Intervention de Amiral Christophe Prazuck

Réunion du 12 octobre 2016 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Amiral Christophe Prazuck, chef d'état-major de la marine :

En ce qui concerne la piraterie, vous aurez noté qu'elle a quasiment disparu dans l'océan Indien, grâce à l'opération Atalante. Pourrait-elle resurgir ? Probablement, si la vigilance en mer se relâchait.

En revanche, la piraterie et le brigandage se développent depuis deux ou trois ans dans le golfe de Guinée, où quelque 150 actes annuels ont été recensés. C'était l'objectif du processus de Yaoundé de 2013, c'est celui du sommet de l'Union africaine qui se tient actuellement à Lomé que de résoudre ce problème.

La solution ne pourra qu'être très différente de celle qui avait été trouvée au large de la Somalie. On était alors en présence d'un seul État failli, alors qu'il y a dans le golfe de Guinée une multitude d'États dont les configurations sont très variables, du Nigéria, avec les nombreux bras du delta du Niger, au Togo, dont la côte mesure 50 milles nautiques de large. Cela pose des problèmes, notamment juridiques, eu égard au droit de poursuite, à l'établissement de la situation, au partage d'un constat commun.

Tel est l'objet de notre coopération à travers NEMO, de notre soutien aux marines africaines, et des démarches des Africains eux-mêmes. Il s'agit de restaurer la sécurité maritime dans cette zone, qui contribue pour 30 % à l'approvisionnement pétrolier de l'Europe et accueille un commerce maritime essentiel au développement de l'Afrique.

Les possibilités offertes par la loi s'agissant des gardes armés permettent-elles d'atténuer la pression exercée sur les fusiliers marins ? Oui, au point que nous avons pu, depuis le mois d'août, redéployer une partie de nos moyens vers les navires à passagers. La demande a décru dans l'océan Indien, notamment de la part de nos pêcheurs. Nous restons très présents sur les navires câbliers, qui avancent très lentement dans des zones de piraterie, ou sur les bâtiments affrétés par le ministère de la Défense pour ravitailler nos bases.

Nous passons naturellement notre temps à hiérarchiser les zones à surveiller. Mais le format global que nous visons, et que nous connaissons depuis plusieurs décennies, est d'une frégate, deux patrouilleurs et un bâtiment logistique pour chaque département ou collectivité d'outre-mer. Le bâtiment logistique, la « bête de somme », c'est le B2M, qui est en cours de livraison : le premier est arrivé en Nouvelle-Calédonie, le deuxième part pour Papeete et le Premier ministre a annoncé la commande du quatrième. Le format du temps des P400, du programme de 1982 destiné à assurer la surveillance et la souveraineté de nos zones économiques, me paraît toujours cohérent.

Nous avons également développé de nouveaux outils, dont le dispositif Trimaran, qui fournit des informations satellitaires, par le biais d'un abonnement, aux préfets maritimes et commandants de zone maritime.

En gros, le radar d'un bateau couvre un département français : il permet de voir 20 nautiques sur bâbord et 20 sur tribord, ce qui correspond à un cercle de 100 kilomètres de diamètre environ. Or la zone économique exclusive française s'étend sur 11 millions de kilomètres carrés : nous ne pourrons jamais déployer assez de bateaux pour la couvrir. Nous avons donc besoin de moyens mobiles. Voilà pourquoi nos patrouilleurs doivent être suffisamment rapides ; voilà aussi pourquoi il nous faut réfléchir à l'emploi de drones et songer au renouvellement des avions de surveillance maritime, moins complexes que les Atlantique – par exemple les Falcon ou les Gardian dans l'océan Pacifique – et qui permettent une fauchée très large, ainsi qu'à des moyens satellitaires comme Trimaran.

En ce qui concerne la livrée aérienne du porte-avions, le Super Étendard a bien été retiré du service. Le porte-avions navigue actuellement au large du Moyen-Orient avec 24 Rafale à bord : c'est son premier déploiement « tout Rafale ». La disparition des Super Étendard et la nécessité d'adapter les équipements à ces nouvelles conditions figurent d'ailleurs parmi les premières raisons de son arrêt technique. Les flottilles 11F et la 12F sont déjà passées sur Rafale ; ce sera le tour de la 17F au cours des mois à venir. Les 46 Rafale reçus par la marine permettent d'armer ces trois flottilles. Je n'ai donc pas d'inquiétude au sujet de la chasse embarquée.

S'agissant des ressources humaines, être marin, c'est partir loin, et il est vrai que l'éloignement des familles est parfois cité parmi les difficultés auxquelles les jeunes marins sont confrontés. De manière générale, dans la fonction de directeur des ressources humaines que j'occupais encore il y a trois mois, j'avais remarqué qu'un jeune qui a poussé la porte d'un bureau de recrutement de la marine pour oublier un chagrin d'amour ne reste généralement pas très longtemps… Dès lors que les futurs marins sont promis à un mode de vie différent des autres, leur recrutement nécessite du temps.

Voilà pourquoi je souhaite m'inspirer de la gendarmerie en misant sur la réserve. Celle-ci, sans laquelle la marine n'existerait pas, doit être non seulement le réceptacle des compétences d'anciens marins mais aussi, de plus en plus, un sas précédant l'entrée dans la marine. Aujourd'hui, 46 % des réservistes n'ont jamais servi dans la marine ; je veux accroître encore cette proportion.

Cela suppose des partenariats avec l'éducation nationale. J'en ai noué soixante avec des lycées professionnels – dont je suis un grand partisan ! Nous suivons des jeunes au cours de leur scolarité, pendant deux ou trois ans ; nous les accueillons en stage dans des unités de la marine, et ils représentent mon coeur de cible lorsqu'il s'agit d'alimenter la réserve. Je veux développer des bourses ; vous avez d'ailleurs défendu et voté ce projet. Je veux aider des étudiants à suivre des études supérieures, en particulier des BTS dans les domaines de l'informatique ou de l'énergie. Je veux pouvoir financer leurs études et anticiper leur arrivée dans la marine par des périodes de réserve.

Nous avons développé pour les officiers ce que l'on appelle, d'une formule à la mode, un graduate program : il s'adresse aux élèves ingénieurs, auxquels nous promettons de les embaucher à l'issue d'une période de formation. Ce programme fonctionne très bien. Mais, idéalement, j'aimerais que, dès leur entrée en école d'ingénieurs, certains jeunes puissent être accueillis dans la marine comme réservistes à raison de deux ou trois mois par an. Ils pourraient ainsi comprendre les contraintes du métier de marin et en apprécier l'intérêt : l'utilité au service de la Nation, la technicité et surtout l'extraordinaire richesse humaine de la vie en équipage.

Bref, en matière de recrutement, je préfère au speed dating la relation de long terme. Celle-ci naît aussi des préparations militaires marines, qui drainent chaque année 2 500 gamins et gamines venus de toute la France, sans y avoir été incités par la moindre campagne de communication, passer dix week-ends dans l'année, plus une semaine de leurs vacances, à découvrir la marine. C'est sur cet intérêt spontané que je dois capitaliser.

La politique sociale est un autre aspect important sur lequel j'ai demandé à mes équipes de travailler. Je ne suis pas chargé de la mise en oeuvre de la politique sociale de la marine ; mais, avec l'organisation de nos bases de défense, nous avons un peu perdu de vue l'expression du besoin, et je veux réinvestir ce terrain. Je sais que mes marins ont du mal à faire garder leurs enfants quand ils partent en mer. La sur-sollicitation des bateaux entraîne de nombreux changements de programme, et le quartier-maître X., qui devait partir une semaine en vacances, apprend tout à coup qu'il doit finalement appareiller pour aller renforcer Sophia ou pour une autre mission urgente. Dans ces conditions, comment peut-il organiser la garde de ses enfants ? L'action sociale de la défense ne comprend pas pourquoi cela pose un problème alors que tous les berceaux ne sont pas occupés, par exemple à Toulon ou à Brest. Je soupçonne que ces berceaux ne sont pas au bon endroit : l'augmentation du coût de la vie à Toulon a poussé les marins à s'installer de plus en plus loin du centre ; dès lors, ce n'est pas près de l'arsenal qu'il faut mettre en oeuvre l'aide aux familles, comme je l'avais initialement imaginé en envisageant la création d'une crèche sur place, mais là où ils habitent – à Gonfaron, à Brignoles, etc. Ils ne vont pas venir à moto – comme ils le font souvent à cause de la circulation à l'entrée de Toulon le matin – avec leur enfant de trois ans derrière eux !

Un autre champ à réinvestir est l'emploi des conjoints. Je ne m'y attarde pas faute de temps, mais je suis à votre disposition pour en reparler.

En ce qui concerne Haïti, nous avons aux Antilles plusieurs bâtiments susceptibles d'intervenir, notamment le Dumont d'Urville, un bâtiment de transport léger (BATRAL), bâtiment logistique capable de transporter d'importantes quantités et qui pourrait apporter à nos voisins durement touchés l'aide humanitaire dont ils ont besoin. Ce bateau est disponible ; il quittera bientôt le service actif et sera remplacé par les B2M.

Quant aux ATL2, sur le théâtre moyen-oriental comme dans la bande sahélo-saharienne, ils font principalement du renseignement, ainsi que du guidage ; occasionnellement, c'est vrai, ils délivrent des armements. Le tir de bombes est une capacité assez récente de ces avions ; en revanche, ils servent au guidage et au renseignement en mer comme sur terre depuis maintenant plus de vingt ans lors de ce type de missions.

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