Intervention de Huguette Bello

Réunion du 25 octobre 2016 à 21:
Commission élargie : finances - affaires économiques - lois constitutionnelles

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHuguette Bello, rapporteure pour avis de la commission des lois pour les départements d'outre-mer :

Madame la ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur la présentation détaillée du budget qui vient d'être faite. Je m'interrogerai sur trois points.

L'examen de ce budget arrive quelques semaines après l'adoption par l'Assemblée nationale du projet de loi sur l'égalité réelle. Nous avons donc, à cette occasion, un peu anticipé la discussion d'aujourd'hui sur les crédits de la mission « Outre-mer ». Comme le projet de loi comprend de multiples mesures d'ordre budgétaire, la question se pose de savoir comment ce texte s'articulera avec le projet de loi de finances pour 2017. Elle se pose d'autant plus que l'alignement du FIP (Fonds d'investissement de proximité) DOM sur celui de la Corse a déjà été supprimé par la rapporteure générale du budget, et que la commission des finances, comme nous venons de l'entendre, semble circonspecte devant le volet fiscal et financier du projet de loi relatif à l'égalité réelle. Madame la ministre, nous attendons des garanties sur ce point.

Ma deuxième série d'interrogations est liée à l'Union européenne. Nous notons avec satisfaction que le PLF 2017 comporte une enveloppe de 28 millions d'euros pour compenser la fin des quotas sucriers. Les négociations avec l'Europe avancent-elles à présent à un rythme plus soutenu ? Par ailleurs, la révision du Règlement général d'exemption par catégorie (RGEC) nous concerne au plus haut point. La proposition de la Commission européenne consistant à adosser le calcul des aides à des critères intrinsèques aux entreprises, et non plus aux handicaps structurels et donc aux surcoûts qu'ils entraînent, serait la marque d'un grand recul. Quelle est la stratégie du Gouvernement pour faire entendre la voix des régions ultrapériphériques françaises ?

En liaison avec ces deux questions, mais avec une portée plus générale, je souhaite revenir sur l'arrêt de la grande chambre de la Cour de Justice de l'Union européenne du 15 décembre 2015. Cet arrêt reconnaît que l'article 349 du TFUE (traité sur le fonctionnement de l'Union européenne) peut constituer une base juridique autonome pour adapter le droit de l'Union européenne à la situation particulière des RUP (régions ultrapériphériques). Quelle initiative le Gouvernement entend-il prendre pour donner toute son ampleur à cette avancée majeure ? Une procédure particulière est-elle en cours d'élaboration, notamment pour que les lois et les ordonnances de transposition ne se limitent plus à une application brute et brutale des prescriptions européennes ?

Ma troisième interrogation porte sur le logement. Je souhaite essentiellement revenir sur l'article que l'Assemblée a de nouveau introduit dans le projet de loi Sapin 2, et qui prévoit de vendre les parts que l'Etat détient dans les SIDOM (sociétés immobilières d'outre-mer) à une filiale privée de la Caisse des dépôts. J'attire à nouveau votre attention aujourd'hui pour signaler que, s'il est maintenu, cet article ouvre la porte à une transaction de plusieurs milliards d'euros, et donc à une recette budgétaire bien supérieure au montant du budget que nous sommes en train d'examiner.

Selon une tradition désormais bien établie, l'avis élaboré dans le cadre de la commission des lois porte chaque année sur une thématique particulière. Cette année, nous avons voulu consacrer cette partie aux soixante-dix ans de l'article 73 de la Constitution qui, comme vous le savez, a connu des évolutions très importantes, surtout depuis 2003. Nous sommes en effet passés du principe d'identité législative à celui de spécialité.

La révision constitutionnelle de 2003 a ouvert aux collectivités d'outre-mer deux grandes perspectives qui sont non seulement importantes, mais aussi très audacieuses.

La première permet à toutes les collectivités d'outre-mer, qu'elles soient régies par l'article 73 ou 74, d'envisager une évolution institutionnelle, laquelle – il est important de le noter – est toujours subordonnée au consentement des citoyens concernés. Il est notable qu'à l'issue des évolutions opérées depuis 2003, trois des cinq collectivités concernées de l'article 73, ne sont plus des départements à proprement parler : la Martinique, la Guyane et Mayotte sont, en effet, des collectivités uniques sui generis.

Le deuxième grand changement se trouve dans les possibilités que la Constitution offre désormais aux collectivités de l'article 73 de participer, de manière plus ou moins directe, à l'édiction des normes applicables sur leur territoire.

Comme vous le savez, trois leviers peuvent être empruntés : l'expérimentation de droit commun prévue par l'alinéa 4 de l'article 72, la traditionnelle adaptation, et de manière plus novatrice, l'habilitation. Il s'agit là d'un véritable pouvoir normatif délégué aux collectivités de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de Mayotte. Quant à La Réunion, l'article 73, alinéa 5 de la Constitution, issu d'un amendement sénatorial, lui retire expressément cette prérogative, et nous regrettons beaucoup que cette législature ne nous ait pas donné l'occasion d'y remédier. Madame la ministre, vous avez déjà donné le fond de votre pensée sur ce « verrou de La Réunion », mais j'aimerais l'entendre à nouveau aujourd'hui.

À ce jour, il est possible de dire que le dispositif d'habilitation fait bien partie du paysage législatif des outre-mer. Les demandes formulées se comptent désormais par dizaines, avec trois domaines de prédilection qui sont l'énergie, la formation professionnelle et le transport.

Enrichi, plus souple et parfois à l'avant-garde, le droit des outre-mer mérites une attention réellement plus soutenue. Il est aussi plus divers, au gré des adaptations et des habilitations successives, ce qui n'est pas sans poser quelques difficultés. Je n'en citerai, pour conclure, que deux.

En premier lieu, le droit des outre-mer est largement ignoré par l'université française, dans l'hexagone comme outre-mer. Nous avons échangé avec M. le déontologue de l'Assemblée nationale, fin connaisseur des institutions des outre-mer, qui nous a indiqué qu'à sa connaissance, il n'existait que trois cours accessibles aux étudiants souhaitant approfondir les sujets ultramarins : à Paris, à Aix-en-Provence et à Bordeaux. Madame la ministre, la question de l'accessibilité du droit se pose. Comment faire en sorte que des enseignements – peut-être des masters ou une chaire – spécifiques soient créés afin de prendre en compte cette problématique ?

En second lieu, mais le problème est lié, les personnes physiques et morales, particuliers ou entreprises, peinent à connaître avec précision le droit applicable outre-mer. À l'initiative des chambres de commerce et d'industrie, un code de l'entreprise outre-mer a été récemment publié. C'est bien, mais la question vaut aussi pour l'énergie, les transports et la formation professionnelle – notamment. Des juristes travaillent à une compilation des normes applicables, mais aucun éditeur ne se montre intéressé, et tout risque de demeurer au fond d'un tiroir. Pourtant, l'accès au droit est une condition de la démocratie et une mission de service public. Madame la ministre, comment faire en sorte que ces travaux indispensables à la vie des ultramarins puissent faire l'objet d'une publication d'envergure satisfaisante ?

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