Intervention de François Cornut-Gentille

Réunion du 2 novembre 2016 à 21h10
Commission élargie : finances - défense nationale - affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Cornut-Gentille, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire, pour le programme « Préparation de l'avenir » :

Monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a deux façons de regarder ce dernier budget de la défense du quinquennat.

La première en écrivant une belle histoire : on raconte alors que vous avez obtenu quelques beaux succès à l'export, que vous avez mis fin à l'incertitude des recettes exceptionnelles, que vous avez également stoppé la déflation des effectifs, enfin, que vous avez obtenu une nouvelle loi de programmation militaire (LPM) ambitieuse et conforté le budget avec 600 millions d'euros supplémentaires. Tout cela n'est pas faux, mais témoigne d'une version très édulcorée, voire hagiographique, de la réalité.

En effet, ce tableau ne tient que si l'on considère que l'essentiel de l'effort est passé, les difficultés gérées, voire maîtrisées, et que les armées sont désormais sur des rails solides.

Or il n'en est rien. Tout indique, au contraire, qu'un mur de difficultés est devant nous. Car si nous considérons votre budget, sans aucun catastrophisme, mais tel que l'avenir se présente à nous, une vision beaucoup plus préoccupante s'impose. L'urgence et la préparation de l'avenir demanderaient, en effet, la mobilisation de tous pour surmonter des fragilités grandissantes et, à ce jour, sans remède.

Pourtant, alors qu'il faudrait créer les conditions d'un débat responsable pour évaluer ces risques et envisager des solutions, votre ministère semble désormais placer toute son énergie à construire un bilan flatteur.

Quelle est la dure situation à laquelle nous sommes confrontés ?

Il est possible de résumer très simplement les choses : alors que l'objectif principal d'une loi de programmation militaire est de préserver, voire de renforcer les équipements, la dégradation dans ce domaine semble désormais s'accélérer à un rythme angoissant.

Je dois reconnaître que vous semblez vous-même prendre acte de cette situation puisque vous avez récemment dénoncé la faible performance du maintien en condition opérationnelle (MCO). Soit. Mais avouez que l'on est en droit d'attendre des décisions de la part d'un ministre en place depuis cinq ans… Et l'aimable invitation faite à votre successeur d'augmenter le budget n'est-elle pas un peu courte ?

Permettez-moi de souligner l'impasse actuelle en me limitant à quelques exemples.

En 2015, plus d'un tiers des équipements attendus n'ont pas été livrés. Il s'agit du taux de réalisation le plus faible depuis 2008, confirmant une baisse continue depuis 2012. En clair, les forces ne réceptionnent pas les nouveaux équipements pourtant promis pour remplacer des matériels à bout de souffle.

Ces matériels âgés, pour certains, de plusieurs décennies, sont arrivés à la fameuse rupture capacitaire annoncée depuis dix ans. Cela explique certainement pourquoi vos services n'ont pas voulu rendre publics les taux de disponibilité de certains matériels, pourtant publiés les années passées.

Dans ce contexte, les chefs d'état-major unanimes demandent l'accélération du renouvellement de leur matériel. La question est maintenant de savoir comment combler le retard accumulé et répondre à cette nouvelle demande pressante. Mais il est à craindre que nos fantassins continuent à user jusqu'à la corde les bons vieux véhicules de l'avant blindés (VAB), qui viennent de fêter leurs quarante ans.

En outre, lorsque les nouveaux équipements arrivent, ceux-ci montrent d'inquiétants signes de faiblesse. J'en veux pour preuve les hélicoptères Tigre, qui affichaient une disponibilité inférieure à 20 % en 2014. En 2015, le chiffre est subitement classifié…

Dois-je enfin évoquer l'A400M, sur lequel votre silence est assourdissant ? Peut-on encore se taire lorsqu'on sait qu'à l'heure actuelle, seul un appareil sur dix est en état de voler ? Depuis 2012, nous sommes dans un épais brouillard. Nous ne savons toujours pas quand l'avion volera à pleine capacité ni à quel coût.

Pour pallier cette rupture capacitaire, la Direction générale de l'armement (DGA) est contrainte d'acquérir des C-130 chez nos concurrents américains. Plus grave encore, dans l'urgence, nos armées en sont réduites à faire appel à des affréteurs russes ou ukrainiens. Chacun peut mesurer ici le degré de notre autonomie stratégique.

Au total, un énorme malentendu s'est installé. Sollicitées de toutes parts, les armées bénéficient à juste titre du soutien de l'opinion publique. Mais chacun pense que les militaires disposent dans la durée de tous les moyens humains, techniques et budgétaires nécessaires. Or, vous le savez, nous sommes bien loin du compte.

Pis encore, sans même tenir compte des sérieuses menaces qui pèsent sur la fin de gestion 2016, jamais la situation de la défense n'a été rendue aussi critique par l'effet conjugué de trois éléments : la dérive du titre II et du fonctionnement, la rupture des équipements et le défi du renouvellement nucléaire qui se profile.

En cette période électorale, on assiste à une fuite en avant à coups de promesses, mais également de crédits supplémentaires lâchés au plus juste. C'est très sympathique, mais cela n'engage pas à grand-chose. Ainsi, les rallonges budgétaires arrivent comme autrefois le rabot : au hasard et sans cap.

La vérité, c'est que nous sommes aujourd'hui engagés à pleine vitesse dans la même et dangereuse spirale que les Anglais après l'Irak. Ce qu'il nous faut, c'est un diagnostic et une stratégie pour gagner dans la durée la bataille budgétaire et capacitaire.

Monsieur le ministre, pourquoi esquivez-vous ce débat ?

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