Intervention de Alain Claeys

Réunion du 11 octobre 2016 à 17h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Claeys, député, co-rapporteur :

Deux grands problèmes concernant les enjeux éthiques et sociétaux ont dominé nos travaux : comment les pouvoirs publics peuvent-ils tirer profit, de façon optimale, de l'essor de l'épigénétique ? Comment, ensuite, concilier ce même essor avec le respect des normes juridiques et éthiques ?

À l'heure où tous les États sont à la recherche de moyens permettant de réduire les dépenses de santé, tout en tentant de préserver la qualité de soins, l'exploitation des résultats de la recherche en épigénétique peut aider les autorités politiques et sanitaires à poursuivre ces objectifs.

Tout d'abord, force est de constater l'adéquation de la recherche aux objectifs de la médecine des 4P, l'acronyme 4P signifiant prédictive, préventive, personnalisée et participative. Cette notion, considérée comme le paradigme de ce siècle, a été forgée il y a près d'une quinzaine d'années par le chercheur américain Leroy Hood. Son ambition a été de maximiser l'efficacité de la médecine des systèmes en étendant son application hors de l'hôpital et des cliniques à l‘ensemble de la société.

C'est parce qu'elle épouse aussi la même conception intégrative da la santé que la recherche en épigénétique – malgré toutes les imperfections dont Jean-Sébastien Vialatte a parlé – décline les différents aspects de cette médecine des 4P et plaide en faveur du développement durable de la santé.

L'épigénétique est, en effet, un outil de la médecine prédictive. Dans le domaine du cancer, par exemple, les modifications épigénétiques jouent le rôle de biomarqueur, permettant un diagnostic précoce du développement des tumeurs ou encore de fournir une base à la prise de décision clinique, une fois que la tumeur a été identifiée.

L'épigénétique est, en deuxième lieu, un outil de la médecine préventive. Ainsi a-t-on pu dire du concept de la DOHaD qu'il offre des possibilités de prévention parce qu'il s'intéresse aux origines des pathologies observées chez l'adulte (en général des pathologies chroniques).

L'épigénétique est, en troisième lieu, un outil de la médecine personnalisée. C'est ce qu'illustre la cartographie épigénétique qui repose sur la même logique que la médecine de précision. Car, pour mieux soigner les patients atteints du cancer, on va séquencer le génome tumoral, déterminer les mutations dont il est porteur, trouver une mutation précise et cibler cette mutation avec les molécules pharmaceutiques qui en sont spécifiques.

L'épigénétique est, enfin, un outil de la médecine participative. Sur ce point, nous citons, dans le rapport, un exemple – qui, bien qu'hypothétique, n'en est pas moins éclairant – dans lequel l'adaptation à l'ensemble d'une population des principes de la médecine personnalisée permet de revoir le projet prévu par un plan d'urbanisme local de construire une école à proximité d'une route à grand trafic.

L'idée de développement durable de la santé a été évoquée lors de l'audition publique de l'OPECST du 29 novembre 2015 consacrée aux enjeux éthiques et sociétaux de l'épigénétique. Cette notion permet de souligner que l'épigénétique inscrit les politiques de santé dans le temps long. Une étude américaine rappelle, pour sa part, que cette notion est le fruit de la synthèse des travaux issus de la DOHaD, de l'épidémiologie tout au long de la vie, des maladies chroniques et du développement neuronal. Quant à la synergie entre la politique de la santé et les autres politiques sectorielles, elle est un autre thème majeur de la recherche.

Ainsi, je retiendrai la forte remarque que le Pr Jean-Claude Ameisen, président du Comité consultatif national d'éthique, a formulée lors de l'audition publique de l'OPECST du 25 novembre 215 consacrée aux enjeux éthiques et sociétaux de l'épigénétique, selon laquelle l'un des apports de l'épigénétique réside dans le fait de focaliser l'attention dans notre pays sur l'environnement humain et social, afin qu'il soit le plus favorable pour chacun et pas seulement pour les populations vulnérables. Car est en jeu l'application, dans les faits, du préambule de la Constitution de 1946, qui garantit à tous la protection de la santé.

Prolongeant cette réflexion, nos collègues Dominique Gillot, sénatrice, et Gérard Bapt, député, ont, quant à eux, invoqué la notion de démocratie sanitaire consacrée par la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016.

S'interrogeant ensuite sur la démarche holistique qui devrait être menée, les intervenants ont évoqué plusieurs domaines d'action touchant aux politiques de l'enfance, aux mesures à prendre par le système éducatif et à la formation des acteurs médicaux. Par ailleurs, les intervenants se sont attachés à trouver un point d'équilibre entre responsabilité individuelle et responsabilité collective, refusant toute stigmatisation des individus du fait de comportements qui pourraient être jugés contraires à une bonne hygiène de vie.

À l'étranger, aux États-Unis notamment, le rôle prépondérant accordé par certains chercheurs aux facteurs socio-économiques dans les déterminants de santé les conduit à préconiser la prise en compte de la santé dans toutes les politiques.

Ils soutiennent, en effet, que les solutions apportées aux inégalités de santé intervenues hors du système de santé peuvent réduire les coûts de santé et les disparités.

La portée réelle de ces résultats de la recherche sur la conduite des politiques publiques de santé n'est pas négligeable, sans toutefois porter tous ses fruits du fait d'obstacles de nature diverse.

Au sein des États, les autorités politiques ont, en effet, repris dans des textes les idées avancées par la recherche. En France, par exemple, suivant la voie ouverte par le 3e plan national Santé-environnement, qui couvre la période 2014 2019, la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a ainsi consacré la notion d'exposome. Cette notion résulte d'un amendement qui a été déposé à l'initiative de notre collègue Gérard Bapt. Aux termes de l'article premier de la loi du 26 janvier 2016, l'exposome est défini comme l'intégration, au cours de la vie entière, de l'ensemble des expositions qui peuvent influencer la santé humaine. C'est sur la base de ce concept d'exposome que, toujours aux termes de l'article premier, s'apprécie l'identification des principaux déterminants de la santé, notamment ceux liés à l'éducation et aux conditions de vie et de travail. Cette démarche holistique de la politique de santé est également affirmée par une autre disposition figurant notamment à l'article premier. Elle prévoit expressément que les actions de promotion de la santé reposent sur la concertation et la coordination de l'ensemble des politiques publiques pour favoriser à la fois le développement des compétences individuelles et la création d'environnements physiques, sociaux et économiques favorables à la santé.

Aux États-Unis, la loi du 23 mars 2010, encore appelée Obama Care, poursuit des objectifs identifiés par la recherche, à travers l'accent mis sur la prévention et le bien-être, l'amélioration de la qualité de la santé et la performance du système de santé, ou encore le développement de la santé au travail.

S'agissant du Canada, nous avons choisi, dans le rapport, d'illustrer la prise en compte des objectifs de la recherche en évoquant les divers dispositifs dédiés au développement de la recherche en épigénétique.

Enfin, pour ce qui est de la Suisse, nous faisons état d'initiatives concernant la médecine de précision. Nous citons également les projets ou études qui ont été lancés par l'Union européenne ou l'ONU et qui touchent à des domaines explorés par la recherche.

La prise en compte des travaux de la recherche ne produit toutefois que des effets limités. Ainsi, partout, la prévention – sur l'importance de laquelle insiste la DOHaD – demeure le parent pauvre des politiques de santé.

En outre, la question de l'adéquation des dépenses de prévention à leurs objectifs se pose. C'est ainsi, par exemple, qu'une étude de 2010 d'une revue américaine a calculé que, si 90 % de la population des États-Unis recourait davantage à des soins de prévention, cela ne permettrait d'économiser que 0,2 % des dépenses de santé.

La défaillance des dispositifs institutionnels a également pour effet de limiter l'efficacité des politiques de santé, qu'il s'agisse de la question récurrente de l'insuffisante coordination des politiques de santé ou encore de l'absence de politiques publiques dans certains domaines comme, par exemple, le retard apporté par l'Union européenne à définir la notion de perturbateurs endocriniens, alors même que l'impact global de ces perturbateurs endocriniens en Europe a été évalué, l'an dernier, à 175 Mds d'euros par des chercheurs.

Les comportements des personnes privées ne sont pas plus vertueux que ceux des États car ils vont aussi à l'encontre des politiques de santé efficaces. S'agissant des individus, nous avons déjà relevé, dans notre étude sur la médecine de précision, que les Français étaient moins réceptifs que d'autres Européens aux objectifs de la prévention par l'éducation à la santé, comme le montre, par exemple, le taux de prévalence du tabagisme, qui s'établir à 33 % en France alors que, au Royaume-Uni, il est inférieur à 20 %. En outre, ce même taux ne baisse pas, contrairement à ce qui se passe dans les pays voisins.

La stratégie, très coûteuse, de l'industrie pharmaceutique ne peut pas non plus être considérée comme responsable, ainsi que l'a montré le cycle d'auditions qui a été organisé sur le prix du médicament au mois de juin dernier par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale. Comme l'ont dit certains professeurs de cancérologie alors auditionnés, la fixation, par l'industrie pharmaceutique, du prix des médicaments anticancéreux à des niveaux toujours plus élevés risque de mettre en péril notre système de sécurité sociale même si, pour le moment, à la différence de certains autres pays, personne, en France, n'a encore été exclu de l'accès aux médicaments du fait de leur prix.

Le dernier volet du rapport est consacré aux conditions dans lesquelles l'essor de l'épigénétique pourrait se concilier avec le respect des normes éthiques et juridiques. Cette problématique recouvre deux questions principales : celle de l'opportunité de définir l'information épigénétique et celle, ensuite, d'éventuelles modifications législatives à introduire. Sur le premier point, les réponses sont diverses, que ce soit en France ou à l'étranger.

En France, lors de l'audition publique de l'OPECST du 25 novembre 2015, certains intervenants ont soutenu la nécessité de définir l'information épigénétique pour tenir compte de ses spécificités au regard de l'information génétique, tout en étant conscients des difficultés juridiques de l'élaboration d'une telle définition.

La majorité des intervenants s'est, en revanche, déclarée réservée quant à l'opportunité d'une telle définition pour des motifs d'ordre juridique, tenant notamment aux inconnues entourant la nature des données ou des informations épigénétiques. S'agissant des motifs de nature scientifique, Mme Béatrice de Monterra, maître de conférence à l'université catholique de Lyon, a déclaré qu'il était difficile de réduire le savoir sur l'épigénétique à des catégories figées, qu'elles soient philosophiques, scientifiques ou juridiques.

À l'étranger, des positions contrastées ont également été exprimées. Aux États-Unis, le Pr Marc Rothstein, directeur de l'Institut de bioéthique de l'université de Louisville, a indiqué, dans l'une de ses célèbres publications, que bien que l'information épigénétique et l'information génétique aient de nombreuses caractéristiques communes, elles ne sont pas identiques. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, lors de notre déplacement aux États-Unis, il nous a déclaré, notamment, que l'épigénétique appelait, selon lui, un nouveau mode de protection, en raison du fait qu'elle met en relief la diversité biologique des individus.

C'est pourquoi il a plaidé en faveur d'un modèle qui tendrait précisément à promouvoir la diversité et à améliorer la santé des individus en assurant leur accès au système de santé, ce qui permettrait de garantir le respect des droits de l'Homme. Il nous a toutefois précisé qu'une telle vision ne recueillait aucun consensus aux États-Unis.

Au Royaume-Uni, des juristes considèrent que bien que l'épigénétique accroisse le volume d'informations concernant les individus, cette circonstance ne signifie toutefois pas que l'épigénétique pose de nouveaux problèmes éthiques. En revanche, un professeur de droit espagnol évoque, dans une étude, les nouveaux défis soulevés par l'épigénétique dans les droits fondamentaux. Il insiste, en effet, sur le fait que les normes nationales, communautaires et internationales ne prennent pas suffisamment en compte de tels défis, ce qui l'amène à proposer l'établissement d'un cadre juridique renforcé sur la base de dispositions que le droit français ou le droit communautaire a adoptées récemment.

Dans ce contexte, la question des modifications éventuelles à apporter à la législation peut être envisagée selon deux situations différentes. Dans la première, les législations existantes seraient étendues à l'épigénétique. C'est le cas de la protection des données à caractère personnel. Cet objectif est, en effet, impérieux compte tenu, notamment, de l'intervention accrue de ce que l'on appelle désormais les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) dans le domaine de la santé. Mais la difficulté, en ce domaine, réside dans la nécessité de tenir compte, également, des droits des chercheurs. La législation française récente tente de concilier ces exigences à travers les dispositions de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé sur le dossier médical partagé et le droit des chercheurs d'accéder aux données du système national des données de santé.

Quant à la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique modifiant l'article premier de la loi Informatique et libertés, elle consacre le droit à l'autodétermination informationnelle, c'est-à-dire la nécessaire maîtrise par l'individu de ses données.

Le législateur français anticipe, de cette façon, l'incorporation en droit interne des dispositions du règlement général sur la protection des données du 27 avril 2016, qui a considérablement renforcé les droits des individus, en particulier en ce qui concerne le respect du consentement éclairé.

Le droit des brevets est un autre domaine dans lequel le droit existant pourrait être également étendu, sans changement à l'épigénétique.

Dans un second cas de figure, l'épigénétique pourrait appeler des dispositions particulières que nous évoquons et qui, d'ailleurs, font l'objet de recommandations. Elles visent soit à renforcer la garantie des droits fondamentaux, soit à demander à la Commission européenne de réexaminer l'adéquation du règlement REACH à l'appréciation des effets épigénétiques de produits toxiques.

En conclusion, je voudrais insister sur deux questions qui ont été évoquées tout au long de nos travaux.

Première question : l'épigénétique est-elle une nouvelle logique du vivant ?

Nous considérons que l'épigénétique et la génétique doivent s'enrichir de leurs apports et progrès respectifs. C'est d'ailleurs ce que font certains chercheurs en épigénétique en utilisant CRISPR-Cas9.

Deuxième question : cette réflexion sur l'épigénétique était-elle prématurée, comme on a pu l'écrire dans la presse récemment, ou inutile, comme un professeur de médecine a pu nous le faire remarquer pour refuser une invitation à être auditionné ? Ce n'est pas parce que l'épigénétique doit encore affronter de nombreuses imperfections ou inconnues que l'OPECST devait s'interdire une telle démarche. Car cette étude nous a renforcés dans la conviction, qui nous a guidés dans nos rapports précédents, de la nécessité de satisfaire à une double ardente obligation. Celle, d'abord, de soutenir résolument la recherche, non seulement parce qu'elle est l'un des facteurs essentiels de la compétitivité de notre pays mais aussi parce qu'elle est un catalyseur du développement durable de notre système de protection sociale, sans lequel il n'existe pas de démocratie sanitaire. Celle, ensuite, de garantir en toute circonstance le respect des principes éthiques.

En ce qui concerne les recommandations que nous proposons, nous leur avons joint un exposé des motifs.

Par ailleurs, je signale que le président Jean-Yves Le Déaut nous a fait parvenir des amendements de nature rédactionnelle.

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