Intervention de Amiral Christophe Prazuck

Réunion du 12 octobre 2016 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Amiral Christophe Prazuck, chef d'état-major de la marine :

En matière de dissuasion nucléaire, une flotte de quatre SNLE répond au principe de stricte suffisance. C'est cohérent par rapport à la composition de la flotte britannique, et c'est conforme à notre stratégie et à nos objectifs.

Vous avez également cité les SNA, mais la dissuasion implique des moyens beaucoup plus larges : il faut y inclure la guerre des mines, les ATL2 ainsi que les frégates basées à Brest et spécialisées dans la lutte sous la mer, ainsi que les fusiliers marins qui gardent les emprises et les centres de transmission. C'est sur cet ensemble que repose la crédibilité de notre force de dissuasion.

En ce qui concerne les SNA, l'objectif de miser sur six Barracuda me semble un objectif adapté à nos besoins et conforme à l'expérience que nous avons retirée des années quatre-vingt, où la pression était importante en matière de lutte sous la mer.

S'agissant des frégates de premier rang, Monsieur Lamour, le SOUTEX mobilise une cinquantaine de personnels en permanence. Cependant, il ne se limite pas à ces cinquante personnes, puisque nos escales ou nos exercices internationaux contribuent également à la promotion de l'excellence industrielle française en matière navale. Quand je rencontre mon homologue égyptien, je constate son extrême fierté d'avoir pris très rapidement en main une FREMM et deux BPC. Autour de ces unités se construit, soit au travers d'exercices soit grâce à des rencontres régulières entre états-majors, un partenariat de long terme, et c'est le cas chaque fois que l'un de nos industriels remporte un succès à l'exportation. L'achat récent de sous-marins par l'Australie nous a ainsi conduits à resserrer nos liens avec les Australiens et à renforcer nos échanges dans des domaines qui vont bien au-delà des sous-marins.

En ce qui concerne le programme BATSIMAR, au vu de l'usure de nos patrouilleurs, une livraison en 2021 me semble une date convenable pour pouvoir garantir l'exercice de notre souveraineté dans nos zones économiques.

Pour ce qui concerne le MCO aéronaval, nous nous accordons tous sur le diagnostic. Dans le domaine naval, la suractivité à laquelle nous sommes soumis et la sollicitation des équipements les plus anciens ne sont possibles – même si cela ne peut durer éternellement – que grâce à la qualité du service de soutien de la flotte (SSF) de la marine. La réorganisation en profondeur du MCO du matériel naval initiée par l'amiral Rogel porte aujourd'hui ses fruits. La maîtrise d'ouvrage par le SSF s'avère particulièrement efficace et nous a obligés à revoir une organisation interne qui n'était pas exempte de défauts. C'est d'autant plus important que les bateaux naviguant davantage, les aléas techniques se multiplient.

En matière de ressources humaines, je tiens tout d'abord à dire que nous arrivons à recruter puisque, grâce à une communication active, nous sommes passés de trois mille à quatre mille recrutements. Reste qu'il existe un vrai décalage entre la manière dont vivent les jeunes aujourd'hui et les exigences de la vie sur un bateau. Ce qui notamment perturbe le plus les jeunes recrues embarquées, c'est de ne pouvoir avoir accès en permanence à internet et aux réseaux sociaux.

La vraie difficulté réside, je l'ai dit, dans la fidélisation, en particulier pour les marins les mieux formés et dont les compétences sont les plus pointues, qui sont particulièrement recherchés par les entreprises privées. Nous devons lutter contre cette concurrence et conserver nos meilleurs spécialistes de la maintenance aéronautique ou de l'atome, en leur donnant l'envie de rester chez nous au lieu d'aller voir ailleurs.

Enfin, pour reprendre les termes de l'amiral Rogel, nous passons d'une marine d'effectifs à une marine de compétences. Sur un sous-marin nucléaire parti en patrouille pour soixante-dix jours, il n'y a pas de téléassistance, et l'on ne parachute pas un réparateur au milieu de l'océan Atlantique. Il faut donc savoir tout faire tout seul, en autonomie. Cela nécessite de réunir le plus grand nombre de compétences différentes au sein d'un équipage qui doit être le plus réduit possible.

Ces compétences, on les acquiert sur les bancs de l'école – la marine forme en moyenne chacun de ses marins vingt jours par an, ce qui est considérable – et par l'expérience : c'est à force de naviguer que l'on apprend à vivre en communauté et que l'on forge son esprit d'équipage. Il s'agit d'une compétence à la fois technique et comportementale : savoir vivre à la mer.

Pendant longtemps, sur des bateaux à l'organisation très pyramidale, comme le Colbert, par exemple – l'équivalent d'une FREMM il y a trente ans –, il y avait cinq cents personnes, parmi lesquelles de nombreux opérateurs chargés par exemple de relever la température des moteurs, de jeunes matelots qui apprenaient à vivre sur un bateau, à partir loin et longtemps en équipage, et qui commençaient à acquérir les rudiments de la technique. Ainsi, on pouvait sélectionner les plus intéressés et motivés. Cette base ouvrière, si l'on peut dire, constituait donc aussi un vivier de recrutement interne.

Avec les bâtiments que nous connaissons aujourd'hui et qui ne comptent qu'une centaine de personnes, ce n'est pas seulement la taille de l'équipage qui a diminué, mais sa structure même qui a été modifiée : la base est beaucoup plus réduite. Ce n'est plus un marin qui va relever la température des moteurs, mais un ordinateur. Ainsi, la marine a perdu ces jeunes marins dont je viens de parler, et c'est dès le recrutement qu'il faudrait déceler celui que l'on va pouvoir amener au grade de major, qui va faire une carrière de vingt ans et devenir un expert. Bref, c'est le vivier de recrutement interne qui a pâti.

Le phénomène est manifeste dans le cas des atomiciens. Depuis 2000, il y a dans la marine 12 réacteurs nucléaires en fonction ; pour les faire fonctionner, il faut 600 marins spécialisés dans l'énergie atomique. Ils sont recrutés en interne dans la marine, chez les spécialistes de la mécanique et de l'électricité. En 2000, ces jeunes mécaniciens et électriciens étaient 4 500 ; aujourd'hui, ils sont moins de 2 500.

Cette évolution oblige à repenser la formation et le recrutement pour permettre l'acquisition des compétences.

J'en viens à l'Atlantique 2. Nous en avons 22 en parc, une douzaine en flottille et, à ce jour, sept disponibles.

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