Intervention de Valérie Corre

Réunion du 19 octobre 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaValérie Corre, rapporteure pour avis sur les crédits de l'enseignement supérieur et de la vie étudiante :

Depuis trente ans, la proportion de la classe d'âge diplômée dans l'enseignement supérieur est passée de 20 % à 44 %. S'il faut s'en réjouir, cette démocratisation demande un réel effort de la nation. Pour garantir à tous les étudiants, notamment ceux issus des catégories sociales modestes, des conditions d'études équitables et satisfaisantes, la solidarité nationale doit prendre le relais des familles ne pouvant soutenir l'effort financier inhérent à ces études.

Pour ce faire, notre pays s'est doté d'un dispositif original d'aide aux études, qui conjugue de faibles frais de scolarité et des bourses, certes conditionnées aux ressources, mais couvrant un nombre très étendu d'étudiants. La bourse d'enseignement supérieur sur critères sociaux complète l'aide de la famille mais n'a pas vocation à remplacer l'obligation alimentaire à la charge des parents.

Dès la rentrée 2013, pour répondre à ce défi de démocratisation, en cohérence avec notre volonté d'accompagner les plus modestes dans leur parcours dans le supérieur, notre majorité a engagé la réforme des bourses étudiantes la plus volontariste jamais entreprise depuis leur création. Dans mon rapport pour avis, j'ai choisi d'approfondir le sujet des bourses d'enseignement supérieur en dressant un premier bilan des progrès accomplis et en dessinant les grandes perspectives pouvant renforcer, à l'avenir, ce dispositif décisif en termes d'égalité des chances.

La réforme que nous avons portée en 2013 reposait sur deux constats de défaillances du dispositif alors en vigueur.

Premier constat, la réussite des étudiants dont les familles disposaient de revenus proches des seuils d'accès aux bourses était compromise par les tensions financières. Selon un rapport des inspections générales des finances et de l'éducation nationale, les étudiants issus des classes moyennes, qui ne bénéficiaient alors que d'une exonération des droits d'inscription, étaient ceux qui travaillaient le plus à côté de leurs études et sur les durées les plus longues. Le recours à l'emploi est d'autant plus fort qu'il s'impose pour pouvoir financer ses études, ce qui n'est pas sans poser question. Il ressort de toutes les auditions que nous avons menées qu'un emploi régulier, surtout s'il est exercé plus de seize heures par semaine et qu'il est dépourvu de lien avec les études, réduit très significativement la probabilité de réussite aux examens universitaires.

Deuxième constat, le montant des bourses de l'échelon 6, soit l'échelon maximal dont bénéficiaient les étudiants les plus défavorisés, était de plus en plus insuffisant pour leur permettre de suivre leurs études dans des conditions satisfaisantes. Il est intéressant de remarquer que ces étudiants se trouvaient dans une situation d'autant plus difficile qu'ils étaient, par rapport à leurs camarades, les moins enclins à travailler à côté de leurs études, pour deux raisons principales : le réseau professionnel moins étendu de leurs parents et la volonté de se consacrer à 100 % à la réussite de leurs études perçues comme l'instrument décisif de la promotion sociale.

La réforme de 2013 ciblait donc ces deux populations. Pour les premiers, un nouvel échelon 0 bis a été créé, permettant progressivement à 200 000 nouveaux étudiants de bénéficier d'une aide de 1 009 euros par an. Ainsi, tous les échelons de bourses sont désormais rémunérateurs. Pour les seconds, un nouvel échelon 7 a permis à 43 000 étudiants de bénéficier d'une bourse, augmentée de près de 1 000 euros par rapport à l'échelon 6, pour atteindre 5 550 euros par an. Au total, le nombre de boursiers a augmenté de près de 40 % et l'aide moyenne de 25 % entre 2009 et 2015.

À côté de ces bourses sur critères sociaux, les aides spécifiques accordées par les Centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (CROUS) ont également été renforcées. Ces aides ont vocation à accompagner les étudiants qui rencontrent des difficultés particulières auxquelles ne peut pas répondre le système des bourses. Les trois quarts de ces aides sont annuelles. Elles sont passées de 3 000 à 5 500 allocations attribuables chaque année. Elles permettent d'aider les étudiants qui n'entrent pas dans le schéma classique des bourses. C'est le cas, par exemple, des ruptures familiales ou d'indépendance avérée, qui connaissent une vive croissance, de 5 % par an.

Le dernier quart de ces aides est ponctuel. Elles permettent de répondre en urgence à des besoins alimentaires, de logement ou de santé. D'après les données de l'Observatoire de la vie étudiante, les bourses fonctionnent comme un véritable bouclier permettant à leurs bénéficiaires de connaître des taux de réussite supérieurs de 10 à 15 points par rapport aux étudiants en difficulté financière non aidés.

Pour autant, il ne faut pas en déduire que l'action de l'État en direction des étudiants est uniquement redistributive. À côté des 2 milliards d'euros consacrés chaque année aux bourses, l'État dépense 1,5 milliard d'euros d'aides au logement pour les étudiants. Ces aides sont, de fait, déconnectées des ressources des familles puisqu'elles sont calculées par rapport au seul revenu des étudiants.

enfin, les aides fiscales induites par le rattachement des jeunes au foyer fiscal mobilisent 1,6 milliard d'euros. Ces aides sont d'autant plus importantes que les revenus familiaux sont élevés. Au total, l'apport global de l'État aux études supérieures dessine une courbe en « U » sur laquelle les 50 % de familles au milieu de l'échelle des revenus, exclues des bourses et ne bénéficiant guère des exonérations fiscales, sont celles qui perçoivent le plus faible montant cumulé d'aides. Pour autant, cette remarque ne remet pas en cause la pertinence du système des bourses, outil indispensable d'égalité des chances.

La très forte progression du nombre de bourses, sans précédent, n'a été possible que grâce aux efforts de qualité, de réactivité et de productivité consentis par l'ensemble des CROUS dans un contexte budgétaire contraint. Grâce à la généralisation du dossier social étudiant et à sa dématérialisation dans toutes les académies, grâce aussi à de nombreuses initiatives de mutualisation des ressources, les dossiers complets déposés avant le 31 mai déclenchent désormais partout le versement des bourses dès septembre. Le taux de réponse aux nombreuses demandes des étudiants s'est aussi fortement amélioré. À moyens constants, les CROUS ont été en mesure de faire face, non seulement à l'augmentation du nombre de bénéficiaires, mais aussi d'assurer la gestion des bourses versées par le ministère de la culture en 2008, puis celle des bourses versées par le ministère de l'agriculture en 2015.

Dans ce contexte globalement positif, je n'ignore pas les critiques récurrentes dont fait l'objet le dispositif des bourses. C'est le cas, par exemple, des difficultés induites par un système « en escalier » qui génère des effets de seuil pour les familles dont les revenus sont au plus près des prochains échelons, qui pourraient être utilement lissés par une linéarisation des bourses, réclamée de longue date par les organisations étudiantes.

Il y a également débat sur l'appréciation la plus pertinente des ressources des familles, aujourd'hui centrée sur le revenu déclaré brut, qui exclut notamment les revenus du patrimoine. Je ne suis pas convaincue par l'opportunité de lui substituer le revenu fiscal de référence, au risque d'introduire trop d'instabilité et d'illisibilité dans un système aujourd'hui bien compris par la majorité des familles. J'estime plus utile de mieux prendre en compte les capacités financières réelles dans lesquelles les patrimoines jouent un rôle de plus en plus important.

Enfin, il y a la question du contrôle de l'assiduité. À ce sujet, il me semble que le vrai problème réside dans le caractère très disparate de ce contrôle, qui est assuré par chaque établissement d'enseignement supérieur. Résultat, alors que les étudiants des classes préparatoires et des sections de technicien supérieur (STS) sont astreints à de lourdes obligations – manquer quelques cours peut interrompre le versement des bourses –, dans certaines universités, les étudiants ne sont contraints que de se présenter à quelques examens. Cela crée indéniablement une inégalité de traitement. Sur cette question, il faut se garder d'une position dogmatique, car les premiers perdants sont les étudiants non assidus, qui « gaspillent » des droits à bourse limités dans le temps et qui ne sont pas repérés suffisamment tôt par les établissements pour stopper leur décrochage. Il est donc urgent que soit défini par consensus un socle minimum de contrôle valant partout sur le territoire, fondé, par exemple, sur une note moyenne minimale aux examens ou sur l'obtention d'un seuil d'European credit transfer and accumulation system (ECTS) pendant une durée donnée.

Avant de conclure, je soumets au débat une piste pour faire évoluer notre système de bourses, là encore, dans une volonté d'égalité de traitement. Il s'agirait de transférer aux CROUS la gestion de toutes les aides directes versées aux étudiants. Je pense en particulier aux formations sanitaires et sociales, pour lesquelles les bourses sont allouées par les régions. La délégation de gestion expérimentée par la région Normandie au CROUS de Caen, dont j'ai reçu la direction, montre combien cette solution fluidifie et améliore le service des bourses. Cela permet aux bénéficiaires de faire pleinement partie de la communauté universitaire, sans nier la reconnaissance de la collectivité attributaire. Il est vrai que l'alignement de ces bourses sur les montants versés par l'enseignement supérieur a beaucoup facilité cette délégation. Mais n'y a-t-il pas, là aussi, un enjeu d'égalité qui milite pour la généralisation de cette démarche ?

J'élargis, bien sûr, cette perspective aux bourses de mobilité internationale, aujourd'hui attribuées par les établissements d'enseignement supérieur dont le nombre, 15 000 bénéficiaires pour 60 000 départs à l'étranger, et les montants, 400 euros au maximum, n'en font pas de vrais outils d'équité pour encourager l'accès des moins favorisés aux expériences internationales.

Pour conclure, ces questions renvoient plus généralement aux limites de la philosophie inspirant le système des bourses universitaires face aux besoins de l'enseignement supérieur au XXIe siècle.

Aujourd'hui, étudier efficacement, et avec justice, implique des changements structurels émancipant notre conception de l'éducation de la tyrannie du diplôme initial, qui veut que tout soit joué à vingt-cinq ans, pour avancer vers une alternance permanente et féconde entre le travail et les formations. Ces besoins nous imposent de mieux reconnaître des situations géographiques ou familiales toujours plus spécifiques et de nouveaux rythmes d'études bousculant la rigidité des semestres et des années universitaires. Ils imposent une vraie fusion entre formation initiale et continue, intégrant efficacement la validation des acquis de l'expérience (VAE).

De fait, ces défis mettent en cause certains des fondements de nos bourses, tels les revenus des parents ou l'âge limite, qui ont un sens fort lorsqu'on aborde la seule formation initiale, mais perdent toute pertinence à l'aune d'études envisagées tout au long de la vie. C'est pourquoi je trace, en conclusion, la perspective d'un stock de droits à formation, initiale comme continue, un peu sur le modèle du compte personnel de formation, qui permettrait à chacun d'être aidé dans ses études, pendant une période indifféremment utilisée au début du parcours ou durant sa carrière.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion