J'aborde toujours ces questions budgétaires avec beaucoup de précautions car je ne suis pas un expert. La lecture du PLF me laisse toujours assez perplexe : je suis frappé par le manque de clarté de nombre de ces documents, par l'abondance de détails donnés sur des points qui me semblent secondaires et le manque de précisions sur d'autres qui me paraissent beaucoup plus importants.
Dans ce document, je ne trouve pas de réponses aux questions que je me pose en tant que citoyen. Nous avons tous les ans de grandes déclarations publiques sur le fait que la France est le quatrième ou cinquième donateur mondial avec une APD de l'ordre de 10 milliards d'euros. Comment passe-t-on d'un effort budgétaire d'environ 2,6 milliards d'euros à une APD de 10 milliards d'euros ? J'en ai une petite idée : lorsque l'AFD reçoit un euro pour faire des prêts concessionnels, elle fabrique environ 12 euros d'APD, lit-on dans le document. On comprend la mécanique sans avoir de détails sur son fonctionnement. Lors de mes conférences, je suis régulièrement interrogé sur ces chiffres-là : les quelque 10 milliards d'euros de l'APD, les 8,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires de l'AFD et les 2,6 milliards d'euros de l'effort budgétaire français. Il est difficile de faire le lien entre ces données. Véritable machine à fabriquer de l'APD, l'AFD permet de gonfler les statistiques. C'est assez extraordinaire si tel est l'objectif.
Partons des 2,6 milliards de crédits de paiement. Si je ne me trompe pas, cette somme correspond à notre effort budgétaire pour 2017. Je vois qu'il y a 103 millions d'euros de remises de dettes à l'égard de pays qui ne sont pas nommés. Les frais administratifs de personnel s'élèvent à 184 millions d'euros pour le programme 209. Ceux du programme 110, qu'il faut aller chercher ailleurs, seraient de 7 millions d'euros. Je ne comprends pas très bien ce qui explique une telle différence. En termes d'APD, on devrait aussi comptabiliser le coût de scolarité des étudiants étrangers. Comme il n'en est pas question ici, ils doivent être comptabilisés dans une autre rubrique de la loi de finances. L'intégration du coût des étudiants étrangers permet à la Chine d'être l'un des grands pays bénéficiaires de notre APD.
Quoi qu'il en soit, on ne constate pas de rééquilibrage significatif entre l'aide multilatérale et l'aide bilatérale. C'est très embêtant. Une fois déduits les frais administratifs et les remises de dettes, l'effort budgétaire s'élève à 2,350 milliards. Ces ressources, qui permettent de financer des programmes et des projets, se décomposent de la manière suivante : 1,485 milliard d'euros finance des aides multilatérales et communautaires ; 866 millions d'euros financent des aides bilatérales, un chiffre habituellement gonflé par les frais administratifs et les remises de dettes pour environ 287 millions d'euros. Je n'y vois pas le rééquilibrage entre le bilatéral et le multilatéral préconisé par tous les rapports parlementaires depuis six ou sept ans.
Concentrons-nous sur l'aide bilatérale. Quels sont les dix principaux bénéficiaires de cette aide ? Quelle est la répartition de l'effort budgétaire entre ces différents pays ? Cette aide prend-elle essentiellement la forme de crédits concessionnels ou une autre forme ? Je n'ai pas de réponses à ces questions. Quelle est la part des 227 millions d'euros d'APD gérés par l'AFD qui va aux PMA et sous quelle forme ? Je ne sais pas non plus. Dans une autre rubrique, on découvre que l'objectif de l'AFD – qui me paraît assez logique – est d'affecter environ 67 % des dons aux PMA. Ces dons aux PMA représentent donc 152 millions, c'est-à-dire un peu moins de 6 % de notre effort budgétaire. Nous sommes toujours dans les mêmes eaux : les dons restent les parents plus que pauvres au point d'en devenir ridicules.
Quelle part de ces 152 millions d'euros de dons aux PMA l'Afrique reçoit-elle ? Je n'ai pas très bien compris. Si c'est la moitié, c'est 76 millions d'euros. Mais ce chiffre-là ne colle pas avec celui, très supérieur, qu'on obtient en additionnant les aides officielles aux pays du Sahel. Si ce montant est supérieur, c'est probablement parce qu'on additionne des choux, des carottes et des navets, c'est-à-dire de l'assistance technique, des frais administratifs, des prêts. Rappelons que nous faisons des prêts à des PMA, notamment au Sahel, en nous appuyant sur la doctrine Lagarde selon laquelle un tel financement est possible dans les pays bien gérés. Il me semble quand même totalement aberrant de prêter au Niger ou au Mali en ce moment.
Au milieu de tout cela, je vois que notre effort en faveur aux pays pauvres prioritaires reste très faible. L'effort en faveur des ONG – qui transite par l'AFD – s'élèverait à 77 millions d'euros, un montant en légère augmentation. Le FSP et la coopération décentralisée reçoivent respectivement 34 millions d'euros et 9 millions d'euros.
L'AFD a demandé une facilité pour la lutte contre la vulnérabilité et la réponse aux crises, ce qui correspond au fonds fiduciaire dont j'avais réclamé la création en 2013. À l'époque, j'avais demandé 200 millions d'euros, ce qui me paraissait un minimum pour répondre à la crise au Sahel. L'AFD, qui n'a pas osé demander plus de 100 millions d'euros, n'a pas encore obtenu de réponse. On ne sait pas si cette facilité, qui est absolument indispensable, va être accordée en 2017 ou, comme le veut la rumeur, sera reportée à 2018. Les engagements pris pour 2018 sont quand même un peu hasardeux. Le flou règne en la matière.
Rappelons aussi que tous ces concours aux PMA sont pratiquement affectés puisque chaque ambassadeur demande sa part : il a droit à 10 millions, 12 millions ou 15 millions d'euros. En définitive, il ne reste plus rien pour le Sahel. Avec les chiffres communiqués, je n'arrive pas à reconstituer les montants d'aide au pays de cette zone. Pourtant, leur stabilisation devient vraiment de plus en plus urgente et elle passe par le développement agricole et rural au sens large, y compris le développement municipal, par la gestion de la transition démographique, par la reconstruction des institutions, y compris les institutions régaliennes.
Notre politique consiste à transférer des ressources à la Banque mondiale et à l'Union européenne, en leur demandant de faire ce type d'interventions. Or ces institutions n'ont aucune expertise dans ce domaine. Prenons l'exemple de la Banque mondiale, qui vient de subir une réorganisation assez folle qui l'a paralysée pendant au moins six mois. Elle a constitué vingt-quatre grandes directions techniques, au sein de l'une desquelles le développement rural et le développement urbain sont désormais fusionnés. On imagine un peu comment ça fonctionne.
Revenons maintenant à l'engagement présidentiel concernant la hausse de 4 milliards d'euros des interventions de l'AFD, qui passeraient ainsi de 8 milliards à 12 milliards d'euros. En tant qu'ancien directeur des opérations de l'AFD, je me pose la question : est-ce raisonnable de lui demander cela ? Rémy Rioux, le directeur général de l'AFD, m'assassinerait s'il m'entendait, mais il faut quand même admettre que cette hausse des interventions réclame des efforts considérables d'instruction et de suivi des opérations, qui vont exiger un gonflement très significatif des effectifs. Certes, l'AFD recrute actuellement du personnel de qualité.
S'agissant des 370 millions d'euros supplémentaires de dons, je n'ai pas trouvé dans le document la part qui irait aux questions environnementales. Est-ce que ce serait la moitié comme dans le cas des prêts ? Je l'ignore. D'autre part, je n'ai pas trouvé de traces concrètes du début de l'amorçage de ces dons additionnels pour 2017. D'ailleurs, sont-ils bien additionnels ?
Le Sahel est en train de prendre feu. Je pourrais vous donner quelques détails : j'étais au Niger il y a peu de temps et j'y retourne dans quinze jours, et j'ai des informations assez complètes sur le Mali. Un incendie qui démarre gentiment peut être éteint à l'aide d'un tuyau d'arrosage. S'il se développe à grande échelle, vous pouvez appeler tous les pompiers de la région, l'incendie risque fort de tout consumer. C'est ce qui s'est passé en Afghanistan, pays auquel nous n'avons pratiquement pas donné d'aide jusqu'en 2007. Ensuite, nous en avons déversé de telles masses que l'aide est devenue plus pernicieuse qu'utile.
Je crains que la même situation ne se reproduise au Sahel. Je retrouve l'ambiance business as usual dans l'approche développée dans ce document par le Trésor et le ministère des affaires étrangères. C'est l'Union européenne qui a finalement constitué le fonds fiduciaire, me dit-on. Clarifions les choses. L'Union européenne a effectivement créé deux fonds fiduciaires : le Fonds Bêkou et un fonds d'intervention sur les questions de vulnérabilité en Afrique et en Méditerranée. Dans l'esprit de l'Union européenne, il ne s'agit que d'une astuce pour contourner ses règles administratives complètement folles : en créant un fonds fiduciaire, elle peut réagir plus rapidement. En revanche, ces structures ne lui permettront certainement pas de recevoir de l'argent supplémentaire et d'avoir une gestion cohérente de l'ensemble des ressources disponibles : personne ne va aller donner de l'argent à l'Union européenne dont on sait très bien qu'elle regorge de ressources dont elle ne sait que faire.
Si l'Union européenne a très bien fait de recourir à cette astuce, cela ne prévient pas la nécessité pour la France de constituer ladite facilité – je ne vois aucun inconvénient à utiliser cette terminologie qui a été choisie – sachant que d'autres pays se dotent de ce genre de structures pour développer des accords bilatéraux. L'Allemagne a ainsi confié à sa banque de développement publique, la KfW, la constitution d'un fonds fiduciaire pour la Syrie. La moindre des choses serait que la France constitue cette facilité et que celle-ci soit utilisée en priorité dans des opérations bilatérales que les spécialises des accords multilatéraux ne savent pas faire : celles concernant le développement rural, le développement municipal, le renforcement des institutions régaliennes. Il faut le faire le plus vite possible. Si l'on renvoie à 2018, la situation sera encore plus grave au Sahel ; si l'on renvoie à 2020, ce ne sera plus la peine de le faire.
Voilà les points sur lesquels je voulais insister. Je suis quand même très déçu par ce document. Son manque de clarté est agaçant dans la mesure où il a été élaboré par des gens extrêmement brillants. L'absence de volonté de faire de la pédagogie et de donner des explications claires est vraiment regrettable. Pour résumer, je ne vois pas trace d'un rééquilibrage entre les aides bilatérales et multilatérales, pas plus que d'un rééquilibrage entre les dons et les prêts, malgré les engagements pris par le Président de la République.