Nous ne méconnaissons pas les contraintes budgétaires actuelles, mais nous considérons que le budget de l'aide au développement, qui ne représente que 0,37 % du revenu national brut, doit être considéré comme un budget prioritaire, au même titre que le budget de la défense ou celui de l'éducation. Au cours des dernières années, la mission de l'aide au développement a été l'une des plus sacrifiées au sein du budget de la France, ce qui nous semble incompréhensible dans le contexte actuel. Investir dans la solidarité internationale, c'est investir dans la stabilité et cela coûte bien moins cher que de devoir intervenir a posteriori pour régler les crises et les conflits.
Nous sommes partisans de renforcer la transparence et la lisibilité du FSD, notamment en le publiant en marge du PLF, dans les bleus budgétaires, et en permettant au Parlement de le suivre et de le contrôler. Le fait de le maintenir en dehors du budget obéit à une autre exigence, consistant à préserver son caractère additionnel.
La somme de 15 milliards d'euros que j'ai évoquée correspond à celle dont aurait besoin l'ensemble des urgences humanitaires cumulées – le budget total ayant vocation à répondre notamment aux exigences de l'agenda du développement durable est, lui, bien plus élevé. De ce point de vue, l'APD n'est qu'un instrument parmi d'autres. La TTF constitue un financement complémentaire, et des mesures consistant à faire passer son taux à 0,5 %, comme les Britanniques l'ont fait, ou à élargir son assiette aux transactions intraday, sont de nature à procurer des montants de financement plus importants.
Cela dit, comme l'accord d'Addis-Abeba sur le financement du développement l'a montré, il ne faut pas oublier les ressources fiscales locales, c'est pourquoi nous sommes favorables au renforcement des gouvernances et des capacités des administrations des pays en développement. Aujourd'hui, les taux d'imposition constatés dans certains des pays les moins avancés sont extrêmement faibles : il existe donc des marges en la matière. Nous préconisons que l'argent public servant à l'aide publique au développement soit investi pour lever de l'argent public dans les pays partenaires. On parle souvent de l'effet levier public-privé, mais commençons déjà par maximiser l'effet levier public-public, afin de permettre aux administrations des pays partenaires de la France d'accroître leurs ressources nationales et locales – ce processus devant évidemment s'accompagner d'un plan de lutte contre les fuites fiscales et toutes formes d'évasion qui, selon la Commission européenne, représenteraient chaque année l'équivalent de l'APD mondiale pour le continent africain.
Pour ce qui est de la conditionnalité, je suis d'accord sur la nécessité de mettre davantage en cohérence l'ensemble des politiques publiques. De ce point de vue, ce que fait la France – ou l'Union européenne – dans le cadre de sa politique commerciale, notamment avec les pays d'Afrique, n'est pas toujours cohérent avec les enjeux du développement. De ce fait, on se retrouve souvent avec, d'un côté, une aide publique de bon niveau – l'Union européenne est la première en la matière – et, de l'autre, des traités commerciaux avec le continent américain qui peuvent avoir un impact extrêmement néfaste au développement. Ce que nous disons à ce sujet, c'est que l'aide publique doit être essentiellement consacrée au développement des pays partenaires et à la lutte contre la pauvreté, les inégalités et les fractures, à l'exclusion d'autres enjeux faisant l'objet d'autres politiques publiques.
Nous pensons que le secteur privé marchand aura vocation à jouer un rôle fondamental dans l'atteinte des objectifs de l'agenda du développement durable, et qu'il aura un impact déterminant dans les domaines social, environnemental et fiscal. Plutôt que de travailler sur une logique d'aide liée qui ne dit pas son nom – sous la forme de ce que l'on appelle la diplomatie économique, par exemple –, la France a intérêt à établir un partenariat fort avec le secteur privé, à condition que celui-ci s'engage dans de vraies logiques de responsabilité sociétale et fiscale des entreprises, afin de se trouver placée en tête de pont des enjeux du développement durable et d'être en mesure de proposer une offre alternative par rapport à d'autres acteurs. Certains acteurs du secteur privé sont prêts à s'engager sur cette voie, et nous pensons que la politique française doit renforcer cette tendance et tirer vers le haut l'ensemble du secteur afin de faire de celui-ci un secteur pleinement responsable et partenaire du développement durable.
La question de l'abondement de l'AFD a été évoquée. Nous estimons que celui-ci doit aller à la facilité crise et postcrise, aux pays les moins avancés et aux ONG. En ce qui concerne ces dernières, sans aller jusqu'à dire que leur fonctionnement est irréprochable, il faut reconnaître qu'elles constituent, au sein du champ de la coopération, l'un des secteurs les plus évalués et contrôlés – pas toujours à l'initiative des bailleurs finançant les ONG, mais aussi très souvent à l'initiative des ONG elles-mêmes, parfaitement conscientes de leurs responsabilités. Il y a plus de vingt ans, nous avons créé de notre propre initiative, en partenariat avec le ministère des affaires étrangères, un instrument d'évaluation de la qualité de notre action, qui constitue pour nous une préoccupation constante. En ce qui concerne la coopération et le partenariat avec les pouvoirs publics, nous regrettons que le champ du dialogue et du partenariat soit insuffisant, et estimons qu'il serait possible d'aller plus loin en matière d'articulation et de complémentarité avec l'action publique de la France dans le domaine de l'aide au développement.
Nous rappelons en permanence notre attachement aux droits. La loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale affirme à juste titre, en son article 1, que la politique de développement et de solidarité internationale « respecte et défend les libertés fondamentales », « contribue à promouvoir les valeurs de la démocratie et de l'État de droit, l'égalité entre les femmes et les hommes » et « contribue à lutter contre les discriminations », notamment en matière de d'égalité de genre. En la matière, nous proposons d'aller beaucoup plus loin que ce que fait actuellement l'AFD, qui regarde la question des droits sous l'angle de l'incidence des projets – en quoi tel ou tel projet sert ou dessert les questions de genre, par exemple –, alors que le sujet devrait être envisagé de façon systémique, et considéré comme un enjeu fondamental de la coopération.