Intervention de Emmanuelle Cosse

Réunion du 3 novembre 2016 à 21h00
Commission élargie : finances - affaires économiques - affaires sociales

Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable :

Nous devons en effet envoyer un signal fort, madame Linkenheld, pour que les aides à la pierre soient maintenues à un niveau élevé. Certes, la parité est un objectif d'autant plus louable que l'État a parfois adopté des positions fluctuantes s'agissant des aides à la pierre, mais c'est surtout le montant alloué in fine au FNAP qui importe. Avec 500 millions d'euros, nous aurons les moyens de reconduire une programmation aussi ambitieuse, voire plus, qu'en 2016, sachant que les prêts de haut de bilan ne sont pas négligeables dans la période actuelle. Soyons francs : la reprise de la construction produit aujourd'hui de très bons résultats, mais ce n'était pas le cas en 2014, époque à laquelle le logement social, lui, était déjà dynamique et nourrissait l'essentiel de la construction dans les grandes métropoles, même s'il a encore progressé depuis. Cette production contracyclique avait déjà permis de reprendre en 2008 et 2009 une partie des programmes privés qui ne trouvaient plus preneur.

D'autre part, même si la programmation relève désormais du FNAP, nous nous engageons à ce que la production de logements en PLAI – le logement très social – et en PLUS demeure très importante, car ce secteur est largement déficitaire dans nos fichiers de demandeurs de logements sociaux.

Vous avez rappelé l'existence, madame la députée, de nombreuses missions qui dépassent le seul cadre du budget : le Géoportail, la réforme des PLU, PLUI, SCOT et autres documents d'urbanisme, les observatoires des loyers, les établissements publics d'aménagement et des établissements publics fonciers – toutes missions très fructueuses et indispensables dans le contexte d'une croissance de la production de logements.

S'agissant du plan pluriannuel contre la pauvreté et de la diminution du nombre de nuitées hôtelières, madame Orliac, l'objectif pour la période 2015-2017 vise à supprimer à coût constant 10 000 places d'hébergement en hôtel pour créer 2 500 places d'hébergement d'urgence pour familles, 9 000 places en intermédiation locative et 1 500 places en pension de famille. Cette transformation vise naturellement à insérer sur-le-champ des personnes dans le processus du logement. Aujourd'hui, en effet, nos structures d'hébergement accueillent des personnes dont la situation, même si elle est difficile, ne relève pas forcément de l'hébergement d'urgence, mais plutôt de l'accès au logement. C'est pourquoi les places en intermédiation locative, qui permettent d'utiliser le parc privé à des fins sociales, sont très utiles. Nous avons relancé une expérience en la matière dans les communes carencées en logements sociaux pour répondre à la forte demande qui existe sur place.

Quoi qu'il en soit, nous souhaitons garder le cap fixé dans le plan de réduction des nuitées hôtelières, car il a non seulement une importance sociale, mais aussi une pertinence économique, ces nuitées étant très onéreuses. Les centres pérennes offrant une prise en charge plus complète coûteraient beaucoup moins cher à l'État.

En arrière-plan, cela suppose de faire face à la demande croissante émanant de publics en grande précarité, tant il est vrai, madame la présidente Lemorton, que la situation de l'hébergement est depuis longtemps très tendue dans certaines villes et régions : l'Île-de-France et Rhône-Alpes, dans lesquelles nous avons conduit une action très forte ces dernières années, mais aussi Marseille, Toulouse et Montpellier, où nous entendons répondre aux besoins, alors que nous venons de préparer la saison hivernale. Précisons toutefois que, pour créer des places, il faut disposer de locaux et de personnel, et s'efforcer de fluidifier les parcours en s'assurant que la construction concerne d'autres secteurs que le seul hébergement d'urgence, en particulier le logement le plus durable.

C'est pourquoi nous conduisons de nombreuses actions qui dépassent le cadre des centres d'hébergement d'urgence et des centres d'hébergement et de réinsertion sociale : nous expérimentons par exemple l'hébergement en logements dans lesquels les personnes concernées, si les choses se passent bien, peuvent rester grâce à un mécanisme de baux glissants. D'autre part, nous constatons que de nombreuses personnes ne bénéficient pas de l'ensemble de leurs droits sociaux : nombreux sont ceux qui ne touchent pas les minima sociaux auxquels ils ont droit ou qui découvrent la prime d'activité. Autrement dit, le combat pour l'accès aux droits de ces publics est devant nous. Enfin, les personnes hébergées le sont parfois en maison de retraite – un sujet dont les associations spécialistes ont encore peu l'habitude. Il existe en effet un public âgé très précaire qui a besoin d'une prise en charge spécifique, ainsi que des personnes ayant longtemps vécu à la rue et qui relèvent aujourd'hui des dispositifs destinés aux personnes âgées.

Les logements neufs, madame Allain, doivent au minimum respecter le label « bâtiment basse consommation » (BBC), mais nombreux sont les permis de construire qui sont assortis d'exigences beaucoup plus élevées. Une nouvelle réglementation concernant d'une part les « constructions bas carbone », qui devrait entrer en vigueur en 2018 pour répondre aux objectifs de la stratégie nationale bas carbone, et d'autre part les bâtiments à énergie positive, dont l'entrée en vigueur est prévue en 2020 pour respecter les règles fixées dans la loi, est en cours d'expérimentation. L'enjeu consiste à construire dans le respect des exigences environnementales tout en maintenant les coûts à des niveaux maîtrisables, car l'outil de production des logements est concerné dans son ensemble.

La règle du calcul de l'APL est la même que celle qui s'applique au RSA, qu'il s'agisse du plafond retenu ou des livrets inclus dans le calcul. Il a été décidé que, à partir de 3 % de rendement, le livret A serait pris en compte pour déterminer la dégressivité de l'APL, comme c'est le cas pour le RSA.

J'en viens à la loi SRU. Il se trouve, monsieur Lurton, que l'Assemblée examinera lundi prochain le projet de loi sur l'égalité et la citoyenneté dont le titre II, relatif au logement, vise à renforcer la loi SRU. En 2013, le législateur a déjà décidé de reporter le délai de mise en conformité à 2025 tout en relevant le taux de logements sociaux de 20 % à 25 %. Le regroupement en intercommunalités se traduit aujourd'hui par l'assujettissement de certaines communes à la loi SRU, parce qu'elles se trouvent dans une agglomération concernée.

Deux questions se posent. La première concerne les communes qui peinent à réaliser leurs objectifs dans les délais alors qu'elles sont soumises à la règle depuis longtemps, comme Le Cannet, dont la maire m'avait interrogé en séance publique en juillet dernier. Peut-on vraiment prétendre ne pas y arriver étant donné le nombre de permis de construire délivrés dans ces communes depuis 2000 ? Certaines communes connaissent des difficultés réelles du fait de difficultés foncières, de l'application de la loi Littoral ou de la loi Montagne, ou encore d'obstacles physiques à la construction de logements. Nombre d'autres communes carencées, néanmoins, ne veulent pas que la loi SRU s'applique sur leur territoire alors qu'elles n'ont en réalité jamais cessé de construire depuis l'adoption de la loi il y a seize ans. À l'évidence, la marche est plus dure à franchir après tant d'années, et cela coûte cher. Je pose néanmoins la question suivante : pourquoi ces communes n'ont-elles rien fait depuis seize ans, alors que beaucoup d'autres ont respecté la loi ? La loi SRU, en effet, a permis de produire plus de 500 000 logements dans les communes visées. L'étude d'impact de la loi sur l'égalité et la citoyenneté établit que, si toutes les communes construisaient le nombre de logements qui leur est prescrit par la loi d'ici à 2025, il resterait environ 700 000 logements sociaux à construire – et encore ce calcul exclut-il les communes qui ont déjà 25 % de logements sociaux et qui souhaitent porter cette part à 30 %, qui produisent elles aussi de nombreux logements. Pourquoi est-il impossible de construire ces logements, alors que 65 % des Français sont éligibles au logement social ? Rappelons que cette notion recouvre notamment le logement familial, le logement étudiant, le logement des personnes âgées, les foyers de jeunes actifs et d'autres sujets spécifiques. En clair, le logement social répond à des besoins particuliers à tel ou tel stade de la vie. C'est pourquoi cette offre doit, me semble-t-il, exister sur l'ensemble du territoire.

La deuxième question concerne les communes situées dans une zone « détendue » et non desservies par les transports, qui comptent souvent 3 000 ou 4 000 habitants et où la production de nouveaux logements sociaux ne répond objectivement à aucune demande. Je proposerai de rétablir une disposition du projet de loi sur l'égalité et la citoyenneté supprimée par le Sénat, qui vise à utiliser le critère du taux de pression du logement social pour soustraire plusieurs centaines de communes aux obligations qui leur sont actuellement faites et qui, dans leur cas, n'ont pas matière à s'appliquer. Les maires de ces communes ne sont pas en mesure d'atteindre le seuil exigé de 20 % de logements sociaux, même s'ils en construisent tout de même ; nous entrons dans une période où il est nécessaire d'affiner l'application de la loi SRU.

Cela étant, l'État renforce son action – à la demande du législateur – concernant les communes carencées qui n'ont rien produit depuis tant d'années. Nous multiplions les signatures avec les communes de contrats de mixité sociale qui décrivent, année par année, les programmes de construction afin de s'assurer qu'elles tiendront leurs engagements, faute de quoi l'État reprend à son compte les pouvoirs d'urbanisation et la délivrance des permis de construire sur leur territoire, comme l'y autorise la loi. De fait, plusieurs milliers de logements sociaux sont actuellement construits suite à des décisions prises par les préfets.

Les deux zones les plus carencées sont la région Île-de-France et le département des Bouches-du-Rhône, qui compte à lui seul quarante-deux communes carencées. Nous y avons signé trente-trois contrats de mixité sociale et espérons en signer partout. Soyons clairs : le durcissement des sanctions que vous avez décidé en 2013 a été très utile pour mobiliser les communes, y compris dans un département comme les Bouches-du-Rhône où la demande de logement social est très forte.

J'ajoute que, dans les communes carencées, toute construction d'immeubles de plus de douze logements ou de plus de 800 mètres carrés de surface doit comporter au moins 30 % de logements financés en PLAI. Là encore, il s'agit d'une disposition législative qui nous permet d'avancer.

Le nombre de demandeurs de logements sociaux est élevé, puisqu'il s'établit aujourd'hui à 1,7 million, à quoi s'ajoutent les personnes très mal logées qui n'ont pas encore présenté de demande. Ces demandes se concentrent naturellement dans les zones les plus peuplées ; dans certains autres territoires, en revanche, l'accès au logement social est faible pour la simple raison que le parc social est très peu développé, ce à quoi il est indispensable de remédier. De ce point de vue, les intercommunalités disposent désormais de la possibilité de mutualiser les obligations faites à leurs communes au titre de la loi SRU – même si le Gouvernement souhaite quelque peu restreindre ce droit, comme nous en débattrons la semaine prochaine dans le cadre du projet de loi sur l'égalité et la citoyenneté. Quoi qu'il en soit, il est souhaitable que tel territoire d'une intercommunalité puisse aider son voisin. Autrement dit, les dispositions visant à faire mieux appliquer la loi SRU – et donc à loger davantage de personnes – ne manquent pas.

Le groupe OPIEVOY, monsieur Colas, seul bailleur social interdépartemental, disparaîtra à la fin de l'année. La loi prévoyait qu'en cas de non-rattachement à la région, le patrimoine de l'OPIEVOY serait démantelé compte tenu des forts blocages de gouvernance. Les discussions que nous avons eues avec les présidents des conseils généraux concernés ont abouti au principe selon lequel le patrimoine de l'OPIEVOY doit rester en majorité dans le giron de la famille des offices, comme cela a été proposé à l'office départemental du Val-d'Oise, pour partie à celui de la Seine-Saint-Denis, mais aussi à ceux du Val-de-Marne et de la Seine-et-Marne, de sorte que le patrimoine local soit systématiquement repris par les opérateurs concernés.

Reste le patrimoine – considérable – de La Grande Borne, à Grigny et Viry-Châtillon : la proposition qui est faite consisterait à créer une société anonyme de HLM pour gérer ce patrimoine dont je souhaite que la vente se fasse à un prix qui ne se traduise pas par une plus-value excessive et, surtout, que le surcroît de fonds ainsi récoltés soit consacré au financement du programme de rénovation urbaine. Il reste encore des détails à régler ; en l'absence d'accord final, le ministère reprendra la responsabilité de la vente de ce patrimoine aux opérateurs au 1er janvier, conformément à la loi. J'espère que les problèmes en suspens seront résolus d'ici là, car le personnel de l'organisme et les locataires concernés s'inquiètent de savoir à qui les logements vont appartenir. Je précise que nous avons imposé des règles strictes afin que la vente ne s'accompagne pas d'augmentations de loyer et autres changements, la question du sort du personnel demeurant quant à elle centrale.

Nous nous efforçons de créer un outil de gestion unique du 115, monsieur Bachelay, qui utiliserait les mêmes logiciels – ce qui ne va pas de soi partout – de sorte qu'il soit répondu plus vite à chaque appel et que le nombre de places augmente. Deux problèmes demeurent. D'une part, on ne se retrouve pas toujours à la rue parce que le 115 n'a pas répondu à un appel ; il existe en effet des publics, en Île-de-France notamment, qui sont plutôt suivis dans des centres de jour de bas seuil et ne souhaitent pas être pris en charge dans des structures d'hébergement. C'est pourquoi ce budget accorde une place essentielle à la mission de veille sociale et à ces centres d'accueil de jour qui, s'ils ne sont pas la panacée, n'en sont pas moins indispensables parce qu'ils garantissent une veille sociale au long cours, y compris en termes de bagagerie et d'accès aux douches.

D'autre part, le code de l'action sociale impose la règle de l'hébergement inconditionnel, qui n'est pas qu'un symbole – puisqu'il est aussi à l'origine de la création des centres d'accueil et d'orientation (CAO). La limitation de l'hébergement d'urgence à certaines catégories de personnes, en fonction de leur situation administrative, a déjà fait débat. Le code de l'action sociale prescrit un hébergement inconditionnel : tous les publics sont inclus.

L'essentiel est que nous puissions répondre aux besoins. La tâche est ardue dans certaines régions, où nous avons pourtant considérablement renforcé l'offre. Nous travaillons à améliorer la fluidité à l'intérieur des centres d'hébergement d'urgence, afin que davantage de personnes bénéficient plutôt d'un logement pérenne. Quant à la prise en charge des femmes et des enfants de moins de trois ans, qui relève de la compétence départementale, elle n'est pas appliquée partout. Sans ouvrir une quelconque polémique, j'estime qu'il faut que certaines mesures soient maintenues dans ce domaine de l'hébergement d'urgence. Enfin, nous nous efforçons de développer des actions spécifiques pour certains publics comme les jeunes qui sortent du dispositif d'aide sociale à l'enfance, pour qui l'accès au logement est très difficile. Leur prise en charge pourra être améliorée par des mesures telles que la garantie Visale, la conclusion de partenariats avec les foyers de jeunes travailleurs et d'autres structures spécialisées. Les jeunes concernés ne sont pas très nombreux, mais ils éprouvent de considérables difficultés en termes d'accès au logement. De même, un grand nombre de publics précaires ne parviennent pas à obtenir un logement en raison de discriminations. De ce point de vue, la mise en place de la garantie Visale est essentielle pour stabiliser leur situation vis-à-vis des propriétaires. Nous avons cependant lancé un travail sur les discriminations dans l'accès au logement, parce qu'il nous semble important de mieux éclairer ces questions cruciales.

Enfin, nous tâchons de limiter au maximum les situations qui amènent à la rue : aux expulsions locatives s'ajoutent les violences faites aux femmes, certaines d'entre elles devant quitter leur logement parce que le bail n'est pas à leur nom – il faut à cet égard déployer des efforts spécifiques. D'autre part, les logements vacants du parc doivent être mieux mobilisés, qu'il s'agisse de la mobilisation par les bailleurs sociaux et les collectivités de leur contingent réservataire dans le patrimoine social ou de la mobilisation du parc privé. Les publics relevant de l'intermédiation locative ou des dispositifs Louez Solidaire et Solibail comptent plusieurs milliers de personnes qui ont désormais accès à un logement pérenne. C'est en ce sens qu'il nous faut progresser. Cela étant, il va de soi que les demandes d'hébergement sont plus nombreuses lorsque la précarité augmente. Or la demande est très forte dans certaines villes et régions.

Un dernier mot : dans certains secteurs, l'hébergement d'urgence a souvent concerné l'habitat insalubre et indigne, que nous sommes déterminés à supprimer. Il en résulte un phénomène d'éviction par lequel les publics logés par des marchands de sommeil dans ce type d'habitat totalement indigne se trouvent dépourvus de solutions. En effet, il ne suffit pas de résoudre la question de l'habitat indigne ; encore faut-il ensuite proposer aux personnes concernées des solutions de relogement pérenne.

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