Ce projet de budget nous paraît rassurant. Pour une fois, il y a un peu de continuité et d'équilibre dans des domaines qui le requièrent, notamment le ferroviaire. Les crédits de l'AFITF augmentent même de façon non négligeable. Vous avez été très honnête, monsieur le secrétaire d'État, en indiquant que cela nous permettrait de passer cette année avec des ambitions supplémentaires, notamment en matière de régénération, qui est un chantier considérable.
Vous avez fait prendre un virage à la politique ferroviaire de ce pays, en pointant les très graves carences qui existaient sur le réseau classique, après les accidents de Brétigny et de Denguin. Ce virage est extrêmement coûteux, et il monte en puissance. Ces efforts devront se poursuivre pour une durée beaucoup plus longue, hélas ! Que celle que nous présumions. Nous avons encore dû ralentir près de 400 kilomètres de réseau ferroviaire structurant l'année dernière, ce qui signifie qu'en dépit de la hausse des crédits à la régénération et à l'entretien, le réseau classique continue de vieillir.
Si le diagnostic que nous avons fait est nuancé, il ne porte pas sur la loi ferroviaire – elle n'est mise en oeuvre que depuis un an et demi, et l'ensemble des productions réglementaires est en cours –, mais sur l'état du système ferroviaire dans ce pays. Nous avons très clairement pointé du doigt le jeu de massacre auquel le tout-TGV a donné lieu ces dernières années. Il en découle 10 milliards de dettes requalifiées non-maastrichtiennes, qui devraient donc être reprises par l'État, 12 milliards de dépréciations d'actifs, en d'autres termes de perte de valeur pour la SNCF, et un effondrement considérable du réseau ferroviaire. On ne peut pas se satisfaire de ce bilan.
Certains, tentés par l'amalgame, attribuent ce bilan au gouvernement actuel plutôt qu'au précédent. Reste que c'est là l'état des lieux sur lequel nous devons travailler, et qui est pour nous source de soucis et de préoccupations pour l'avenir.
Nous pensons qu'il faut stabiliser les investissements, donner de la visibilité à la SNCF, avoir des choix clairs et continus. Il ne faut pas replonger dans les errements qui conduisaient à distribuer des TGV à qui en voulait. Il faut une politique inscrite dans la durée, telle que la mènent les Allemands et les Suisses, appuyée sur des master plans et une programmation suffisamment claire et durable, avec les recettes et les financements nécessaires. C'est la raison pour laquelle nous sommes attachés à la règle d'or. Nous ne sommes pas des obsédés anti-TGV ni des opposants aux nouveaux développements. Nous considérons simplement qu'aujourd'hui les financements doivent aller aux investissements utiles au plus grand nombre. C'est pourquoi nous attendons avec beaucoup d'impatience le contrat d'objectif de SNCF Réseau : il ne s'agira pas de lui assigner des objectifs d'investissement qui déréguleraient complètement ses finances tout en mettant en place des indicateurs complètement découplés des investissements.
Nous attendons également la règle d'or, avec d'autant plus d'exigence – et pour autant sans nous faire d'illusions – que nous nous souvenons du sort qu'a connu la précédente, attachée au décret de création de Réseau ferré de France : elle a été pulvérisée par le projet de ligne Tours-Bordeaux, qui n'était pas financé, avec pour résultat 700 millions de dette supplémentaire pour RFF et un risque de déficit pour la SNCF. Nous attendons donc une rationalisation de la politique d'investissement, ce qui est l'affaire de l'État. De son côté, la SNCF doit se préoccuper de l'augmentation de la productivité interne.
C'est donc un virage extrêmement important qui a été négocié en matière de politique ferroviaire, et je forme le voeu que les actes réglementaires qui s'y rattachent soient pris dans les mois qui viennent. J'espère aussi qu'une éventuelle alternance ne donnera pas lieu à une nouvelle rupture. J'ai entendu dire, lors du débat entre les candidats aux primaires de la droite, qu'il faudrait casser ce qui a été fait : le ferroviaire n'en peut plus, il a besoin de continuité.
Ma deuxième question concerne Air France. Tout comme mes collègues, je m'inquiète que l'on fasse financer le Charles-de-Gaulle Express par une taxe sur les usagers d'Air France. On commence par une petite taxe, mais on finit par une variable d'ajustement si les choses se passent mal. On connaît l'imprévision qui caractérise nos grands investissements – tout commence toujours très bien, mais finit beaucoup moins bien, comme l'illustre encore le projet Perpignan-Figueras. On connaît l'état de fragilité du groupe Air France, qui demande lui-même à être allégé d'un certain nombre de taxes, notamment des taxes d'aéroport. On connaît aussi l'opulence d'Aéroports de Paris, qui se traduit pour l'essentiel par une valorisation boursière, certes très honorable, et des investissements dans des aéroports étrangers. Quand la compagnie nationale est en crise, il faut être capable d'équilibrer les choses. Nous pensons qu'aujourd'hui, Air France ne peut pas payer plus de taxes, mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'efforts de productivité à faire.
Enfin, concernant Alstom, le groupe a profité de vingt ans d'un âge d'or formidable : équipement en tramways et en métro de toutes nos villes de province, tout-TGV, marché des TER bloqué à dix ans. Jamais Alstom ne retrouvera ce plan de charge. L'entreprise doit définir une autre politique industrielle et ne plus prendre régulièrement en otage la classe politique pour obtenir des commandes très coûteuses par rapport aux besoins et qui plombent la SNCF.