements d'avenir (PIA) dont tous les chercheurs ont souhaité souligner la qualité. Il existe notamment un laboratoire d'excellence (LABEX) spécialisé dans la génétique du diabète, l'Institut européen de génomique du diabète (EGID), et trois autres qui portent sur des sujets de recherche plus transversaux, ainsi que deux équipements d'excellence (EQUIPEX). Au total, ce sont une quarantaine d'équipes de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et 170 chercheurs du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) qui travaillent sur ce sujet.
Je voudrais également mettre l'accent sur l'excellence de la recherche française. La France est au dixième rang mondial en termes de publications ; l'Inserm et l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) sont parmi les meilleurs organismes de recherche sur le sujet. Deux chercheurs d'EGID ont récemment reçu des bourses individuelles, extrêmement prestigieuses, du Conseil européen de la Recherche. La France compte peu d'équipes dans ce domaine, mais elles sont tout à fait remarquables. C'est pourquoi cet effort de recherche doit absolument être poursuivi, notamment dans le domaine de la recherche clinique et de la recherche en santé publique, afin de mieux prévenir, diagnostiquer et traiter la maladie. Sans même évoquer l'attribution de moyens supplémentaires, il me semble qu'il faudrait accéder aux demandes récurrentes des associations dans ce domaine et faire du diabète une grande cause nationale. En effet, cette pathologie est encore trop méconnue du grand public et vécue comme honteuse, puisque souvent liée à des problèmes d'hygiène de vie ou de rapport au sport. Cela constitue un frein psychologique important à la recherche clinique dans ce domaine.
La maladie d'Alzheimer, à l'inverse, fait l'objet de plans gouvernementaux depuis plusieurs années, qui ont permis des avancées notables dans la compréhension de la pathologie. Ce sont ces plans qui ont permis à la France de se hisser au huitième rang mondial en ce qui concerne les publications sur la maladie d'Alzheimer, avec 5 % de la production mondiale et deux établissements en pointe sur le sujet, l'Inserm et le CNRS.
Deux facteurs ont présidé à l'efficacité de ces plans : l'octroi de crédits supplémentaires et le portage de ces plans à un très haut niveau politique. Tous les chercheurs ont mentionné la nécessité, lorsqu'on voulait faire émerger une cause, de la porter au plus haut niveau, garantie d'une absolue transversalité et d'un rapport étroit entre tous les domaines concernés par le sujet. Or le plan récemment annoncé par le Gouvernement semble pâtir d'une certaine faiblesse à cet égard : aucun crédit supplémentaire en faveur de la recherche n'a été annoncé, et le portage politique semble se situer au niveau des cabinets ministériels et non des ministres eux-mêmes.
Par ailleurs, ce plan n'est pas consacré à la maladie d'Alzheimer, mais à l'ensemble des maladies neurodégénératives. Si l'on comprend bien la volonté de répondre à la demande des familles, il n'en reste pas moins que cela risque de conduire à un saupoudrage des moyens. Le risque est également que la France perde l'avance acquise dans ce domaine, dans la compétition internationale. Je crains que ce plan ne fasse pas le poids face aux Américains et aux Anglais : la candidate à l'élection présidentielle américaine Hillary Clinton a annoncé un financement annuel à hauteur de 2 milliards de dollars, tandis que le Royaume-Uni crée un Institut de recherche sur les démences.
Par ailleurs, si la maladie d'Alzheimer a bénéficié, comme le diabète, de fonds issus du PIA, les chercheurs que j'ai entendus ont exprimé des craintes face à l'avenir. Ils ont besoin de financements pérennes, sur le moyen terme, pour pouvoir mener à bien leurs recherches. En outre, la tendance actuelle à exiger l'application immédiate aux patients dans la rédaction des appels à projet prive la recherche sur la maladie d'Alzheimer de financements, car la recherche sur cette pathologie n'en est pas encore là.
Il importe donc de soutenir sur le long terme les 280 équipes du CNRS et de l'Inserm qui travaillent sur les maladies neurodégénératives, et d'abonder le programme d'investissements d'avenir pour continuer à financer les trois LABEX, les trois EQUIPEX et l'Institut hospitalo-universitaire des neurosciences translationnelles de Paris, qui conduisent des projets de recherche sur la maladie d'Alzheimer.
Il apparaît également nécessaire d'entamer une réflexion au plus haut niveau de l'État sur les méthodes de recherche aujourd'hui accessibles à ces chercheurs. Tous ont souligné les difficultés à obtenir, en France, des autorisations pour effectuer des biopsies humaines, en particulier du muscle, dans des délais raisonnables, ce qui fait que les chercheurs ont tendance à aller chercher en Europe, notamment en Allemagne ou aux Pays-Bas, ce qu'ils n'ont pas immédiatement dans notre pays.
De la même façon, il va falloir investir dans des méthodes d'expérimentation alternatives à l'expérimentation animale, qui est de plus en plus difficilement tolérée par la société et qui n'est pas toujours adaptée aux pathologies étudiées, comme c'est le cas pour la maladie d'Alzheimer. L'espérance de vie de la souris ou son cerveau, par exemple, ne sont pas comparables à ceux de l'homme.
Il faut aussi encourager les patients à participer à des essais thérapeutiques, qui manquent cruellement à la recherche française sur le diabète. En Australie et en Grande-Bretagne, des centres spécialisés accueillent, par exemple, les patients pris en charge dans le cadre d'un essai clinique.
En outre, il me semble indispensable de prendre des mesures rapides visant à doter la recherche française de bio-informaticiens de haut niveau, car ceux-ci sont aujourd'hui trop peu nombreux en France. Les élus engagés dans les exécutifs territoriaux, comme les régions, devraient travailler à faire émerger ces filières, qui sont extrêmement importantes. Nous avons des biologistes, nous avons des informaticiens, mais le croisement entre les deux domaines, en termes de spécialité, nous fait cruellement défaut.
De façon générale, cet avis budgétaire constitue l'occasion de souligner, encore une fois, les problèmes en matière de ressources humaines rencontrés par les organismes de recherche. Qu'il s'agisse des doctorants intégrés aux équipes de recherche, qui peinent à achever leur thèse dans le délai de trois ans désormais imposé par toutes les universités françaises, ou de ceux que l'on appelle les « post-doc », qui ne peuvent pas passer plus de cinq ans dans le même organisme et sont donc contraints à la précarité, faute d'être titularisés, le monde de la recherche perd, dans ce renouvellement perpétuel des effectifs, à la fois une énergie considérable et des capitaux.
Au final, la situation des jeunes chercheurs, aujourd'hui très problématique, mériterait de faire l'objet d'une réflexion plus poussée dans le cadre des travaux de notre commission.