Nous sommes heureux d'accueillir pour une audition ouverte à la presse une délégation de citoyens syriens qui vont nous présenter leur témoignage sur la situation humanitaire en Syrie, particulièrement à Alep.
M. Hagi Hasan Brita est président du Comité civil de la ville d'Alep, lequel est élu chaque année depuis 2013 dans les quartiers d'Alep-Est afin de coordonner les secours, d'organiser les services publics et de répartir quotidiennement les stocks de produits alimentaires. Certains d'entre nous ont déjà reçu une délégation de ce comité en mai 2015. M. Abdulrahman Almawwas est vice-président des Casques blancs syriens, chargé de la coordination opérationnelle des équipes de secours. M. Tammam Allodami, enfin, est l'un des derniers médecins à être parvenu à sortir d'Alep. Ils sont accompagnés de deux médecins franco-syriens qui exercent dans les hôpitaux français et qui font beaucoup pour acheminer l'aide humanitaire en Syrie. J'ajoute que le président des Casques blancs syriens, M. Raed Saleh, sera présent à Paris demain ; le Président de la République le recevra avec les autres membres de la délégation. Je salue également les membres de l'Union des organisations de secours et soins médicaux (UOSSM) en Syrie, qui accomplissent un travail admirable sur le terrain en mobilisant les réseaux de la diaspora syrienne, en France comme ailleurs en Europe.
Si j'ai pris l'initiative de vous inviter à Paris, c'est avant tout pour que nous rendions hommage à votre courage au service de la population civile d'Alep et de la Syrie. À titre personnel, j'estime que votre action aurait mérité que vous soit décerné le prix Nobel de la paix, et j'avais écrit au comité Nobel en ce sens ; vous avez malgré tout obtenu un prix prestigieux en récompense de vos efforts.
Les civils sont les principales victimes de cette guerre qui a fait environ 300 000 morts et chassé de chez eux 12 millions de Syriens. Depuis le 22 septembre, la population civile d'Alep est frappée par des bombes incendiaires et des bombes au phosphore, mais aussi des bombes à charge pénétrante pouvant atteindre les sous-sols, qui vous empêchent d'enseigner aux enfants dans les caves. Toutes ces armes sont naturellement prohibées par le droit de la guerre. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU estime que 406 personnes auraient été tuées et 1 384 autres blessées à Alep-Est entre le 23 septembre et le 8 octobre. À Alep-Ouest, 91 personnes auraient été tuées et 492 autres blessées entre le 20 septembre et le 12 octobre. Vous nous direz si ces chiffres vous semblent exacts. Alep subit un siège et même un blocus depuis de longs mois ; la faim sert peut-être même d'arme de guerre, la population devant se contenter du pain accumulé dans les stocks stratégiques que vous avez constitués – et qui s'épuisent. L'approvisionnement en eau potable est très perturbé. Les médecins, les hôpitaux et les organisations humanitaires sont devenues des cibles. Le 19 septembre, un convoi humanitaire de l'ONU et du Croissant-Rouge a été bombardé à Alep, ce qui a conduit l'ONU à suspendre ses convois humanitaires en Syrie. Vous comptez de nombreuses victimes dans vos rangs : plusieurs centaines de morts et de blessés à l'échelle du pays tout entier. Un représentant de l'UOSSM nous a indiqué l'an dernier que 150 hôpitaux avaient été la cible de frappes aériennes depuis 2011, et que 670 membres du personnel médical avaient trouvé la mort. Le président de Médecins sans frontières nous confirmait que le système de santé syrien était brisé. Cette organisation a décidé en janvier 2014 de se retirer des territoires contrôlés par Daech suite à l'enlèvement de cinq de ses médecins ; d'autre part, le régime syrien ne lui a toujours pas accordé l'autorisation de travailler dans les territoires qu'il contrôle. Le Comité international de la Croix-Rouge, quant à lui, a dû quitter Alep-Est il y a quelques mois en raison de la dégradation des conditions de sécurité, mais il continue de fournir une assistance à la population d'Alep-Ouest. Quelle est votre évaluation de la situation humanitaire dans la ville d'Alep ? Où intervenez-vous précisément ?
Notre objectif n'est pas d'établir les responsabilités des uns et des autres dans cette tragédie qui est sans doute la plus grave dans la région depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Nous souhaitons plutôt vous entendre car vous êtes les seuls à porter secours aux populations civiles. Qu'attendez-vous de la communauté internationale, de l'Europe et de la France, tant sur le plan humanitaire que diplomatique ? Chacun sait en effet que la seule solution est la paix ; à ce stade, néanmoins, elle ne semble pas possible à court terme, surtout depuis le rejet de la proposition française de résolution aux Nations Unies.