Oui, c'est vrai, le commerce extérieur de l'Europe est équilibré : d'une part, l'Allemagne exporte beaucoup en dehors de l'Europe, et d'autre part, l'Europe est en récession, et importe donc peu.
En fait, la Chine est le seul pays avec lequel notre commerce extérieur est extrêmement déséquilibré. Nous sommes en excédent vis-à-vis de nombreux pays du Sud, mais en déficit très fort vis-à-vis de la Chine. Et nous avons un vrai problème d'action collective face à ce pays : chaque dirigeant européen va faire sa cour à Pékin, qui pour vendre des centrales nucléaires, qui pour vendre d'autres produits industriels, et personne ne hausse le ton – à l'inverse de ce que font les États-Unis.
On peut bien sûr sortir avec profit du face-à-face avec l'Allemagne, mais, monsieur le président, les pays que vous avez cités ne sont pas les bons ! Les Pays-Bas vont très mal, économiquement et politiquement – eux non plus n'atteindront d'ailleurs pas les 3 %. L'extrême-droite y est aux portes du pouvoir, et l'ambiance y paraît parfois proche de la guerre civile. Croire que les politiques de rigueur excessives ne touchent que les pays du Sud pour épargner les pays riches qui semblent être le coeur stable de l'Europe serait une lourde erreur !
Quant au Danemark, c'est un des pays qui a le plus souffert de la crise ; la flexisécurité ne l'a absolument pas protégé et il a connu aussi une bulle immobilière très importante.
Je suis, par principe, très méfiant vis-à-vis des politiques par filières. Les facteurs qui concourent au succès du secteur industriel sont extrêmement divers ! En Allemagne, les filières s'organisent d'ailleurs elles-mêmes, sur le plan social en particulier, mais plus généralement aussi, et c'est sans doute une des choses que ce pays fait bien. Je ne suis pas sûr qu'un nouveau Plan calcul soit la solution miracle pour redresser notre industrie. Il vaudrait mieux que l'État s'occupe plus efficacement d'éducation, de cadre général.
La question des cibles géographiques est évidemment très intéressante. Le Gouvernement parle maintenant de « colocalisation » : nous pouvons agir avec le Maghreb pour essayer de bénéficier du même type d'avantages que ceux de l'Allemagne avec les PECO, même si cela se révélera sans doute plus difficile. À moyen terme, cela peut certainement constituer une bonne stratégie non seulement économique, mais aussi politique et sociale dans la mesure où cela aidera ces pays à se stabiliser. En ce sens, la relocalisation des centres d'appel ne paraît pas forcément une idée très pertinente, même si je peux comprendre les motivations des hommes politiques qui la proposent.
Faut-il exploiter le gaz de schiste ? Nous n'avons ni gaz ni pétrole, et c'est bien sûr une faiblesse ; mais c'est aussi une chance. La Corée ou le Japon ne disposent d'aucune ressource énergétique, et ce sont les pays qui se sont le plus développés ces dernières décennies. Disposer de ressources énergétiques, c'est souvent aller vers une économie de la rente, c'est souvent souffrir de problèmes de corruption – même les États-Unis n'y échappent pas. Couvrir la région parisienne de derricks ne résoudrait probablement pas nos problèmes économiques : il vaut sans doute mille fois mieux accélérer la transition énergétique, et dépenser moins d'énergie.
Quant au paritarisme, je ne crois pas qu'il soit à bout de souffle. Depuis la loi Larcher, les tentatives pour faire naître de nouvelles relations entre les partenaires sociaux ont été nombreuses ; l'accord du 11 janvier est en lui-même très important. Je ne partage d'ailleurs pas le pessimisme de Dominique Seux à son sujet : si la négociation avait eu lieu l'an prochain, un accord serait intervenu aussi, quoique différemment. Il est difficile, aujourd'hui, d'apprécier quelle sera concrètement la portée de cet accord, même si l'on peut sourire à l'idée que les partenaires sociaux se sont entendus pour rétablir l'autorisation administrative de licenciement.
Toutefois, il faut souligner que l'accord ne contribuera en rien à inverser la courbe du chômage cette année – malgré d'infinies discussions entre spécialistes, on peut d'ailleurs considérer que la flexibilité ne permet guère de faire diminuer le chômage. Pour faire reculer celui-ci, il faudrait réussir à négocier pour de bon une relance économique en Europe. Nous en avons les moyens : nos comptes sont équilibrés, et nos dettes bien moins importantes que celle des États-Unis. L'Allemagne connaît actuellement, elle aussi, un fort ralentissement économique, mais on ignore quelle sera sa réaction : au lieu d'accepter une relance, elle risque de se crisper encore davantage.
Cette bataille pour la relance est un enjeu central, et je suis déçu que le Gouvernement ne la mène pas avec plus de vigueur. Toutefois, je ne suis pas d'accord avec Dominique Seux s'agissant du traité et de sa ratification.
L'une des questions essentielles pour l'Europe d'aujourd'hui, c'est celle de l'évasion fiscale des entreprises : même s'il est difficile d'en évaluer le montant exact, elle contribue sans doute fortement à déséquilibrer les finances publiques de notre pays. Or rien, absolument rien, n'a été fait pour lutter contre le dumping fiscal depuis 2008. Le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) – auquel ne participent pourtant pas les Anglais – ne comporte aucune avancée en matière d'harmonisation fiscale ! Pourtant, les entreprises utilisent énormément divers mécanismes pour déplacer leurs profits vers les juridictions qui ne les taxent que faiblement voire pas du tout – notamment l'Irlande. Cela fait mécaniquement baisser les marges des entreprises en France.
Ainsi, si l'on regarde les statistiques, un Français produirait annuellement 75 000 euros de richesses en moyenne, contre 63 000 euros pour un Allemand et 89 000 euros pour un Irlandais – soit 17 % de plus qu'un Français ! Mais cela n'a aucune réalité ! Cette statistique ne reflète que le dumping fiscal auquel ont notamment recours des entreprises américaines installées en Irlande. Je suis toujours très surpris de la faiblesse de l'intervention des pouvoirs publics français sur cette question.
Quant aux politiques de l'offre ou de la demande, il faut évidemment allier les deux. La bonne politique, c'est à mes yeux celle qui a été menée entre 1997 et 2001 : non seulement un fort soutien à la demande, grâce aux 35 heures, mais aussi un soutien intelligent à l'offre.
S'agissant de la formation professionnelle, l'apprentissage à l'allemande ne fonctionne que parce qu'il n'est pas une impasse – il faut en être conscient ! – : on peut être apprenti et devenir par la suite avocat ou PDG de son entreprise – l'ancien patron de Daimler, Jürgen Schrempp, a débuté comme apprenti-mécanicien dans l'entreprise. Si, en France, l'apprentissage demeure une voie de garage, il continuera à ne pas fonctionner.
L'accord du 11 janvier aborde la question de la formation, mais le niveau horaire du compte de formation y demeure très insuffisant. La question, c'est en effet celle de la possibilité pour les salariés de se former véritablement, d'acquérir de nouvelles qualifications, tout au long de leur vie. Nous restons pour notre part partisans de la réduction de la durée du travail – ce sera la seule façon de s'attaquer vraiment au chômage de masse –, mais sous une forme nouvelle : on pourrait imaginer qu'un salarié ait droit à un congé sabbatique payé de six mois tous les cinq ans, ou d'un an tous les dix ans, qui lui servirait à se former.
Je veux enfin souligner que les privatisations ont joué elles aussi un rôle négatif pour l'industrie en orientant le capital privé vers des activités rentières – on « plume » facilement l'usager de l'autoroute et du téléphone – alors qu'il faudrait plutôt le diriger vers la production et l'innovation.