Vous avez relevé, Monsieur Frédéric Barbier, que la précarité touche 38 % des emplois dans l'industrie automobile. Je puise dans votre observation une réponse à notre collègue Michel Heinrich : il n'est pas acceptable que la précarité soit à ce point dominante dans le secteur. Il ne s'agit pas d'ajouter de la rigidité, pas plus qu'il ne saurait y avoir d'atteinte à la liberté d'entreprendre lorsque nous parlons d'entreprises dont l'État lui-même est actionnaire. Il en va d'une certaine conception du contrat social.
Monsieur Frédéric Barbier, quand vous nous appelez à ne pas déstabiliser l'industrie, je dirais qu'il faut pourtant savoir faire mouvement et changer d'approche dans un monde qui bouge très vite. Soyons offensifs alors que de nouveaux acteurs arrivent.
M. Gabriel Serville a parlé des véhicules hors d'usage. Il est vrai que les casses illégales représentent un problème économique et écologique. La loi relative à la transition énergétique entend favoriser l'utilisation de pièces de réemploi, et PSA travaille déjà à mettre en place des processus d'économie circulaire. Le rapport évoque par ailleurs les contrôles effectués par l'administration ; dans des situations comme celle que connaît la Guyane, l'engagement de l'État est lui aussi un enjeu.
Monsieur Yannick Favennec, nous ne prônons pas le statu quo fiscal, mais une convergence progressive en cinq ans entre le diesel et l'essence, en engageant avec l'industrie automobile une discussion sur la façon de négocier au mieux ce virage. Quand, en 2012, l'OMS a classé les particules rejetées par les véhicules diesel comme cancérigènes certains, la France aurait dû prendre des décisions pour aider les entreprises à anticiper le mouvement de décrue rapide des ventes de véhicules diesel. Les pouvoirs publics ne peuvent s'exonérer aujourd'hui de leur inertie passée, mais doivent au contraire se montrer responsables vis-à-vis tant de l'industrie que des automobilistes : n'oublions pas que 31 % des ménages ruraux consacrent plus de 5 % de leur budget à l'achat de carburant.
J'en viens à la récupération de TVA des véhicules d'entreprise. Les enjeux environnementaux de la question sont limités dans la mesure où il s'agit de véhicules neufs qui doivent se conformer à la norme européenne Euro 6, qu'ils roulent au diesel ou à l'essence. Mais il est anormal qu'une entreprise doive, du fait de la réglementation, acheter de préférence des véhicules de type diesel. Nous voulons que la TVA perçue sur l'achat de véhicules de type essence devienne en cinq ans totalement récupérable pour l'entreprise acquéreuse. Cette question de la récupération de la TVA était le principal point de crispation quand nos travaux ont commencé. Car ce sont aujourd'hui les entreprises qui achètent des véhicules neufs, les particuliers préférant les véhicules d'occasion. L'an dernier, le Gouvernement s'était prononcé contre un amendement qui tendait à approcher, en quatre ans, l'essence du diesel. Comment accepterait-il aujourd'hui de le faire en deux ans ? Pour ma part, je prône une convergence en cinq ans, ce qui est aussi la position de l'Observatoire du véhicule d'entreprise. Il serait bon, d'ailleurs, si nous sommes tous convaincus par la cohérence de cette position, que cette mesure soit adoptée à l'unanimité.
Au début de nos travaux, nous nous sommes beaucoup interrogés sur la réforme de l'UTAC, organisme central du contrôle technique des véhicules. Sans être partisane à tout crin du système américain, il me semble plus logique et vertueux d'opter pour le choix d'un autocontrôle a priori, assorti d'un vrai contrôle aléatoire a posteriori, tel qu'en conduit l'agence américaine de protection de l'environnement. L'UTAC manque de moyens et un problème de statut doit être réglé pour écarter tout soupçon de conflit d'intérêts, mais l'absence de surveillance de marché est encore plus grave. C'est l'office fédéral allemand du transport motorisé, la KBA (Kraftfahrt-Bundesamt), qui a découvert, chez Fiat, un logiciel qui coupe le système de réduction des émissions nocives au bout de vingt-deux minutes, les tests ne durant que vingt minutes. Les contrôles aléatoires sur les véhicules en circulation sont le dispositif le plus vertueux pour éviter les tricheries. S'agissant de l'homologation préalable, des organismes seraient certifiés, l'administration délivrerait un récépissé de circulation dans l'Union européenne, mais l'idée serait de faire confiance aux acteurs qui s'en occupent.
En ce qui concerne la filière des batteries, il est important qu'elles soient réutilisées dans une deuxième vie – c'est déjà le cas pour les batteries de Renault. Le groupe Bolloré a investi 3 milliards d'euros sur vingt ans pour développer la technologie de batterie utilisée en autopartage.
Les véhicules électriques feront la preuve qu'ils sont parfaitement adaptés aux usages dans les territoires ruraux. Dans les Deux-Sèvres, où les conducteurs roulent entre 50 et 60 kilomètres par jour, ils furent d'abord surpris de n'avoir pas à recharger chaque jour, mais seulement tous les quatre à cinq jours, ce qui correspond à une autonomie de 300 kilomètres.
Grâce au super bonus accordé par le Gouvernement, le marché particulier des véhicules électriques est en train de décoller. Ce sont les achats par les particuliers qui sont maintenant majoritaires : certes, on ne dépasse guère 1 % des véhicules en circulation et 1 % des véhicules neufs, mais un mouvement s'amorce.
Madame Marie Le Vern, s'agissant de l'interopérabilité des technologies, de nombreuses initiatives ont été prises pour déployer des bornes de recharge des véhicules électriques, mais aucun schéma directeur n'existe. En tout état de cause, la question de l'impact sur la production d'énergie nucléaire est moins importante que celle de l'impact sur l'équilibre du réseau électrique : l'ensemble des véhicules électriques représentent un besoin couvert par un quart de la production d'un réacteur nucléaire. La question première est donc celle de l'appel de puissance et de la courbe de charge. Il faudrait inventer un système de tarifications de type heures pleinesheures creuses.
Quant au rétablissement de la confiance dans le respect des normes, Monsieur Guillaume Chevrollier, notre axe d'analyse a bien été de trouver la manière de sortir par le haut de la crise actuelle. On ne peut être que perplexe quand on sait comment le système européen de normes a été construit et trafiqué, avec une kyrielle d'exceptions pour chaque article. On parle de la norme Euro 6, mais il existe en fait des normes Euros 6A, Euro 6B, Euro 6C, etc. Illisible, le système s'est développé dans une logique de moins-disant écologique. Car il y a, en ce domaine, un problème de l'influence de la France à Bruxelles. Il n'est pas normal que, dans certaines réunions, la France n'ait qu'un négociateur, tandis que l'Allemagne en envoie trois. Il n'est pas normal que les nouveaux protocoles prévoient des tests à 160 kmh, alors qu'en France la vitesse maximale est fixée à 130 kmh. Il n'est pas normal que la nouvelle directive sur le CO2 impose un système de calcul par constructeur qui désavantage les constructeurs français qui ont fait jusqu'ici le plus d'efforts, en leur imposant un niveau d'objectif plus ambitieux que celui que ne va pas atteindre l'industrie allemande. N'ayons pas une approche naïve des normes : elles recouvrent naturellement des enjeux industriels, et tout se joue dans les détails. Que les tests des émissions dans les conditions de conduite réelles (real driving emissions, RDE) soient conçus pour 30 kmh, et non pour 15 kmh, fait perdre de sa valeur à la technologie française du stop and start.
Je plaide donc pour une refonte du système. Alors que la Commission européenne préfère garder l'ensemble normatif existant et y ajouter de nouvelles strates, je suis en faveur d'une norme multicritères, prenant en compte à la fois le dioxyde de carbone et les particules, émises par un seul et même moteur. La puissance publique doit définir une norme pour chacun de ces paramètres et en assurer le contrôle effectif. La France a effectué un travail diplomatique remarquable en poussant l'Union européenne à faire entrer en vigueur dans les délais l'accord de Paris sur le climat, ce qui n'était pas acquis d'avance. Elle doit maintenant faire la même chose sur le contrôle des émissions nocives par les automobiles.
La proposition de règlement publiée par la Commission européenne à la suite de l'affaire Volkswagen ne règle rien. Elle ne fait même que semer la confusion sur le partage des compétences entre l'Union européenne et les États membres. Ainsi, les véhicules Mercedes Daimler équipés d'une climatisation fortement émettrice de gaz à effet de serre font l'objet d'un contentieux devant la Cour de justice de l'Union européenne qui n'a toujours pas été tranché au bout de quatre ans, mais la nouvelle réglementation ne réglerait rien, pas plus que dans l'affaire Fiat. Ce manque de crédibilité des normes européennes pose un problème de compétitivité au niveau mondial. Quel sera le système de référence mondial ? Une bataille est engagée sur cette question, où l'Europe a perdu beaucoup de points.
Par ailleurs, les prérogatives que la directive européenne a déjà reconnues aux États membres pour exercer une surveillance de marché ne sont pas utilisées dans notre pays. Alors que les rappels de véhicules sont obligatoires en Allemagne, ce n'est pas le cas en France. C'est tout de même curieux. Sans attendre la nécessaire révision du cadre européen, on peut prendre des décisions en France.
Madame Michèle Bonneton, en matière d'économie circulaire, Renault ou certains équipementiers font déjà beaucoup, notamment pour employer des matériaux biosourcés. Nous avons ainsi vu au Mondial de l'automobile des tableaux de bord en chanvre. Des innovations arrivent.
Quant à la recherche et développement, c'est la mère de toutes les batailles, car il en va des emplois de demain. Les grands équipementiers français sont redevenus prospères parce qu'ils ont su augmenter leurs dépenses en recherche et développement après la crise de 2008 et 2009. Nous devons aider les deux constructeurs nationaux à avoir les coudées plus franches en ce domaine. L'industrie automobile est la première de France pour les dépenses de recherche, pour les dépôts de brevets. Elle réalise 13,9 % de la dépense intérieure en matière de recherche, pour seulement 6 % du crédit impôt recherche. Nous devons donc créer un environnement facilitateur.
Les véhicules autonomes vont se développer et seront certainement électriques, car les révolutions se cumulent dans le même objet. Dans un premier temps, il s'agira sans doute de flottes spécifiques, et les voitures familiales accessibles à tous, coeur du marché français, ne seront pas concernées. Nous commencerons plutôt par des robots taxis.
Monsieur Michel Heinrich, nous n'avons pas rédigé un rapport à charge contre le diesel, mais un rapport objectif. Plus rien ne justifie l'avantage fiscal dont bénéficie le diesel. Il n'est pas normal que nous n'ayons pas tiré les conséquences de l'analyse de l'OMS de 2012, qui a alerté sur les effets cancérigènes du diesel. Cela dit, notre rapport reprend à son compte les déclarations de M. François Cuenot, de l'ONG Transport & environnement, la plus intransigeante, au niveau européen, en matière d'émissions polluantes, pour dire que le débat sur l'interdiction du diesel n'a pas lieu d'être. En effet, dans cinq à dix ans, nous serons sans doute tout aussi inquiets sur les nouvelles motorisations essence à injection directe, qui émettent des particules extrêmement fines et nocives pour la santé. En réalité, nous devons choisir entre deux inconvénients : le diesel qui a fait des efforts sur les NOx, mais pose un problème au regard du dioxyde d'azote qu'il rejette ; la motorisation essence récente, qui bénéficie d'une dérogation de trois ans pour l'installation de filtres à particules fines, ce qui révèle la faillite du système européen de normes.
Je n'opposerai pas un service à compétence nationale et une agence européenne qui, si elle se crée, trouvera dans le premier un bras armé. Il n'y a donc pas d'incohérence à avancer des propositions sur ces deux niveaux de compétence.
Monsieur Lionel Tardy, le seuil de revenus imposables pour l'économie collaborative que nous proposons est peut-être fixé trop bas, mais je suis ouverte à la discussion sur ce point. On doit néanmoins tracer une frontière entre les particuliers qui optent pour l'autopartage et la concurrence déloyale faite par les loueurs professionnels.
Monsieur Christophe Bouillon, ce rapport ne finira pas dans un placard. C'est d'ailleurs pour éviter cela que nous avons rédigé des propositions qui peuvent d'ores et déjà être adoptées en loi de finances. Va-t-on, en France, vers une alliance formalisée entre industriels de l'automobile et pouvoirs publics, comme cela se fait en Allemagne et au Japon ? Elle aurait le mérite de rendre les relations existantes plus fortes, plus claires et plus transparentes, dans une vision de long terme partagée. Aussi voulons-nous axer cette alliance sur la notion d'engagements réciproques. N'avons-nous pas su adopter un pacte automobile au moment des crises du secteur, comme en 2012 ? Nous devons pouvoir le faire aussi quand cela va mieux. Il ne s'agit certes pas de prôner le dirigisme d'un actionnaire unique qui serait l'État, mais plutôt de se proposer des objectifs partagés, pour favoriser les investissements en recherche et développement, en montrant quels sont les objectifs de la puissance publique.
J'ai reçu des réactions encourageantes du côté des pouvoirs publics. Mais l'industrie automobile doit dire aussi au Gouvernement qu'elle a besoin d'un cadre clair et d'une visibilité accrue si nous voulons une mobilisation nationale en faveur d'une industrie porteuse de progrès écologique.
S'agissant de la norme Euro 7, que nous proposons, vous savez que, à la norme Euro 6, ont succédé les normes Euro 6B, puis, bientôt, 6C, 6D, 6D-TEMP. S'y ajouteront deux autres niveaux de normes Euro 6, avec le facteur de conformité du nouveau protocole RDE. Jusqu'où irons-nous ? Nous devons discuter dès aujourd'hui d'un nouveau système, intégrant la directive sur le CO2 prévue pour 2020 ou 2021, pour anticiper la norme applicable dans cinq ans. Cette norme devra être la même pour le diesel et pour l'essence, intégrant les différents paramètres – non seulement le NOx, mais aussi le dioxyde d'azote (NO2) –, les particules fines et le CO2. Nous en finirons ainsi avec le système actuel, qui désavantage l'industrie française. Cela répondrait aussi au souci de lisibilité normative des entreprises toujours désireuses de passer à l'étape suivante. Sinon, ce sera comme pour les nouveaux protocoles d'émissions polluantes : discutés depuis 2007, ils n'entreront en vigueur qu'en 2017.
Enfin, s'agissant de la convergence fiscale du diesel et de l'essence, ma position a toujours été la même. Si je propose une baisse d'un centime d'euro sur l'essence, c'est pour que les Français sachent que nous poursuivons un objectif de qualité de l'air, non un objectif de rendement fiscal. Sinon, on nous accusera de matraquage fiscal, dont l'écologie ne serait que le prétexte. Telle est aussi la position des associations de consommateurs, notamment l'UFC-Que choisir, qui n'était même favorable qu'à la baisse sur l'essence, non à la hausse sur le diesel. Cela a déjà commencé depuis deux ans, dans deux lois de finances successives. Le rapport propose de poursuivre ce mouvement.