Nous pourrions nous réjouir du projet de loi de finances 2017 pour le ministère de la Défense si nous ne connaissions pas les raisons pour lesquelles une telle inflexion a été décidée au plus haut sommet de l'État.
Même si nous avons dénoncé à maintes reprises les déflations d'effectifs drastiques qu'ont pu connaître notre ministère et les armées, nous sommes conscients que l'arrêt annoncé des déflations et la hausse du budget sont la résultante des attentats sauvages et meurtriers qui ont ensanglanté notre pays et de la lutte contre le terrorisme, qui nécessite que nous ne baissions pas la garde, bien au contraire.
Mais, à Force Ouvrière, nous entretenons notre mémoire, nous n'oublions pas ; et la prise de conscience d'aujourd'hui ne doit pas effacer les années de politiques qui ont entraîné la défense française dans une situation préoccupante. Même si certains ont opportunément la mémoire courte, nous n'oublions pas pour notre part la révision générale des politiques publiques (RGPP), avec son cortège de 54 000 suppressions de postes et la création des bases de défense dont les personnels, civils comme militaires, s'attachent péniblement à améliorer le fonctionnement. Nous n'oublions pas non plus les années pendant lesquelles, quelle que soit la couleur politique du gouvernement en place, l'externalisation était devenue la religion, la quintessence de ce qui se faisait de mieux en matière de bonne gestion des deniers publics, avec, là aussi, les conséquences que l'on connaît – je pense notamment à l'externalisation des véhicules de la gamme commerciale.
Comme il est commode aujourd'hui, a fortiori en période préélectorale, de « taper » sur les organisations syndicales, notamment celles qui, réforme après réforme, n'ont cessé d'alerter sur les risques que de telles politiques faisaient peser sur nos armées et sur leur capacité à assurer leurs missions au service de la République ! Il est en effet plus facile d'expliquer que les permanents syndicaux, dont ceux qui sont face de vous aujourd'hui, sont déconnectés de la réalité – coupés de leur base, plus attachés à défendre leur pré carré que l'avenir des établissements – que de reconnaître s'être lourdement trompé lorsqu'on était aux affaires, ou qu'on y est encore. Voilà pourquoi ce budget 2017 n'appelle de notre part aucun triomphalisme ni joie particulière. Il représente simplement le nécessaire pour que les armées et ceux qui les soutiennent puissent jouer leur rôle, répondre aux ordres que leur dicte la République, et assurer la sécurité et la protection de nos concitoyens.
Quand on dit que les réductions d'effectifs sont annulées d'ici à 2019, encore faut-il affiner la lecture d'une telle annonce et éviter qu'elle ne soit une annonce en « trompe-l'oeil ». L'arrêt des déflations est un solde entre créations et suppressions de postes. Et l'objectif, que nous pouvons comprendre, de procéder à une adaptation en renforçant le caractère opérationnel ne doit pas conduire à une désorganisation des services de soutien qui vont supporter la majorité des suppressions de postes. Comme les personnels civils se trouvent dans leur totalité, ce qui est normal, sur des fonctions de soutien, il n'y a qu'un pas à franchir pour en faire la variable d'ajustement de la loi de programmation militaire (LPM) actualisée, pas que certains franchiront allègrement. Bien évidemment, il faut renforcer l'opérationnel, notamment la cyberdéfense et le renseignement, mais nous considérons qu'une des méthodes pour y parvenir consiste à rééquilibrer les effectifs militaires-civils sur les fonctions de soutien. Transformer des postes pour les confier à des personnels civils afin de repositionner certains personnels militaires sur le coeur de leur mission est aussi, selon nous, un axe sur lequel il faut travailler.
Le ministre a eu le courage de commander au contrôle général des armées (CGA) un rapport qui précise – ce sont les chiffres du CGA, pas les nôtres – qu'environ 15 000 postes pourraient être transformés dans ce cadre. Même si je m'éloigne un peu de la problématique du budget 2017 dans la mesure où une telle politique de rééquilibrage se ferait à masse salariale constante, je me permets de préciser les propositions de Force Ouvrière en la matière : 15 000 postes sur dix ans, soit 1 500 par an, sur trois axes : reconversion des militaires selon la procédure de l'article L. 4139-2, concours internes et externes, et plans de requalification pour rajeunir la pyramide des âges et maintenir les compétences.
Pour revenir plus précisément au PLF 2017, nous soulignons avec satisfaction l'augmentation des crédits alloués à la condition des personnels civils, qui passent de 1,6 million d'euros en 2016 à 18 millions d'euros en 2017, consacrés à hauteur de 11 millions dans le cadre du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR), le reste étant réparti entre le régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP) et une mesure salariale pour les ingénieurs cadres technico-commerciaux (ICT). Encore une fois, nous nous en félicitons, bien que nous n'ayons signé ni l'accord PPCR, ni les accords Jacob dont découle le RIFSEEP – non que nous ne voulions pas de ces 18 millions d'euros, qui permettront d'améliorer par exemple le régime indemnitaire des agents sans passer par des usines à gaz inventées par la haute administration de la fonction publique et qui au bout du compte mécontentent tout le monde. Et enfin, même si nous passons de 1,6 million à 18 millions, il manque encore six millions d'euros pour revenir au niveau des crédits de 2012...
Puisque j'évoque ici la haute administration, notamment celle du ministère de la Fonction publique, je ne peux pas ne pas aborder le sujet particulier des ouvriers de l'État. Nous reconnaissons à ce ministre l'opiniâtreté et la constance avec lesquelles il s'est battu et se bat encore sur le sujet du recrutement des ouvriers de l'État – 418 recrutements sont inscrits au budget 2017. Et, alors qu'on reproche souvent aux organisations syndicales de ne pas vouloir négocier, de tout rejeter en bloc, voilà que le cabinet de la ministre de la Fonction publique fait du blocage idéologique, obnubilé qu'il est par son objectif de destruction du statut des ouvriers de l'État. Comment accepter que ce cabinet, par son mutisme, son refus de laisser le ministère de la Défense engager des négociations avec les organisations syndicales sur le sujet, aille jusqu'à nier aux ouvriers de l'État l'application des 0,6 % d'augmentation accordés aux personnels fonctionnaires ? Cet aveuglement est incompréhensible, sauf à considérer qu'il joue la montre, persuadé que le temps joue contre les ouvriers de l'État et qu'à la suite des élections de 2017 il pourra tout à loisir détruire un statut pour lequel il n'a que haine et mépris, face à des agents qui démontrent tous les jours leurs compétences et leur savoir-faire au service des armées.
N'étant pas, en tant que responsable syndical, en charge de la politique de défense de la France et considérant qu'elle relève de la responsabilité du chef de l'État et de la représentation nationale, je ne m'exprimerai sur le volet des équipements que pour évoquer l'importance que Force Ouvrière attache au maintien en condition opérationnelle (MCO) et à sa réalisation par des personnels du ministère de la Défense en général, et par des personnels civils en particulier. La défense de la catégorie des ouvriers de l'État prend ici tout son sens.
Enfin, j'aborderai rapidement la réserve opérationnelle, pour préciser que si son renforcement et l'augmentation des crédits qui y sont dédiés sont compréhensibles, il est nécessaire que son utilisation soit plus exemplaire que jamais. À ce titre, nous insistons sur le fait que l'emploi d'un réserviste opérationnel doit exclusivement être réservé à des tâches opérationnelles, et non, comme nous le constatons encore trop souvent, pour pallier un manque d'effectifs sur des fonctions administratives.