Intervention de Jean-Sébastien Vialatte

Réunion du 11 octobre 2016 à 17h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Sébastien Vialatte, député, co-rapporteur :

Épigénétique veut dire, selon les traductions, au-dessus ou au-delà de la génétique.

Ce terme a été inventé en 1942 par l'embryologiste britannique Conrad Waddington, afin d'étudier les mécanismes par lesquels les interactions entre les gènes et l'environnement donnent naissance au phénotype, c'est-à-dire aux caractères physiologiques et morphologiques de l'individu.

Près de quatre-vingt ans plus tard, ce terme a suscité une inflation de définitions et de controverses. Une de ces définitions, celle d'un généticien britannique Robin Holliday, semble toutefois inspirer un grand nombre de chercheurs. Selon cette définition, l'épigénétique est l'étude des changements d'expression des gènes transmissibles au travers des divisions cellulaires, voire des générations, sans changement de la séquence d'ADN.

Derrière cette formulation apparemment complexe sont en jeu des aspects vitaux du fonctionnement du corps humain puisqu'il s'agit, par exemple, de voir quand et comment des gènes codant pour des protéines ayant une fonction spécifique dans le foie doivent être actifs uniquement dans le foie, bien qu'ils soient présents dans chacune de nos cellules. En effet, si toutes les cellules ont le même ADN et les mêmes gènes, les gènes doivent être activés pour permettre le développement, c'est-à-dire la différenciation et l'identité cellulaires.

L'établissement de ce lien entre l'activité des gènes et ces problématiques du développement est-il le seul fait de l'épigénétique ? Et suffit-il à lui conférer une originalité au regard de la génétique ? Sur ces questionnements, qui ont dominé nos travaux, Alain Claeys et moi-même estimons que l'épigénétique est une nouvelle approche du vivant qui s'inscrit dans l'évolution de la génétique.

Cette approche connaît un incontestable essor depuis plus de vingt ans en raison, diront certains, des résultats limités ou, même, décevants du séquençage du génome humain et du « tout génétique ».

Cet essor, que j'analyserai dans une première partie, touche tous les domaines : la science fondamentale, les applications cliniques et l'organisation de l'enseignement et de la recherche.

Alain Claeys, dans la deuxième partie de cet exposé, traitera des conditions dans lesquelles, grâce aux résultats des recherches, l'épigénétique peut être un instrument susceptible de contribuer à la modernisation des politiques publiques de santé mais qu'il conviendra, toutefois, de concilier avec le respect des normes éthiques et juridiques, du fait des informations considérables que l'épigénétique peut fournir sur les individus.

Rien ne résume mieux les rapports entre génétique et épigénétique, que ce propos de M. Timothy Spector, professeur d'épidémiologie génétique au King's College de Londres, selon lequel « l'âge du gène est loin d'avoir pris fin, il a simplement progressé dans l'âge de l'épigénétique ». En d'autres termes, bien que l'épigénétique ait sa propre logique, elle n'en est pas moins tributaire des connaissances qui ont été accumulées par la génétique, lesquelles touchent à la science fondamentale et au domaine des applications cliniques.

Au plan de la science fondamentale, notamment, les progrès de la connaissance sur la régulation génique ont préparé le terrain de l'épigénétique. Il en est ainsi des travaux de François Jacob et de Jacques Monod sur l'opéron, grâce auxquels ils ont tenté de répondre à la question centrale de l'épigénétique de savoir comment les cellules – que ce soit celles d'une bactérie ou d'un eucaryote – peuvent, à l'aide d'un ensemble de gènes, exprimer d'autres gènes, acquérant ainsi différentes propriétés stables.

Une autre avancée majeure est issue des travaux de John Gurdon et de Shinaiya Yamanaka sur la reprogrammation des cellules souches ou cellules souches pluripotentes, lesquels travaux leur ont valu le prix Nobel de médecine en 2012. Ils ont permis de révéler que la spécialisation des cellules était un phénomène réversible. Or, une telle découverte, non seulement va à l'encontre d'un des dogmes de la biologie mais met en évidence une des caractéristiques essentielles des mécanismes de l'épigénétique, qui est précisément leur réversibilité.

Au plan clinique, comme nous l'avons déjà indiqué dans notre précédente étude sur la médecine de précision, les travaux du professeur Yamanaka jouent également un rôle important dans le domaine de la thérapie cellulaire, du fait du potentiel thérapeutique des cellules souches pluripotentes pour la médecine régénérative.

Mais nous évoquons aussi, dans le rapport, les potentialités thérapeutiques du CRISPR-Cas9, technique que beaucoup qualifient de révolutionnaire. Je n‘y insiste pas puisque, comme vous le savez, une étude a été confiée sur cette question à notre collègue sénatrice Catherine Procaccia et au président Jean-Yves Le Déaut.

Si, donc, la génétique a déjà abordé certaines problématiques de l'épigénétique, en quoi consiste la nouveauté de son approche du vivant ?

Elle apporte un niveau supplémentaire d'informations sur la régulation des gènes à travers un réseau très complexe de mécanismes, dont l'ensemble constitue l'épigénome. Les trois principaux mécanismes sont :

˗ la méthylation de l'ADN ;

˗ la modification des histones ;

˗ les ARN non codants : qu'il s'agisse des petits ARN interférents ou des longs ARN non codants, ils jouent un rôle important dans le contrôle de l'expression des gènes ou dans la régulation épigénétique de leur expression.

Ces mécanismes épigénétiques ont d'abord pour objet de contribuer au développement et à la différenciation cellulaires, c'est-à-dire de maintenir une certaine stabilité au cours de la vie, afin qu'une cellule du foie reste une cellule du foie. Mais, dans le même temps, ces différents mécanismes épigénétiques doivent permettre, au moment du développement, une flexibilité importante pour que chaque cellule trouve sa place et sa fonction spécifique.

Le deuxième objet de ces mécanismes épigénétiques est d'être une interface entre les gènes et l'environnement. C'est à travers la réversibilité et la transmissibilité des marques épigénétiques que les facteurs environnementaux influent sur l'épigénome.

La réversibilité est le trait qui distingue les marques épigénétiques des marques génétiques. Les facteurs environnementaux contribuent en effet au développement des phénotypes anormaux et à des réponses physiologiques normales à certains stimuli environnementaux.

Quant à la transmissibilité, largement discutée, cette caractéristique vient de ce qu'une minorité de marques ne s'efface pas lors de la différenciation des gonades, c'est-à-dire des glandes sexuelles mâles ou femelles. C'est ainsi que s'effectue la transmission non pas génétique mais éventuellement épigénétique.

Cet apport d'informations supplémentaires sur la régulation génique a permis, au plan clinique, de renouveler l'étiologie de plusieurs maladies. Car du fait de l'action des mécanismes épigénétiques, des maladies génétiques comme le cancer, par exemple, doivent désormais être considérées comme génétiques et épigénétiques. À ce renouvellement de l'étiologie des maladies, l'épigénétique environnementale et la DOHaD (acronyme anglais pour origines développementales de la santé et des maladies) ont apporté une contribution importante. C'est un chercheur américain, Michael Skinner, qui, dans une étude de 2010, a indiqué que les facteurs environnementaux étaient décisifs dans l'étiologie des maladies. Quant à la DOHaD, l'hypothèse des origines développementales de la santé et des maladies est apparue dans les années 1980 et postule que l'environnement, au cours de la période de développement, qu'il s'agisse des phases de développement précoce ou de la période post-natale, peut conduire un individu à être atteint de pathologies chroniques à l'âge adulte. Cela a été popularisé sous le nom d'« hypothèse de Barker » et confirmé expérimentalement par l'étude de modèles animaux.

Ce double apport original de l'épigénétique dans le domaine de la recherche fondamentale et celui des applications cliniques est à l'origine de l'essor incontestable qu'elle connait depuis plus de vingt ans.

Cinq facteurs, liés intimement les uns aux autres, ont contribué au progrès continu dans la connaissance de l'épigénome :

1) le perfectionnement des outils d'analyse grâce, notamment, aux cartographies de l'épigénome réalisées par les deux grands projets : le Road Map Epigenomics Program, dirigé par le National Institutes of Health (NIH), et le projet Blueprint financé par l'Union européenne ;

2) l'exploration de nouveaux domaines de recherche : au sein de l'épigénétique, non seulement le rôle des mécanismes épigénétiques a été de mieux en mieux identifié mais, en outre, le développement des études en matière d'épigénétique environnementale a donné naissance à de nouveaux champs de recherche, tels que l'exposomique.

L'interaction entre l'épigénétique et d'autres disciplines scientifiques a également contribué à son essor. Il en est ainsi de la génétique puisque CRPR-Cas9 est également appliqué en épigénétique, comme on a pu le voir à l'institut de recherche en cancérologie à Montpellier ;

3) l'expansion de l'épigénétique dans les institutions académiques : elle a été encouragée par le double fait que l'épigénétique est facteur d'interdisciplinarité et source de spécialisation académique ;

4) le rythme soutenu des colloques. Leur nombre atteint plusieurs dizaines et leurs thèmes qu'ils soient généralistes ou spécialisés illustrent en tout état de cause la vitalité de la recherche ;

5) enfin, la croissance exponentielle du nombre de publications est également un indicateur de l'essor de l'épigénétique.

Cet essor de la recherche fondamentale est à la base de l'intensité de la recherche translationnelle, qu'illustre la diversité des thérapies épigénétiques. Car, en la matière, les chercheurs ont su exploiter toutes les voies, qu'il s'agisse de la réversibilité des mécanismes épigénétiques, pour mieux soigner les cancers, par exemple, qu'il s'agisse encore de médicaments multi-pathologies capables de soigner plusieurs types de cancers ou qu'il s'agisse, enfin, de l'utilisation de produits naturels tels que le curcumin.

Pourtant, cet essor ne doit pas dissimuler les importants défis auxquels l'épigénétique est confrontée.

Une première catégorie touche au statut scientifique de l'épigénétique ainsi qu'aux limites du savoir fondamental. L'audition publique de l'OPECST du 16 juin 2015, consacrée aux enjeux scientifiques et technologiques de l'épigénétique, a montré clairement la diversité des thèses, certains y voyant un nouveau paradigme, d'autres, au contraire, la continuité de l'épigénétique, d'autres encore souhaitant une synthèse.

Quant au savoir fondamental, il doit affronter les inconnues persistantes ayant trait au mode d'action des mécanismes épigénétiques, dont la connaissance demeure partielle. S'y ajoutent les difficultés à apprécier les effets de l'environnement, d'autant que celui-ci change d'un individu à l'autre en fonction de son âge et de son état physiopathologique.

Une deuxième catégorie de défis concerne les thérapies épigénétiques, dont l'efficacité reste à améliorer. Par exemple, en ce qui concerne les épimédicaments anticancéreux, leur combinaison avec d'autres thérapies peut relever ou restaurer la sensibilité à de telles thérapies. Pour autant, il ressort de certaines évaluations que seulement 3 % des patients répondent aux épimédicaments utilisés en monothérapie, ce taux s'élevant à 20 % en cas de combinaison de thérapies.

Ces imperfections devraient inciter toutefois les acteurs concernés, pouvoirs publics, chercheurs et industries pharmaceutiques, à continuer de soutenir la recherche, car la recherche peut jouer un rôle catalyseur dans l'amélioration de l'efficacité des systèmes de santé, en particulier en contribuant à baisser le coût des médicaments et des traitements.

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