Intervention de Laurent Collet-Billon

Réunion du 12 octobre 2016 à 16h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement :

Le projet de loi de finances pour 2017 arrive à mi-chemin de l'exécution de la loi de programmation militaire (LPM) couvrant les années 2014 à 2019.

L'exécution du budget de cette année conditionne la prévision pour l'année prochaine. Pour le programme 146 « Équipement des forces » les besoins de paiement actualisés sont estimés à 11,5 milliards d'euros, quand les ressources prévisionnelles de crédits de paiement s'établissent à 10,5 milliards d'euros, répartis entre 9,9 milliards de crédits budgétaires initiaux, réserve levée, 592 millions d'euros de report de crédits de l'année 2015, et 73 millions d'euros de ressources extrabudgétaires liées aux fonds de concours et à l'attribution de produits. Ces crédits ont été réduits de 141 millions d'euros par des transferts vers d'autres programmes de la mission « Défense », 15 millions d'euros ayant notamment été alloués au financement de travaux urgents et réussis sur la soufflerie S1 de l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA) à Modane.

Le niveau des engagements prévus à la fin de l'année atteint 10,6 milliards d'euros. Les programmes à effet majeur représentent près de 50 % des besoins d'engagement. Le niveau des engagements en 2016 sera inférieur aux besoins de paiement car les principaux programmes ont été réalisés au cours de la première période de la LPM ; ainsi, à la fin de l'année 2016, soit à mi-parcours de la loi de programmation, 80 % des programmes à effet majeur auront déjà été lancés.

Comme chaque année, le risque principal de la gestion du programme 146 tient à l'incertitude du devenir des crédits gelés. La réserve de précaution du programme pour l'année 2016 atteint près de 800 millions d'euros, mais le gel ne se limite pas à cette réserve. En effet, la direction du budget a décidé de reporter 590 millions d'euros de crédits de paiement ouverts par la loi de finances rectificative (LFR) de décembre 2015 en 2016, puis a gelé ce montant au printemps dernier. Par ailleurs, un « surgel » supplémentaire, de 470 millions d'euros de crédits de paiement en 2016, a été appliqué au titre de la contribution de la mission « Défense » au financement d'un projet en faveur de l'emploi – tous les ministères ayant été sollicités sur ce point. Les crédits gelés du programme 146 s'élèvent au total à 1,858 milliard d'euros en crédits de paiement, soit environ 18 % de la ressource.

La valeur du report de charges sur le programme 146 dépendra donc des décisions prises pour ces crédits gelés ou mis en réserve. Si tous les gels étaient levés (gel, surgel et mise en réserve), le report de charges dépasserait légèrement 1,3 milliard d'euros en 2016, mais si tous les crédits gelés étaient annulés ou reportés, le report de charges pourrait approcher 3,2 milliards d'euros, montant compromettant l'équilibre de la LPM. La LPM initiale et ses actualisations successives ont prévu de contenir le report de charges à 2,8 milliards d'euros d'ici à la fin de l'année 2019. Compte tenu de l'augmentation des besoins de paiement attendue en 2018 et en 2019, ce résultat ne pourrait être obtenu que si la totalité des crédits actuellement gelés pouvaient être consommés.

Le niveau sans précédent de ces gels de crédits conduit aujourd'hui même à une rupture de paiement, c'est-à-dire que depuis ce matin, les demandes de paiement que nous émettons vers le comptable ne sont plus couvertes en crédits de paiement. Cela arrive un peu précocement, car, l'an dernier, nous n'étions dans cette situation qu'à la fin du mois d'octobre. Je compte sur la représentation nationale pour nous aider à obtenir de Bercy le dégel de la réserve.

L'exécution des études amont au titre du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » est conforme, en engagements et en paiements, aux objectifs de la LPM. Si la réserve d'un montant de 65 millions d'euros était levée, nous nous retrouverions avec 681 millions d'euros d'engagements et un peu plus de 700 millions d'euros de paiements, dont 50 millions au profit du régime d'appui pour l'innovation duale (RAPID) à destination des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) innovantes.

Les principales études lancées en 2016 portent sur la poursuite des travaux relatifs à la préparation du renouvellement des missiles balistiques et des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE), et une nouvelle campagne d'essai du démonstrateur européen de drone de combat (nEURon). Parmi les résultats d'études marquant en 2016, figure la fin de la phase de faisabilité du futur drone aérien de combat (FCAS-DP) réalisée en commun avec les Britanniques.

Le report de charges prévisionnel, dépenses obligatoires comprises, devrait atteindre 150 millions d'euros à la fin de cette année pour les études amont. Les devis et les délais sont globalement maîtrisés, et les indicateurs de la LPM actualisée sont globalement conformes aux objectifs du projet annuel de performance (PAP).

Dans le domaine de la surveillance et du renseignement, un quatrième système de drone Reaper, deux systèmes de drones tactiques, deux avions légers de surveillance et de reconnaissance ont été ou seront commandés d'ici la fin de l'année. Dans le domaine naval, les commandes des bâtiments de soutien et d'assistance hauturiers (les 3e et 4e BSAH), et de 48 missiles Aster destinés aux frégates multi-missions (FREMM) de défense aérienne sont également planifiées. Enfin, dans le domaine terrestre, la commande du nouveau fusil d'assaut, dit arme individuelle future (AIF), vient d'être notifiée à l'industriel allemand HK, à l'issue d'une procédure conduite dans le strict respect des directives européennes que vous avez transposées dans la réglementation française. Par ailleurs, nous avons commandé quatre avions Hercules C-130J conformément à l'actualisation de la LPM, et devons lancer, d'ici à la fin de l'année, la rénovation des missiles de croisière anti-infrastructures, les SCALP-EG.

À la fin de cette année, nous aurons livré un deuxième système de drone Reaper, un lot de missiles M51 – dont le ministre vient de mettre en service opérationnel la version M51.2 – et trois avions A400M, dont le troisième devrait être livré avant la fin de l'année conformément aux engagements pris par Airbus auprès du ministre l'an dernier. Nous avons également livré six NH90, dont deux en version navale et quatre en version terrestre, cinq hélicoptères Tigre en version HAD, 120 stations sol COMCEPT et une frégate de type FREMM.

Plusieurs « urgences opérations » ont été lancées en 2016 pour un montant de 49 millions d'euros : des corps de bombes de 250 kilogrammes, le système Auxylium, réseau de communication destiné à améliorer l'interopérabilité avec les forces du ministère de l'Intérieur dans Sentinelle, des robots de reconnaissance subaquatique, des systèmes projetables de cyberdétection. D'autres commandes, à hauteur de 30 millions d'euros, devraient être passées d'ici la fin de l'année dont des postes de radio. Les « urgences opérations » représentent moins de 50 millions d'euros, ce qui indique que ce que les matériels livrés et déployés sur le terrain répondent aux attentes, preuve que l'on ne s'est pas trompé dans leurs spécifications.

Vous connaissez le montant historique de nos exportations de matériel d'armement en 2015, 16,9 milliards d'euros. Il s'agit d'un changement d'échelle radical par rapport à ce que l'on constatait auparavant : cette somme représente plus du double de celle de 2014, qui était une bonne année, et plus de quatre fois le résultat de certaines années creuses. Cette performance permet à la France de consolider sa position dans le peloton de tête mondial. Les pays du Proche et du Moyen-Orient ont passé les trois quarts des prises de commandes que nous avons reçues, le secteur aéronautique comptant pour plus de 60 % des 16,9 milliards d'euros. Le succès du Rafale a profité au secteur des missiles qui totalise près de 20 % des commandes. Le secteur naval a enregistré 10 % des commandes, le principal contrat étant la vente d'une FREMM à l'Égypte.

En 2016, plusieurs contrats d'envergure ont d'ores et déjà été conclus : un satellite de télécommunications pour 600 millions d'euros avec l'Égypte, des hélicoptères Caracal avec le Koweït pour plus d'un milliard d'euros, et, avec l'Inde, 36 avions Rafale et leurs armements associés pour un montant de l'ordre de huit milliards d'euros ; en outre, l'Australie a choisi en avril dernier DCNS, plutôt que ses concurrents japonais et allemand, comme partenaire privilégié pour la conception de ses 12 futurs sous-marins. La décision australienne consacre l'excellence de l'offre industrielle française qui s'appuie sur les savoir-faire acquis dans les SNLE et les sous-marins nucléaires d'attaque (SNA), principalement le Barracuda. Nous continuons d'oeuvrer pour concrétiser d'autres projets majeurs concernant des hélicoptères, des sous-marins et des bâtiments de surface.

La DGA emploie 9 600 personnes, les décisions du président de la République après les attentats de novembre 2015 ayant permis d'alléger de 86 postes la baisse des effectifs prévue, cette déflation s'élevant à 130 emplois pour deux ans. La masse salariale atteint 740 millions d'euros, mais je suis préoccupé par la faible compétitivité des salaires offerts par l'État par rapport à ceux du secteur privé. Il faut réfléchir aux mesures à prendre pour rester compétitifs en matière de recrutement des ingénieurs civils, notamment dans des domaines spécifiques comme la cyberdéfense.

Dans le budget pour 2017, les besoins de paiement pour le programme 146 se montent à 10,4 milliards d'euros et les ressources en crédits de paiement s'établissent à 10,13 milliards d'euros. Ces ressources se répartissent entre 10 milliards d'euros de crédits budgétaires et des prévisions de ressources extrabudgétaires atteignant 74 millions d'euros. Sauf aléa budgétaire, le report de charges devrait être dégradé d'environ 200 millions d'euros, ce qui n'est pas très conséquent.

Les besoins d'engagement s'élèvent à 11,6 milliards d'euros, ce niveau élevé s'expliquant par la commande de quelques « gros » équipements : un sous-marin Barracuda, des véhicules Jaguar et Griffon dans le cadre du programme Scorpion, l'acquisition des véhicules légers tactiques polyvalents (VLTP) et la préparation du segment sol Syracuse 4. Ces quatre derniers engagements représentent 2,5 milliards d'euros sur les 7,6 milliards d'euros de besoins d'engagement pour les programmes à effet majeur.

Dans le programme 144, les ressources consacrées aux études amont sont de l'ordre de 857 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 720 millions d'euros en crédits de paiement. Le PLF pour 2017 se caractérise par une forte hausse du niveau d'engagements, liée au lancement de la phase suivante du programme FCAS-DP en coopération avec le Royaume-Uni. Ce niveau d'engagements reste cohérent par rapport au flux de paiement annuel moyen de 730 millions d'euros, prévu par la LPM initiale et actualisée pour la période allant de 2014 à 2019. Les autres études amont se concentreront sur la maturation technologique du futur missile de longue portée, en préparation des programmes missile antinavire successeur de l'Exocet et missile de croisière successeur du SCALP-EG. Nous travaillons en coopération avec le Royaume-Uni dans ces domaines. Nous conduisons également des études relatives à la préparation du renouvellement des missiles balistiques et des SNLE, ainsi que sur la cybersécurité.

Parmi les commandes emblématiques, on peut citer un sous-marin d'attaque Barracuda, la rénovation de 45 Mirage 2000D, 15 nouveaux pods de désignation laser, 319 véhicules Griffon, deux bâtiments multi-missions (B2M) et un patrouilleur léger guyanais. Nous prévoyons de livrer neuf hélicoptères NH90, six hélicoptères de combat Tigre, 379 camions porteurs polyvalents terrestres, trois A400M, une FREMM et deux B2M.

Les contrats nouveaux à l'exportation comportent dorénavant un volet de prestations étatiques important, tant dans la préparation des contrats eux-mêmes que dans leur exécution. Cette situation nouvelle, rencontrée depuis peu du fait des demandes des États clients, tranche avec le soutien à l'exportation pratiqué jusqu'alors. Elle constitue une tendance de fond appelée à s'inscrire dans la durée. À ce titre, le contrat indien nécessitera une implication très forte des personnels de la DGA pour accompagner le client lors du développement des avions, dont le standard sera différent de celui de la France, et plus largement pour surveiller l'exécution du contrat. Les armées seront également fortement impliquées.

Les effectifs de la DGA ne permettent pas, en l'état, d'absorber la charge des contrats exports en préparation au profit des différents clients tout en maintenant l'ensemble des activités au profit des programmes nationaux. Un renfort est ainsi nécessaire, estimé à 300 emplois sur la période de la LPM, dont une grande partie dans les mois qui viennent.

Même si la DGA est, dans le temps, la première confrontée à ce besoin du fait de son implication dans la préparation des contrats, les armées seront également sollicitées le moment venu. De fait, nous présenterons avec elles une feuille de route pour l'accompagnement des exportations de défense.

J'observe que la gestion de cet effort ne relève pas d'une question uniquement de défense dès lors que les retombées économiques (emplois, recettes fiscales) et diplomatiques des exportations d'armement en dépassent largement le cadre. Il serait ainsi légitime de partager l'effort avec les autres ministères. De plus, nous fournissons des prestations d'accompagnement des exportations de défense dont les industriels retirent du chiffre d'affaires, des emplois et des bénéfices, il est donc normal que nous les facturions afin de contribuer à compenser les dépenses encourues par la défense. Nous incitons nos amis des armées à demander la même chose, même si les industriels sont réticents.

Je souhaite insister en conclusion sur ma préoccupation principale qui tient à la fin de gestion et au gel de 1,858 milliard d'euros. Cela conditionne entièrement l'exécution du budget de 2017. Il ne nous reste plus de crédits de paiement le 12 octobre. De ce fait, nous devons différer la notification des contrats nouveaux jusqu'au début du mois de décembre.

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