Intervention de Patrick Hetzel

Réunion du 27 octobre 2016 à 9h30
Commission élargie : finances - lois constitutionnelles

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Hetzel, rapporteur spécial de la commission des finances :

Nous entamons l'examen des crédits de la mission « Justice » de ce qui sera le dernier budget de la législature. De mon point de vue, ce travail ne saurait se limiter au suivi de la courbe des crédits et des plafonds d'emplois : il s'agit d'établir des bilans et, si possible, de prendre des mesures utiles pour un service public si essentiel pour notre contrat social.

Dans cette optique, que penser de la programmation que le Gouvernement nous propose pour 2017 ? À tous égards, il s'agit indéniablement, je le souligne, d'un acte de volontarisme budgétaire. D'abord en raison du contexte : alors que les déséquilibres accumulés par nos finances publiques rendent plus que jamais nécessaire une stricte maîtrise des dépenses de l'État, le PLF pour 2017 affiche une progression assez remarquable des crédits affectés à la mission « Justice ». Par rapport à l'exercice 2016, les autorisations d'engagements demandées connaissent en effet une croissance de 26,64 %, et les crédits de paiement une augmentation de 4,77 %.

Au-delà des chiffres, le caractère remarquable de l'effort proposé tient à son ampleur, mais surtout aux priorités retenues. De fait, l'ensemble des programmes bénéficient d'une augmentation souvent soutenue de leurs moyens. Je pense au programme « Accès au droit et à la justice », mais ce constat vaut également pour le programme « Justice judiciaire » ou encore, à un degré moindre, pour les programmes « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Protection judiciaire de la jeunesse ».

S'agissant des priorités, je pense que chacun d'entre nous peut se réjouir que le PLF pour 2017 comporte déjà un certain montant des crédits nécessaires à la réalisation du nouveau programme immobilier pénitentiaire annoncé par le garde des sceaux. Même si l'on peut regretter qu'il s'agisse là d'une conversion tardive du Gouvernement, on ne peut que saluer cet effort. Je rappelle que ce plan de relance vise, après des opérations manifestement insuffisantes pour remédier à la surpopulation carcérale sous la présente législature, à augmenter la capacité du parc pénitentiaire afin d'atteindre l'objectif de 80 % de personnes détenues bénéficiant de l'encellulement individuel. Ces crédits doivent permettre la réalisation de deux types d'opérations : d'une part, la construction de quartiers de préparation à la sortie et, d'autre part, le lancement d'une première phase de construction de maisons d'arrêts.

En dehors de ce renforcement des moyens de l'administration pénitentiaire, il convient évidemment de souligner l'utilité des ressources dégagées en faveur de la justice judiciaire – sujet sur lequel je me suis plus particulièrement penché dans mon avis –, notamment de la création de 666 équivalents temps plein (ETP). Si cette mesure comporte des obligations nouvelles en termes de dépenses de personnel ou d'offre de formations par l'École nationale de la magistrature (ENM), elle n'en paraît pas moins utile pour apporter des premières réponses à des besoins aujourd'hui identifiés, à deux titres : la défense de la sécurité de nos compatriotes ; le bon fonctionnement du service public de la justice. Dans la lutte contre le terrorisme qui nous menace depuis bientôt deux ans, chacun comprend évidemment l'importance de déployer les moyens nécessaires aux juridictions, notamment aux parquets. Et nous ne pouvons que nous féliciter que cette programmation des crédits ait pour objectifs d'assurer la création d'emplois de greffiers et de renforcer les moyens des juridictions pour le traitement des affaires pénales, ou qu'elle mette l'accent sur la prévention de la récidive et l'individualisation des peines.

Pour autant, suffit-il d'accroître les moyens de la justice pour en assurer l'efficacité ? De fait, le PLF pour 2017 s'inscrit dans le mouvement de hausse quasi continue des ressources votées en faveur de la justice, à l'oeuvre tout au long de la présente législature. À certains égards, il en accentue même le caractère inflationniste. Or l'expérience montre également que, année après année, un écart chronique persiste entre les prévisions de la loi de finances initiale (LFI) et les résultats de son exécution. Pourquoi ? Parce que la justice souffre depuis des décennies de problèmes quasi structurels qui, aujourd'hui, ne peuvent qu'inciter à relativiser l'effort – encore une fois, sans doute remarquable – que nous propose le garde des sceaux, qui a insisté, dès sa prise de fonctions, sur la situation catastrophique des administrations judiciaire et pénitentiaire. En fait, ce service public subit les contraintes inhérentes à une ressource en réalité restreinte, et dont la gestion apparaît perfectible.

Dans la version du PLF déposée en vue de la première lecture à l'Assemblée nationale, le Gouvernement propose de consacrer à la mission « Justice » 3,4 % des autorisations d'engagement et 2,7 % des crédits de paiement demandés pour le budget général de l'État en 2017. Il s'agit d'une évolution intéressante par rapport aux années précédentes. Toutefois, lorsque l'on fait des comparaisons avec d'autres pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), notamment lorsque l'on se penche sur les études réalisées par la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ), on s'aperçoit que la France continue à occuper un rang assez médiocre en termes d'investissements effectués dans le système judiciaire. Le sous-financement de la justice française revêt aujourd'hui un caractère d'autant plus aigu que le budget demeure exposé aux aléas de la régulation budgétaire.

J'insiste sur le fait que beaucoup de progrès restent à accomplir afin de rationaliser l'emploi des ressources consacrées au service public de la justice. En outre, l'exécution du présent PLF me paraît pour le moins grevée par un certain nombre d'hypothèques, en raison des écarts que nous avons régulièrement constatés entre le budget initial et son exécution. C'est pourquoi, face à cette incertitude sur leur portée exacte et sur la base de l'avis réservé que j'ai établi, je vous propose, mes chers collègues, de nous abstenir sur ces crédits.

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