Intervention de Guy-Michel Chauveau

Réunion du 19 octobre 2016 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuy-Michel Chauveau, rapporteur sur le prélèvement européen :

Madame la présidente, mes chers collègues, la négociation sur la proposition de budget de l'Union européenne pour 2017 est engagée. D'ores et déjà inscrite dans un cadre pluriannuel serré.

Confrontée à des défis sans précédents, l'Union européenne doit s'affirmer comme un espace de croissance, un lieu d'accueil et un continent sûr. Ce triptyque constitue les trois axes majeurs du projet de budget pour 2017.

Le projet de budget pour 2017 tel que proposé par la Commission et en prenant en compte les instruments spéciaux s'élève à 157,66 milliards d'euros en crédits d'engagement et à 134,89 milliards d'euros en crédits de paiement, soit une hausse de + 1,7 % en crédits d'engagement par rapport au budget 2016 voté et une baisse de - 6,2 % en crédits de paiement. Les crédits d'engagements hors instruments spéciaux, s'élèvent à 154,82 milliards, la marge sous plafond s'établit donc à 815 millions d'euros. La Commission propose de fixer les instruments spéciaux, y compris l'instrument de flexibilité, à hauteur de 1,6 milliards.

La proposition du Conseil est, comme d'habitude, en retrait par rapport à la Commission. Afin de faire face à des imprévus en gestion et pour garantir la soutenabilité du cadre financier pluriannue, le Conseil a décidé de réduire les montants proposés de - 1 280 millions d'euros pour les crédits d'engagement et de - 1 109 millions d'euros pour les crédits de paiement. Les instruments spéciaux sont abaissés par rapport au projet de budget de la Commission de - 513 millions d'euros en crédits d'engagement et de - 1 211 millions d'euros en crédits de paiement.

Le compromis final sera déterminé entre les deux branches de l'autorité budgétaire lors de la période de conciliation du 28 octobre au 17 novembre 2016.

Ce budget doit venir financer les trois priorités que l'Union européenne s'est donnée pour 2017: la compétitivité et la croissance, la sécurité et la crise migratoire.

Premièrement, l'investissement en faveur de la croissance. Dans le projet de budget pour 2017 présenté par la Commission européenne, les crédits d'engagement s'élèvent à 21,1 milliards d'euros, soit une hausse de +2,1 milliards d'euros par rapport à 2016. Certes, avec 11% de hausse, c'est le poste de dépense le plus dynamique. Mais en valeur absolue, ce n'est pas le premier. Par ailleurs, si dépenses du Fond européen pour les investissements stratégiques s'élèveront à 2,66 milliards d'euros, on peut s'interroger sur l'effet de levier attendu, près de 1 à 15, qui semble peu réaliste. Je regrette enfin vivement que les crédits pour l'Initiative pour l'emploi des jeunes stagnent en 2017.

Les autres priorités sont la crise migratoire et la sécurité. Dans un contexte durablement marqué par la crise migratoire, le projet de budget présenté par la Commission pour la rubrique « Sécurité et citoyenneté » est en hausse sensible par rapport à 2016 (+ 5,4 % en crédits d'engagement et + 25,1 % en crédits de paiement). Ces hausses doivent couvrir les décisions relatives à la gestion de la crise migratoire, ainsi que les mesures de sécurité intérieure liée à la lutte contre le terrorisme. On note ainsi une augmentation significative du Fonds de sécurité intérieure (+ 14 %). Mais si nous devons faire face à des dépenses imprévues, cela ne suffira pas. Le budget pour cette rubrique dépassait déjà largement la programmation financière en 2016. Il ne subsiste aucune marge au sein de cette rubrique et il sera nécessaire de mobiliser en 2017 à la fois l'instrument de flexibilité, à son maximum disponible, et la marge pour imprévus.

Autre point problématique, les crédits de la rubrique « Europe dans le monde » qui, avec 9,4 milliards d'euros en engagements, augmentent de seulement + 2,9 %. Or cette faible hausse doit permettre d'honorer les engagements pris à l'égard des pays voisins tels que la Turquie, la Jordanie et le Liban dans le cadre de la gestion de la crise migratoire. Elle doit aussi permettre la poursuite des opérations en cours, au Sahel, dans la corne de l'Afrique, en Libye, en République démocratique du Congo et en Ukraine. Le manque de mutualisation des dépenses de défense en Europe fait peser principalement sur la France le poids de la sécurité du continent et l'effort financier qui l'accompagne. C'est pourquoi il me semble que la question de la prise en charge par le budget européen des dépenses de défense semblant être bloqué, il faut sérieusement considérer (Monsieur le ministre) la proposition de création d'un Fond européen de défense commune.

Au delà des trois priorités fixées par le Conseil et la Commission, l'année 2017 sera une année décisive pour le budget de l'Union européenne, car c'est celle de la révision à mi-parcours du cadre pluriannuel.

La France doit y jouer un rôle de premier plan. D'abord parce que l'enjeu financier est énorme pour notre pays, grand bénéficiaire et parmi les premiers contributeurs du budget européen. La France participe toujours davantage à l'effort de solidarité européen, comme le montre la dégradation de son solde net qui approchait déjà les 8 milliards en 2015. Cette année cela se traduit par un impact budgétaire significatif pour la France, non moins de 19,08 milliards d'euros, soit plus de 6 % du total des dépenses de l'État hors charge de la dette et pensions.

Quelles sont les questions à poser à l'occasion de la révision du cadre pluriannuel ?

La première, les conséquences du Brexit, qui pourrait coûter cher et au Royaume-Uni et aux autres contributeurs nets comme l'Allemagne ou la France. De nombreux chiffres circulent sur le sujet : le Financial Times a évalué à 20 milliards d'euros le coût pour le Royaume-Uni. L'institut de recherche allemand IFO a calculé que l'Allemagne pourrait avoir à verser 2,5 milliards d'euros supplémentaires par an au budget européen. Il est difficile d'en évaluer les conséquences financières pour la France, car elles dépendront de multiples facteurs, tels que le montant de la participation britannique au paiement du reste à liquider et divers autres engagements. Il est évident que le facteur financier sera déterminant dans la négociation avec le Royaume-Uni. C'est pourquoi je souhaiterais que la représentation nationale soit pleinement informée sur cette question.

Il faut aussi réfléchir au rôle et aux priorités du budget européen. Si les États membres ont fait le choix de se soumettre à une discipline budgétaire rigoureuse, alors l'Union doit pouvoir financer des investissements nécessaires à l'amélioration de notre croissance potentielle, à la modernisation de nos infrastructures, à la formation des travailleurs. Nous devrions aussi avancer dans la mise en oeuvre d'un budget de la zone euro. S'il faut réduire la voilure du budget avec le Brexit quelles seront les dépenses sacrifiées ? La France ne renoncera pas aux crédits de la PAC, les nouveaux États ne renonceront pas aux dépenses de cohésion, il restera peu de marge de manoeuvre. Toutes ces questions ne seront pas tranchées tant que le mode de financement du budget européen restera inchangé.

J'en viens ainsi au dernier point qui est la réforme des ressources propres de l'Union européenne, réforme avortée en 2014, puisque la dernière décision adoptée par le Conseil n'a rien changé. Le budget européen ne peut pas continuer à être l'agrégation des contributions des différents États membres, car ressurgira chaque année le clivage entre les pays de la cohésion et les contributeurs nets expliquant qu'étant tenus par des contraintes budgétaires fortes ils souhaitent limiter leur contribution. Ainsi le budget de l'Union européenne est aujourd'hui un débat entre 28 experts comptables nationaux qui se disputent pour savoir qui paiera combien.

Dans le cadre des travaux sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020 un groupe à haut niveau a été constitué, le 25 février 2014, sous la présidence de Mario Monti. Il doit rendre ses conclusions en décembre prochain. Il faut que la France, avec l'Allemagne, autre grand contributeur net au budget de l'Union, soient force de proposition.

Il serait utile de passer en revue l'ensemble des dépenses, et déterminer lesquelles ont vocation à être mutualisées au niveau européen, en insistant sur la notion de « valeur ajoutée » du budget européen.

Pour les dépenses mutualisées, l'Union doit se doter de véritables ressources propres, ce qui n'est pas incompatible avec le respect de la souveraineté fiscale des États membres. Pourriez-vous nous dire, Monsieur le ministre, où en est la réflexion de la France sur ce point, notamment la création d'une taxe sur les transactions financières européenne ? Autre point dont il faudra discuter, l'utilisation des instruments de flexibilité pour faire face aux urgences et aux dépenses imprévues. L'expérience de la crise migratoire a montré que ces instruments devaient être utilisés à plein.

Enfin, je crois qu'il faut poser les questions institutionnelles : le Parlement européen ne joue qu'un rôle consultatif pour les recettes, et la règle de l'unanimité s'applique aux décisions relatives aux ressources propres, il est donc peu probable que l'on trouve une solution à 28. C'est peut-être à l'échelle de la zone euro, qui devrait être dotée d'un budget propre, qu'il faut agir.

Sous réserve de ces remarques, la commission des affaires étrangères a émis un avis favorable à l'adoption de l'article 27 du projet de loi de finances pour 2017. Je vous remercie.

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