Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du 11 octobre 2016 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de la Défense :

Rien qu'avec la liste que vous venez de dresser, madame la présidente, vous pouvez constater que je ne manque pas d'activités. La situation sécuritaire internationale se révèle à la fois dégradée et mouvante. Nous assistons en effet au renforcement de menaces existantes et à l'apparition de nouvelles formes de menaces. De façon générale, ce sont deux types de menaces qui caractérisent aujourd'hui la situation internationale : le terrorisme et la résurgence de stratégies de puissance de certains États. Dans les deux cas, le ministère que je dirige doit être capable d'y faire face.

Le terrorisme est actuellement la menace la plus immédiate et, de manière compréhensible, la plus médiatisée. La menace terroriste change de nature, et le terrorisme militarisé a imposé à nos armées un engagement nouveau et d'une ampleur inédite, à l'étranger comme sur notre sol, dans des opérations de contre-terrorisme. C'est une évolution majeure de l'emploi de nos capacités militaires.

Cet engagement revêt des dimensions transnationales, à l'image de la menace à laquelle nous faisons face au Levant, en Libye, au Sahel qui fait apparaître des liens forts entre ces théâtres, à raison de la diffusion de l'idéologie djihadiste qui s'est répandue au plan mondial depuis le début des années 2000 et qui s'avère de plus en plus prégnante. Ceci nous ramène à un autre fait marquant de ces dernières années, à savoir le lien de plus en plus étroit entre sécurité intérieure et enjeux extérieurs de défense. C'est d'ailleurs un phénomène de continuité que les Livres Blancs de 2008 et de 2013 avaient clairement exposé et que les attentats que nous avons subis ont mis en lumière.

Pour autant, nous ne saurions nous focaliser exclusivement sur le terrorisme, car il existe aujourd'hui une deuxième source de préoccupation liée au retour des stratégies de puissance d'un certain nombre de pays et des tensions qui en découlent. J'ai à l'esprit le virage opéré depuis plus de deux ans maintenant par le président Poutine et qui a conduit à l'annexion de la Crimée et aux démonstrations de force déployées à l'occasion de l'intervention en Syrie. Sur ce dernier théâtre, les tirs de missiles de croisière et l'intervention de bombardiers stratégiques à long rayon d'action ne remplissent pas uniquement des objectifs tactiques. Je mentionnerais à ce titre les patrouilles de bombardiers stratégiques le long de nos côtes, les nombreuses intrusions dans l'espace aérien des États européens voisins de la Russie, membres de l'OTAN ou non, ou encore les exercices de grande ampleur comme Kavkaz 2016, qui a mobilisé en septembre dernier quelque 12 500 militaires en Crimée et dans le sud de la Russie. Cette stratégie de puissance s'affirme.

Outre la Russie, la Chine affiche des ambitions territoriales en mer de Chine méridionale, qui provoquent des tensions avec les États riverains rendant plus probable le risque d'un incident aux conséquences difficilement prévisibles.

Ce retour des stratégies de puissance militaire assumées s'effectue dans un contexte d'une augmentation mondiale et significative des dépenses de défense. C'est pourquoi, plus que jamais, nos armées doivent garantir l'avenir de notre force de dissuasion nucléaire à deux composantes, conserver l'intégralité de nos capacités à mener des opérations conventionnelles de haute intensité et renouveler leur posture de protection du territoire national, au-delà de l'opération Sentinelle, pour surveiller nos approches maritimes et sécuriser notre espace aérien.

Pour vaincre au Levant, notre stratégie repose sur trois axes. Tout d'abord, il faut battre Daech et pour cela l'affaiblir afin de le mettre à la portée des forces locales qui le combattent. C'est l'effet recherché par nos frappes, effectuées en appui des troupes au sol, durant les opérations, ou dans la profondeur, contre les structures vitales de Daech. Depuis septembre 2014, nous avons mené près de 890 frappes aériennes au Levant et nous continuons à agir, de manière délibérée ou inopinée, pour préparer les combats décisifs à venir. Deuxièmement, nous appuyons les forces irakiennes et kurdes qui combattent Daech au sol, par des livraisons de matériel et par des formations menées par nos soldats à Bagdad et à Erbil. Enfin, nous soutenons le processus de réconciliation irakien car il est bien évident que seule la stabilité politique, garantie par des institutions irakiennes multiconfessionnelles et représentatives, permettra sur le long terme d'empêcher la résurgence de Daech ou d'autres groupes similaires.

Cette stratégie porte ses fruits en Irak, puisque Daech y a perdu ses principales villes à la fin de l'année 2015 et au début de 2016. Le groupe s'efforce aujourd'hui de consolider son dispositif pour défendre Mossoul, continue de menacer le nord de Qayyarah et fait pression sur Hawidjah pour freiner la manoeuvre d'enveloppement des forces de sécurité irakiennes (FSI). Daech poursuit ses attentats à Bagdad et dans d'autres villes, notamment chiites, pour tenter de déstabiliser encore davantage le gouvernement de M. Haïder Al-Abadi. Son activité en plusieurs points du pays, y compris dans la zone des trois frontières, démontre ses ressources et sa résilience malgré les défaites qu'il a enregistrées. La reprise prochaine de Mossoul, si elle ne mettra pas fin à notre lutte contre cette organisation terroriste, marquera une victoire militaire et symbolique majeure, peut-être décisive – il faudra y veiller. En déployant le groupe aéronaval, actuellement sur zone, et en fournissant aux forces irakiennes une capacité d'artillerie, la France y prend toute sa part.

En Syrie, la situation est malheureusement différente. Face aux Kurdes et à l'opposition, soutenue par la coalition et la Turquie, Daech a perdu du terrain dans la poche de Manbij et dans ses dernières localités frontalières, dont Jarabulus. Les Turcs menacent de se porter vers Al-Bab et tiennent leur « zone de sécurité ». Il sera difficile pour nous de réunir les forces nécessaires pour libérer Raqqa, ce qui reste pour moi un objectif majeur.

Mais, vous le savez, l'attention est aujourd'hui focalisée sur l'action du régime de Damas, qui se concentre, avec le soutien russe et iranien, contre Alep et sa population. L'encerclement, le bouclage et l'écrasement systématique de l'Est d'Alep se déroulent sous nos yeux. La ville se trouve prise au piège, détruite et dans une situation humanitaire tragique et inacceptable. Plus que jamais, il faut faire pression sur le régime et sur ses soutiens élargis pour qu'un terme soit mis au drame que vit ce pays.

Je tiens à souligner que l'utilisation de l'arme chimique fait partie intégrante de l'escalade de violence observée en Syrie et de la stratégie de terreur pratiquée avant tout par le régime de Damas. Le mécanisme d'enquête mis en place par l'Organisation des Nations unies (ONU) et par l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) a conclu, le 24 août dernier, à la responsabilité de Damas dans au moins deux cas d'attaques chimiques en 2014 et 2015. Nous pensons d'ailleurs qu'au moins une autre attaque a été menée depuis cette date, à Alep. Il est certain que Daech a également recours à des armes chimiques, notamment contre les combattants kurdes au nord de l'Irak. Qu'il s'agisse de chlore ou d'autres composés plus sophistiqués, l'utilisation de gaz contre les populations civiles constitue un crime de guerre. La France a exigé aux Nations unies des sanctions contre les auteurs de ces attaques pour mettre fin à ces pratiques inacceptables qui se banalisent en Syrie.

En Libye, Daech s'est implanté dans la région de Syrte, où il a tenté de reproduire un mode de domination similaire à celui du Levant depuis le printemps 2014, à quelques centaines de kilomètres seulement des côtes européennes. Nous agissons à la fois pour endiguer la menace et pour soutenir l'ensemble de nos partenaires qui luttent contre Daech dans la zone.

Des combats se poursuivent pour faire tomber les dernières poches de résistance à Syrte, dont la superficie ne dépasse pas un kilomètre carré, et les Américains viennent d'intensifier à nouveau leurs actions d'appui aérien. De nombreux effectifs se sont exfiltrés vers le Sud et le Fezzan et constituent une menace diffuse et lointaine, ainsi qu'un réservoir de capacités susceptible de basculer vers le Sahel ou vers le Nord en fonction des opportunités. À Benghazi, les unités du général Haftar piétinent devant les dernières poches djihadistes, mais celui-ci a réussi un coup de maître en s'emparant des champs pétroliers proches du golfe de Syrte et en les remettant à la compagnie pétrolière nationale (NOC), organisme du gouvernement central de M. Fayez Al-Sarraj. Dans le même temps, la situation sécuritaire continue de se dégrader à Tripoli et l'emprise territoriale réelle du Conseil présidentiel et de M. Al-Sarraj reste faible.

Nous soutenons la Tunisie et l'Égypte pour le contrôle de leurs frontières et le renforcement de leurs capacités militaires. L'action de Barkhane au Sud vise à s'opposer aux trafics qui profitent à Daech et aux groupes liés à Al-Qaïda. Enfin, au Nord, nous avons obtenu que l'opération Sophia ait un mandat pour contrôler l'embargo sur les armes afin de tarir les approvisionnements djihadistes. Depuis la mi-septembre, cette nouvelle mission européenne, validée par le Conseil de sécurité des Nations unies, est effective, et un navire de la Marine nationale s'y consacre en permanence.

Dans la lutte contre Daech, nous déployons de grands efforts en matière de renseignement et sommes prêts à répondre aux sollicitations du gouvernement d'entente nationale et de son Premier ministre, M. Al-Sarraj, que j'ai rencontré il y a quelques jours à Paris. Nous étudions actuellement les modalités pour répondre aux besoins qu'il a exprimés, mais son autorité sur le gouvernement d'entente nationale est devenue relative. Il est donc plus que jamais nécessaire de trouver un terrain d'entente entre les différentes parties, pour bâtir un nouveau gouvernement d'entente nationale inclusif et accepté de tous, notamment du Parlement qui ne l'a pas validé jusqu'à présent. Le risque de contamination terroriste et de menace réelle pour l'Europe subsisterait si la situation ne se stabilisait pas.

Au Sahel, ce sont les groupes liés à Al-Qaïda qui dominent, même si Daech a débuté son implantation. Cette nébuleuse menace la sécurité de cette partie de l'Afrique. Après Serval, centré sur la préservation de l'intégrité du Mali, l'action des 3 500 militaires français engagés dans le cadre de Barkhane vise la sécurité régionale. Elle a déjà permis de neutraliser plusieurs centaines de combattants, de démanteler leurs réseaux et de mettre à mal leurs trafics. En réaction, les groupes terroristes ont changé de modes d'action, ont renoncé, peut-être provisoirement, à la conquête territoriale, et privilégient des attaques plus « classiques » contre des cibles isolées avec des attentats en ville, comme à Bamako, à Ouagadougou et à Abidjan. Des engins explosifs improvisés (IED) sont également utilisés et provoquent des accidents, parfois mortels. Ces groupes ont, comme nous l'attendions, élargi leur zone d'action, si bien que Barkhane, en intervenant dans l'ensemble de la zone, apporte une réponse adaptée à cette nouvelle situation. Dans le même but, nous soutenons depuis l'origine la mission de formation de l'Union européenne au Mali (EUTM Mali), en charge de la reconstitution des forces armées maliennes, même si notre contribution est devenue plus modeste du fait de la montée en puissance de celle d'autres pays européens.

La situation est compliquée par les tensions entre les tribus du Nord, signataires de l'accord de paix. Des conflits entre les Touaregs se développent dans la zone de Kidal entre les Ifoghas et les Imghads, qui ont signé l'accord d'Alger. Leur lutte complique le combat contre les groupes terroristes, d'autant plus qu'une porosité existe parfois entre eux. Ainsi, Ansar Eddine de Iyad Ghali se mêle de la confrontation entre les groupes signataires, à savoir les Ifoghas du Haut conseil pour l'unité de l'Azawad (HCUA) et les Imghads du Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés (GATIA), ces derniers étant davantage alliés à Bamako. Cette nouvelle donne enraie le processus de pacification au Nord, notamment autour de Kidal. Le centre du pays, autour du fleuve, est lui-même exposé à des actes dirigés d'abord contre les forces armées et de sécurité du Mali (FAMA). Il est absolument nécessaire que l'État malien retrouve son autorité dans ces zones et fasse appliquer les accords d'Alger. Il est urgent que les autorités maliennes, avec le soutien de la mission des Nations unies (MINUSMA), comblent sans délai ce vide, sécuritaire et administratif, dont profitent les groupes terroristes. Le décès, il y a trois jours, du cheikh Ag Aoussa, numéro deux du HCUA, initiera peut-être une nouvelle donne. Aujourd'hui, l'accord de paix et de réconciliation reste l'otage de dissensions ethniques et tribales préoccupantes.

La secte Boko Haram terrorise les populations du bassin du Lac Tchad. Au début du mois d'août dernier, elle s'est scindée en deux branches distinctes : l'une est restée fidèle à son leader historique, Abubakar Shekau, et opère toujours dans la région de la forêt de Sambisa et autour de Maiduguri ; l'autre, dirigée par Abou Mosab Al-Barnaoui et affiliée à Daech, opère plus au nord et menace les bordures du Tchad comme du Niger. Cette situation accroît le risque de propagation terroriste dans la région. La Force multinationale mixte (FMM), qui regroupe les forces du Nigeria, du Tchad, du Niger et du Cameroun, se retrouve en première ligne. La coordination est difficile, mais on a pu constater des améliorations. La France apporte un soutien logistique à la FMM, dont le déploiement avait été décidé au sommet de Paris il y a un an et demi. Le président de la République a récemment réaffirmé cet engagement lors de notre déplacement à Abuja au Nigéria ; la structuration est longue, même si nous avons installé à N'Djaména une cellule de coordination et de liaison (CCL) avec les Américains et les Britanniques. On peut envisager une amélioration de la situation, mais il convient de se montrer vigilant dans cette zone car les pays du Sahel restent fragiles.

Aujourd'hui, alors que Sangaris touche à sa fin, il reste 350 de nos hommes en République centrafricaine (RCA), contre plus de 2 000 au plus fort de la crise. L'opération Sangaris visait à empêcher des massacres de masse et a atteint son objectif. La montée en puissance de la mission intégrée multidimensionnelle de stabilisation des Nations unies en République centrafricaine (MINUSCA) est réelle et s'avère solide, structurée et efficace. Des élections générales se sont enfin tenues et ont vu la victoire du président Faustin-Archange Touadéra, qui souhaite parvenir à la réconciliation et mettre fin aux tensions ethniques et religieuses. Nous avons sollicité l'Union européenne (UE) pour qu'elle déploie une mission de formation (EUTM RCA), chargée de structurer et de renforcer les forces armées centrafricaines (FACA). Ce processus est en cours et je me rendrai à Bangui le 31 octobre prochain pour mettre fin à la mission Sangaris. Nous maintiendrons cependant un petit effectif sur place, qui pourra être rapidement renforcé en cas d'urgence absolue par les moyens dont nous disposons dans la région. Nous contribuons à la bonne mise en oeuvre de la MINUSCA et de l'opération EUTM RCA. Quelques tensions subsistent avec les anciens Sélékas dans le centre du pays, à Kaga-Bandoro, et plus à l'est à Bria, mais la MINUSCA se montre robuste. Nous pouvons nous retirer car nous avons rempli notre mission initiale.

La relation bilatérale franco-allemande en matière de défense est un pilier de l'Europe de la défense que nous souhaitons renforcer. L'Allemagne a répondu présente lorsque nous l'avons sollicitée pour l'application de l'article 42-7 du traité sur l'UE, après les attentats de novembre 2015. Nous avons renforcé notre collaboration dans de nombreux domaines, et Mme Angela Merkel s'est rendue au Mali et au Niger ces derniers jours pour montrer l'engagement allemand dans la sécurité de ces deux pays. Avec mon homologue, Mme von der Leyen, nous avons signé un accord de mise en commun de nos avions de transport C-130 et avons poursuivi nos opérations conjointes au Mali dans le cadre d'EUTM Mali. Par ailleurs, les Allemands sont présents en Irak où ils forment des peshmergas kurdes. Nous renforçons nos engagements opérationnels de la brigade franco-allemande. Nous mettons en oeuvre avec l'Allemagne les décisions annoncées lors du sommet de l'Alliance atlantique de Varsovie et nous nous déploierons ainsi en Lituanie en 2018 dans le cadre de la « présence avancée rehaussée » de l'OTAN.

Dans le domaine de l'industrie d'armement, nous poursuivons l'élaboration du drone d'altitude moyenne et de longue endurance (MALE) et concrétisons le projet KANT – aujourd'hui dénommé KNDS, du nom des entreprises KMW et Nexter Defense Systems – qui fait émerger le leader européen dans les blindés de l'armée de terre et qui pose les jalons de coopérations futures, notamment dans la réflexion sur la succession des chars lourds actuels français et allemands.

Dans la même veine, la relation de défense franco-britannique est fondamentale pour notre défense. J'ai eu l'occasion de dire à plusieurs reprises que le Brexit n'empêchait pas l'affirmation de la volonté politique de la France et du Royaume-Uni de surmonter les obstacles éventuels et de garantir l'avenir des accords de Lancaster House. La France poursuivra sa coopération avec le Royaume-Uni tant au plan opérationnel que capacitaire. En matière d'entraînement, de convergence doctrinale et de déploiement conjoint, le concept de force expéditionnaire commune interarmées (CJEF) a été validé en avril 2016. Cette force conjointe constituera un outil permettant de faire face à un large spectre de crises, y compris de haute intensité. Sur le plan capacitaire, la coopération de défense franco-britannique a été confortée par la revue stratégique de défense et de sécurité conduite par Londres ; elle doit lancer des projets essentiels en commun, qu'il s'agisse du domaine des missiles, du système de combat aérien futur ou de guerre des mines. Nous avons pris avec Londres l'engagement d'être présents en Estonie l'année prochaine, au titre de la « présence avancée rehaussée » de l'OTAN.

L'Union européenne s'est dotée, sous l'impulsion de la Haute Représentante, d'une stratégie globale qui doit à présent être mise en oeuvre. Comme vous le savez, nous avons, avec Mme von der Leyen, fait des propositions de relance de l'Europe de la Défense, à la demande du président de la République et de la Chancelière fédérale. Nous avons déposé un texte, et les Italiens et les Espagnols ont rejoint cette initiative, qui repose sur trois éléments essentiels. Tout d'abord, dans le domaine des opérations militaires, nous soutenons le déploiement rapide des missions militaires de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) en développant en commun des capacités critiques – en s'appuyant par exemple sur l'Eurocorps –, en révisant le mécanisme Athéna en 2017 ou en élaborant, au sein de l'UE, des capacités de planification et de conduite permanente des opérations de la PSDC. Le deuxième axe d'efforts porte sur la mise en oeuvre d'une politique de sécurité et de défense en soutien aux pays africains. L'appui de l'UE doit concerner le domaine de la défense et pas uniquement celui du développement. Il faut rendre plus flexibles les instruments européens existants, dont l'Instrument contribuant à la stabilité et à la paix (IcSP) en premier lieu, afin de permettre l'équipement individuel et la mobilité des forces africaines que nous formons. Enfin, nous proposons de consolider la base industrielle et technologique de défense européenne. L'Action préparatoire, qui doit connaître sa première année de financement, constitue le premier jalon d'une politique industrielle européenne en faveur de la défense. Il convient d'avancer des propositions d'incitation pour la collaboration entre les différents pays européens sur ces capacités. Dans ce cadre, nous regardons avec bienveillance le projet de fonds européen de défense, qui doit être creusé avec la Commission européenne dans les prochaines semaines.

Ces propositions ont été discutées lors de la réunion informelle des ministres de la défense le 27 septembre dernier à Bratislava et sont soutenues, au-delà des Italiens et des Espagnols, par les Finlandais, les Tchèques, les Hongrois, les Portugais et les Néerlandais. Nous sommes ainsi encouragés dans notre démarche et dans l'optique des décisions que nous aurons à prendre lors du Conseil européen des 14 et 15 novembre prochains à Bruxelles. Si des blocages se faisaient jour, nous utiliserions le mécanisme de la coopération structurée permanente, introduit par le traité de Lisbonne.

La décision du gouvernement polonais de mettre fin unilatéralement à l'appel d'offres pour les hélicoptères, gagné par Airbus en 2015 en toute transparence, s'est accompagnée de commentaires désobligeants à notre encontre. La décision prise par Varsovie – double en fait, puisque les Polonais souhaitent acquérir quelques hélicoptères pour leurs forces spéciales sans appel d'offres – semble impossible à justifier tant sur le fond que sur la forme. Cette posture inacceptable du gouvernement polonais a amené le président de la République à reporter les consultations intergouvernementales prévues le 13 octobre prochain. Nous devrons examiner, ce qu'Airbus fait actuellement, les voies juridiques adéquates à suivre, mais également les conséquences de cette décision sur notre relation bilatérale de défense.

Lors du dernier sommet de l'OTAN des 8 et 9 juillet derniers, l'Alliance a su réaffirmer son unité et sa vocation à défendre collectivement la sécurité de ses membres, ce qui constituait le principal objectif affiché du sommet. L'importance du lien transatlantique a aussi été rappelée, sans pour autant occulter celle pour les Européens de continuer à oeuvrer pour un renforcement de leur défense. Outre ces messages forts, plusieurs mesures ont été prises. La posture nucléaire dissuasive de l'Alliance a été réaffirmée sans ambiguïté, et l'équilibre prôné par la France dans les relations entre l'OTAN et la Russie a été maintenu, à savoir la fermeté et la solidarité entre alliés d'un côté, et l'ouverture concrète au dialogue de l'autre. S'agissant plus largement de la coopération entre l'OTAN et l'UE, plusieurs volets sont concernés : le domaine maritime, la lutte contre les menaces hybrides et le renforcement de la cyberdéfense et du renseignement. Tout cela a fait l'objet d'un document qui, pour la première fois, articule l'action de l'OTAN et de l'UE pour la sécurité des Européens.

En 2015, les prises de commande à notre industrie de défense à l'exportation ont battu un record historique, avec près de 17 milliards d'euros. En 2016, nous obtiendrons un résultat comparable – l'annulation des trois milliards d'euros d'hélicoptères pour la Pologne n'ayant pas de conséquences comptables puisque la commande n'avait pas été passée. On a souligné avec raison le succès que constitue l'achat par l'Inde de 36 Rafales, mais la réussite la plus inattendue et la plus spectaculaire réside dans le choix australien d'avoir retenu, pour la construction de ses douze sous-marins, l'offre française. Le montant financier de cette opération est spectaculaire et cette commande va nous lier avec ce pays pendant de nombreuses années. Tout cela est le fruit de l'excellence de nos industriels, qui était déjà réelle auparavant, et consacre la méthode rigoureuse que j'ai mise en oeuvre pour éviter que la France aille prospecter en ordre dispersé. J'ai installé il y a trois ans un comité ministériel des exportations de défense (COMED), que je réunis pour chaque prospect. Cela nous permet de n'avoir qu'une seule offre par affaire – ce qui n'était pas toujours le cas auparavant – et de programmer l'intervention des différents acteurs. Cette méthode nous a rapporté des succès, mais également des adversités. Nous sommes reconnus dans le contexte stratégique mondial comme détenteurs d'une industrie de défense de qualité, qui nous aide pour lier de nouveaux partenariats avec des pays comme l'Australie et l'Inde et à approfondir ceux déjà existants – je pense notamment au Brésil. Cela nous donnera une présence significative dans l'océan Indien et dans le Pacifique australien.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion