Intervention de Dov Zerah

Réunion du 30 janvier 2013 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Dov Zerah, directeur général de l'Agence française de développement :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de m'accueillir et de me donner l'occasion de parler de l'Agence française du développement, qui est un acteur important de notre aide publique au développement.

L'année 2012 marque une grande réussite pour l'Agence puisque nous avons parachevé notre dispositif stratégique avec l'adoption, au mois d'octobre, par notre conseil d'administration de notre plan d'orientations stratégiques pour 2012-2016, dit POS 3. Jusqu'à présent, nous fonctionnions avec deux documents stratégiques : le document cadre de coopération et de développement adopté en 2011 et le contrat d'objectifs et de moyens qui régit la relation entre l'État et l'Agence française du développement pour la période 2011-2013. Nous avions besoin d'une déclinaison spécifique à notre agence, et même si elle intervient onze mois plus tard, puisque le POS démarre en 2012, il était important que ce document soit validé par le nouveau Gouvernement.

L'un des principaux axes de notre travail, sur lequel je me permets d'appeler votre attention, s'appuie sur le concept fondamental de partenariats géographiques différenciés. Entre agence de développement ou banque d'influence, beaucoup disent ne pas comprendre la nature de l'Agence ni ce qu'elle fait dans les pays émergents, au détriment peut-être de ce qu'elle devrait faire dans les pays pauvres. L'Agence, c'est un peu tout cela. La réforme institutionnelle engagée en 1998, qui est maintenant pratiquement arrivée à son terme, a été très positive, même si quelques améliorations restent à apporter, comme certaines observations de la Cour des comptes ont pu le montrer. Cette réforme partait du constat que les administrations, confrontées aux restrictions budgétaires et d'effectifs, n'étaient plus en mesure de diriger directement le financement de projets, et qu'une agence le ferait tout aussi bien pour le compte de l'État.

À l'origine, nous intervenions en Afrique puis, progressivement, notre champ géographique s'est étendu au monde arabe, à l'Asie et à l'Amérique latine. Le concept de partenariat géographique différencié est essentiel : nous ne travaillons pas sur les mêmes secteurs ni de la même façon selon les trois priorités géographiques. La priorité des priorités, c'est l'Afrique subsaharienne, où nous travaillons sur le secteur agricole, les transports, la santé et l'éducation avec le maximum de bonifications et de subventions. Avec le monde arabo-musulman, nous travaillons principalement sur des problématiques d'employabilité, de formation professionnelle, de réduction des inégalités avec un minimum de coût pour l'État. Le troisième partenariat géographique avec l'Asie et l'Amérique latine ne coûte rien à l'État, à l'exception de quelques prêts bonifiés au Vietnam. En Chine, en Inde, au Brésil, en Colombie, nous fonctionnons avec des prêts au taux du marché et uniquement sur la problématique de la croissance verte et solidaire. Cela semble compliqué, mais notre dispositif est tout à fait adapté au volet aide au développement de notre politique étrangère avec des spécificités sectorielles et des outils spécifiques.

Conformément à notre plan d'orientations stratégiques, l'année 2012 a été consacrée au développement d'une exemplarité accrue. Cette exemplarité se déploie à la manière d'un triptyque. Tout d'abord, au mois de juin dernier, nous avons publié notre premier rapport sur la responsabilité sociale et environnementale, qui nous a valu une notation B + par le cabinet Vigeo. Nous sommes en train de finaliser une stratégie pluriannuelle sur ce sujet de la responsabilité sociale et environnementale, et nous essayons de la décliner avec tous nos collègues banques de développement, la KfW allemande, la JICA japonaise ou nos amis brésiliens. Deuxième élément du triptyque, nous avons élaboré une nouvelle charte d'éthique professionnelle qui a été signée par l'ensemble des responsables de l'Agence. Un bloc sur la sécurisation financière constitue le troisième volet du triptyque adopté par notre conseil d'administration cet automne ; il a permis de hisser l'Agence au niveau des standards les plus élevés en matière de lutte contre le blanchiment, la corruption, le financement du terrorisme, les personnalités politiquement exposées et les juridictions non coopératives. Aujourd'hui, nous sommes au top niveau des bailleurs bilatéraux. Les bailleurs multilatéraux, pour leur part, bénéficient de l'immunité diplomatique alors que nous relevons de la loi française, ce qui complique un peu notre tâche. Nous avons pris l'engagement de revenir chaque trimestre devant le conseil d'administration pour apporter les aménagements nécessaires en fonction des évolutions susceptibles d'intervenir.

Le troisième axe de notre action est l'inscription de l'Agence au coeur d'un partenariat. Dans notre monde globalisé, il est essentiel d'appartenir à des réseaux pour participer à des réunions, pour influencer. L'Agence est, certes, banque de développement, mais elle est aussi banque d'influence en même temps qu'une sorte de think tank. Nous consacrons 38 millions d'euros par an à une production intellectuelle qui nous permet de participer à de multiples débats, d'accompagner l'élaboration des positions par nos autorités de tutelle et d'être présents à Rio de Janeiro, à Doha ou à Durban. Ce réseau de partenariat est tout aussi important pour nos relations avec les ONG, dont nous sommes chargés de doubler les crédits comme s'y était engagé le Président de la République, ainsi qu'avec les collectivités locales. Nos relations et partenariats de plus en plus nombreux avec ces dernières nous ont conduits à nous organiser en conséquence : depuis trois mois, l'Agence abrite une structure qui leur est dédiée.

L'assistance technique est la quatrième orientation importante du POS3. Lors de ma première audition par votre commission, j'avais indiqué que les lacunes de notre dispositif d'aide au développement en la matière étaient, pour moi, une source de préoccupation. Au mois d'octobre dernier, le ministre de l'Economie et des Finances, Pierre Moscovici a annoncé que la mise en place d'un fonds d'expertise technique nous permettrait de retrouver une place dans le circuit. L'aide au développement, c'est certes pour partie des dons, des prêts et des financements, mais c'est plus encore de l'expertise, du savoir-faire, de la connaissance, du réseautage qui permet d'imprimer les problématiques de l'aide au développement au niveau international.

Dernière orientation, le POS 3 rappelle la nécessité de poursuivre la consolidation de l'Agence. Dans le cadre de l'évolution institutionnelle engagée en 1998, l'Agence a connu une explosion de son activité qui a doublé de 2005 à 2009. Il fallait donc consolider son modèle, qui est bon. La mission que l'Autorité de contrôle prudentiel a conduite l'an dernier a salué la consolidation entreprise, notamment la mise en place d'une véritable filière « risques » au niveau de l'Agence, avec une direction de contrôle des risques. Jusqu'à présent, en l'absence d'une telle direction, nous ne fonctionnions pas en conformité avec la réglementation bancaire. L'ACP avait également mis en évidence les faiblesses de notre système de délégation de signature, qui n'était pas fiable juridiquement. Nous lui en avons substitué un autre qui a été salué par cette même autorité.

Au total, notre activité, après avoir crû énormément entre 2005 et 2009, est en train de se stabiliser autour de 7,5 à 8 milliards. Dans ce montant, l'Afrique subsaharienne détient une part prioritaire. Je vous invite à distinguer les montants en valeur absolue et le coût pour l'État. En valeur absolue, sur les 7,3 milliards au titre de l'année 2012, 38 % vont à l'Afrique subsaharienne,mais les moyens publics consacrés en subventions ou en bonifications pour l'Afrique subsaharienne représentent 77 % des subventions et les deux tiers des bonifications d'intérêts. De ce fait, en Asie ou en Amérique latine, nous fonctionnons sans coût pour l'État.

Le ministre des affaires étrangères M. Laurent Fabius a demandé une nouvelle analyse sur notre présence dans les pays émergents. Nous avons lancé un nouveau travail sur la base de trois critères fixés par le ministre. Premièrement, ne pas entraîner de coûts pour l'État. C'est le cas. J'avais corrigé le tir dès octobre 2010, après avoir entendu certaines remarques. Ça n'a pas été facile, mais nous l'avons fait. Deuxièmement, cibler des thématiques environnementales. Dans ces pays, nous ne sommes que sur des problématiques de croissance verte et solidaire. Troisièmement, contribuer au développement d'un réel partenariat économique, participer à ce mouvement souhaité par le ministre de diplomatie économique et de capacité d'influence. En la matière, nous avons des progrès à faire, car l'Agence n'est pas une banque de financement du commerce extérieur. Ayant pour mission la solidarité internationale, son objet est de promouvoir et d'aider les entreprises locales, pas d'accompagner des projets d'entreprises françaises. Néanmoins, nous sommes en train de nous mettre en ordre de marche pour essayer de répondre positivement à nos autorités de tutelle sur cette problématique de la capacité d'influence.

Nous devons rester en Chine, en Inde, au Brésil. Quand, juste avant les Jeux Olympiques, nous avons eu quelques difficultés avec la Chine et que nos relations étaient sérieusement rafraîchies, qui a permis de reprendre la coopération avec ce pays ? A l'occasion du terrible tremblement de terre dans le Sichuan, en prêtant à la Chine, qui a 3 000 milliards de dollars de réserve, 150 millions d'euros. Grâce à ces 150 millions d'euros et à des opérations exceptionnelles sur le terrain, notamment le financement de 140 000 biodigesteurs, nous avons renoué les relations entre nos deux pays. Devons-nous nous retirer parce qu'il est difficile d'expliquer pourquoi nous finançons un pays qui ne semble pas avoir besoin de financement ? Ce pays a besoin non seulement de financement mais, plus encore de notre expertise et de notre savoir-faire, en particulier en matière d'économie verte. De notre côté, en participant à certains de leurs projets, nous apprenons. Comme à Rio ou à Doha, pour faire émerger un consensus, en 2015, quand le Président de la République accueillera la conférence mondiale sur le changement climatique, il faudra parler aux Chinois. Nous, nous savons le faire ! Nous sommes en contact permanent avec des interlocuteurs chinois. Nous finissons par les connaître, nous établissons une connivence avec eux. Pour 150 ou 200 millions d'euros de prêts par an, on voudrait se priver d'un outil de proximité qui nous permet, dans de nombreux sommets, de parler ?

Dans la perspective de notre futur contrat d'objectifs et de moyens 2014-2016 avec l'État seront soulevés des problèmes d'effectifs et de fonds propres. J'y reviendrai si vous le souhaitez.

Malgré de très fortes évolutions, l'AFD reste fidèle à sa vocation et à ses missions originelles. Les personnels de l'Agence sont arc-boutés sur la mission de solidarité internationale, de lutte contre la pauvreté et sur notre tropisme africain, que l'extension de notre mandat et l'augmentation de notre activité n'ont pas contribué à remettre en question.

Notre modèle est bon, même s'il prête toujours à débat entre prêts et dons. Ce débat nous dépasse tous, et il me semble que seule la situation budgétaire peut le trancher. Au-delà, que coûtons-nous à l'État ? Depuis sept ans, nous avons versé 1,2 milliard de dividendes. Cette année encore, nous verserons environ 60 millions d'euros. Nous n'avons pas de subvention de fonctionnement, mais nous recevons 600 millions de crédits d'intervention, grosso modo 300 millions de subventions et 300 millions de bonifications, de la part du quai d'Orsay ou du Trésor. Avec 600 millions, nous faisons 7 à 7,5 milliards de prêts parce que nous empruntons sans garantie de l'État. Notre dette n'est pas incluse dans la dette maastrichtienne. Avec cela, nous arrivons à faire un tiers de notre aide publique au développement. Ce modèle est bon, il faut le consolider, il faut le préserver.

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