Intervention de Michel Pouzol

Réunion du 2 novembre 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Pouzol, rapporteur pour avis sur les crédits de l'audiovisuel public :

Comme vous l'avez souligné en introduction, monsieur le président, l'actualité dans le domaine des médias est extrêmement riche. Le Parisien ce matin a choisi de consacrer sa une, assez provocatrice, à France Télévisions. Par ailleurs, le conflit sans précédent qui mobilise les journalistes d'i-Télé montre combien étaient fondées les questions que notre commission a posées tout au long de l'année, notamment à l'occasion de l'examen de la loi visant à renforcer le pluralisme des médias.

J'ai souhaité consacrer la partie thématique de mon avis aux enjeux du lancement, le 1er septembre 2016, d'une nouvelle offre d'information continue réunissant les différents acteurs de l'audiovisuel public, événement qui aura marqué l'année dans le domaine de l'information.

Ce lancement constitue une excellente nouvelle à plusieurs titres.

Tout d'abord, l'absence d'une chaîne publique d'information continue faisait de notre pays une exception en Europe. Une telle chaîne aurait dû voir le jour en 2002 dans le cadre du déploiement de la télévision terrestre numérique (TNT) sous l'impulsion de M. Marc Teissier, avec le soutien du gouvernement de M. Lionel Jospin, mais, alors que la chaîne était près d'émettre, la majorité suivante a décidé de remettre en cause le projet, s'appuyant sur les conclusions d'un rapport de Michel Boyon, futur président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Ce dernier soulignait en particulier la nécessité de préserver les acteurs privés – à l'époque les chaînes payantes LCI et i-Télé – alors même que le CSA devait peu de temps après autoriser à émettre sur la TNT une nouvelle chaîne privée gratuite, BFM-TV. La concurrence frontale exercée par les chaînes d'information en continu à l'égard de l'information fournie par les chaînes historiques est demeurée une faiblesse majeure du service public français.

Depuis, les bouleversements du paysage médiatique – j'insiste sur ce point – n'ont fait que renforcer le besoin d'un service public de l'information puissant. La révolution numérique, qui engendre une explosion des sources d'information et percute les modèles économiques des médias privés, loin de remettre en cause le rôle de l'information de service public, la rend plus indispensable que jamais. À l'heure où les réseaux sociaux sont devenus l'une des premières sources d'information des nouvelles générations, il incombe à l'information de service public une responsabilité particulière, celle de fournir une information certifiée, vérifiée, validée et mise en perspective. Par ailleurs, alors que les recompositions du paysage médiatique auxquelles nous assistons ont continué de dégrader la confiance des Français dans leurs médias et accru le sentiment que ceux-ci manquent d'indépendance à l'égard des pouvoirs politiques et économiques, le service public a la responsabilité de garantir aux citoyens l'accès à une information totalement indépendante.

L'affaiblissement du service public de l'audiovisuel dans le domaine de l'information au profit de nouveaux acteurs privés a eu pour première conséquence d'augmenter sensiblement la défiance des téléspectateurs vis-à-vis de la probité de ces médias. Il y a là un paradoxe dont chacun tirera les conclusions qui lui conviennent et que la crise que traverse i-Télé éclaire, me semble-t-il, de manière intéressante.

Le projet qui vient d'être lancé était d'autant plus indispensable que notre service public audiovisuel est fort de la plus grande rédaction d'Europe, qui compte 4 500 journalistes répartis entre France Télévisions, France Médias Monde et Radio France et qui dispose de moyens – je pense en particulier au maillage régional et international – dont aucun média privé n'est doté. Or, le constat était unanimement partagé que ces moyens s'additionnaient, voire, s'agissant du numérique, se concurrençaient et que, faute d'une coordination suffisante, ce qui devait constituer un atout déterminant pour le service public et une force de frappe considérable s'apparentait à une faiblesse majeure au regard notamment de l'impératif de bonne utilisation des deniers publics.

Compte tenu de tous ces éléments, s'il n'est pas illégitime de s'interroger sur le nombre de chaînes d'information disponibles sur la TNT, sur leur viabilité et sur les stratégies réelles menées par certains grands groupes audiovisuels émergents, j'estime que la légitimité d'une présence forte du service public dans l'information en continu sur tous les supports est, quant à elle, indiscutable.

En ce qui concerne la mise en place de la nouvelle offre, je note que le service public a, contre toute attente, réussi ce lancement dans des délais exceptionnellement courts, faisant ainsi la preuve de sa réactivité et de son dynamisme. Si cette rapidité a été source de difficultés réelles soulignées par les syndicats, je me félicite que celles-ci aient pu être surmontées de manière intelligente et pragmatique.

À titre d'illustration, j'évoquerai la signature d'un accord majoritaire à la suite de la décision du tribunal de grande instance de Paris du 13 septembre 2016 interdisant à France Télévisions d'imposer unilatéralement les compétences complémentaires mises en oeuvre pour la chaîne d'info – montage pour les journalistes et production de contenu éditorial pour les monteurs. L'accord collectif de mai 2013 n'avait pas été mis à profit par la précédente direction pour adapter les métiers à la polyvalence que supposent les outils numériques. L'accord majoritaire signé le 16 septembre dernier met en place une expérimentation, limitée dans le temps, qui fait de la chaîne d'info un laboratoire au service de l'ensemble des chantiers sociaux de l'entreprise et un moteur de transformation du groupe.

Surtout, alors que les rapports qui se succèdent déplorent tous l'absence de coordination des sociétés de l'audiovisuel public et appellent à des synergies accrues, qui selon certains ne pourraient passer que par des rapprochements structurels entre les sociétés, le service public fait la démonstration de sa capacité à mettre en commun ses compétences et ses moyens dans une démarche pragmatique. Le projet repose ainsi sur la mise en commun des savoir-faire et des complémentarités des quatre organismes partenaires.

Cette mise en commun bénéficie de l'expérience de la radio France Info, dont je rappelle qu'elle est historiquement le premier média d'information en continu de France. Elle met également à profit la puissance et le maillage territorial des rédactions de France Télévisions, l'expertise internationale de France 24 et la capacité de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) à mettre en perspective les événements grâce à l'exploitation des archives. Franceinfo repose ainsi sur des accords de partenariat signés entre France Télévisions et chacun des partenaires du projet. Ces conventions valorisent de façon croisée les apports des uns et des autres au projet commun, selon des modalités précisées dans mon rapport.

S'agissant de la gouvernance, de la coordination et de la responsabilité éditoriale, les entreprises ont également fixé leurs modalités de collaboration à travers divers contrats établissant une gouvernance légère qui doit en particulier garantir l'indépendance des rédactions et la cohérence éditoriale de l'offre.

Le financement du projet, dont les divers coûts sont détaillés dans mon rapport, repose en grande partie sur des synergies et des redéploiements qui devront faire l'objet d'un suivi précis afin de prévenir tout risque de dérapage financier. Il conviendra en particulier de s'assurer que France Télévisions respecte son engagement de recourir à des salariés déjà présents dans l'entreprise à hauteur de 50 % des postes à pourvoir. La capacité à opérer des redéploiements devra s'appuyer sur la fusion des rédactions nationales de France Télévisions que le groupe s'engage à achever d'ici à 2018. Par ailleurs, la phase de lancement étant achevée, le groupe France Télévisions doit désormais préciser les modalités de coopération avec les rédactions régionales et ultramarines, dont la participation est envisagée mais n'a pas encore été formalisée. Il s'agit là d'un enjeu majeur pour garantir la pleine réussite du projet.

Il ne serait pas raisonnable de se livrer au bilan d'une offre lancée il y a deux mois à peine. Je note cependant que si la chaîne connaît certains problèmes formels, en passe d'être réglés, elle présente d'indéniables qualités, qui résident notamment dans des formats et des codes particulièrement innovants, adaptés aux usages numériques au coeur de la stratégie de Franceinfo. L'innovation est bien du côté du service public, n'en déplaise à certains think tanks comme la Fondapol ou l'Institut Montaigne, qui n'ont eu de cesse de remettre en cause l'existence même de l'audiovisuel public.

Les premiers résultats enregistrés dans le domaine numérique apparaissent particulièrement prometteurs à cet égard. Je tiens en particulier à souligner la qualité de l'apport de l'INA dont les modules intelligemment montés éclairent le présent et donnent une mémoire à Franceinfo. Néanmoins, pour asseoir sa légitimité dans un univers fortement concurrentiel, l'offre d'information de l'audiovisuel public doit impérativement confirmer et amplifier sa spécificité de service public et son souci d'exemplarité, notamment dans la couverture des événements qui marqueront notre pays dans les prochains mois ou années, à commencer par la campagne présidentielle.

En ce qui concerne l'audience de la chaîne, les chiffres communiqués par la presse montrent qu'elle a bénéficié d'un effet de curiosité qui s'est atténué puisque la part d'audience aurait été ramenée à 0,3 %. France Télévisions met en avant l'impératif d'informer les téléspectateurs de l'existence de la nouvelle offre, compte tenu des handicaps importants dont elle a souffert à son démarrage, en particulier un numéro peu favorable sur la TNT et un positionnement très hétérogène dans les plans de services des fournisseurs d'accès à internet (FAI) et des câblo-opérateurs. En tout état de cause, il me semble important que l'audience de la chaîne sur les quatre supports où elle est diffusée puisse être mesurée le plus rapidement possible.

Dans la dernière partie de mon rapport, je me suis demandé dans quelle mesure le projet de Franceinfo pouvait servir de modèle pour des « communautés de projets » au sein de l'audiovisuel public. Certains syndicats se sont inquiétés du fait qu'il s'agirait d'une fusion déguisée, prélude au mariage de France Télévisions et de Radio France. J'estime au contraire que la réussite de ce projet constitue le meilleur remède contre les propositions de rapprochement organique entre les sociétés, qui se sont multipliées ces dernières années. À la lumière des expériences mises en oeuvre au sein de l'audiovisuel extérieur de la France comme de France Télévisions, il apparaît clairement que les rapprochements entre sociétés ont produit plus de crispations et de surcoûts que de synergies. C'est d'ailleurs l'une des principales conclusions du dernier rapport de la Cour des comptes : l'entreprise unique a été un échec patent qui a profondément déstabilisé France Télévisions sans lui permettre d'atteindre les objectifs fixés. Le projet Franceinfo aura permis en sept mois plus de synergies que l'entreprise unique en sept ans : comment ne pas en tirer les leçons qui s'imposent ?

Au-delà de l'information, d'autres sujets de collaboration possibles ont été maintes fois identifiés, tels les réseaux régionaux, les réseaux à l'étranger ou les offres numériques en matière de culture, d'éducation ou de formation. La mise en place d'une offre d'information régionale ambitieuse sur le numérique, fondée sur la coopération des réseaux de France 3 et de France Bleu, apparaît en ce sens comme prioritaire, urgente et indispensable pour garantir l'avenir de ces réseaux. Il s'agirait en somme de la version régionale et locale de Franceinfo.

J'observe cependant que la méthode qui a présidé à la naissance de Franceinfo comporte des limites importantes. Je rappelle en effet que le CSA a choisi la présidente de France Télévisions sur la base d'un projet stratégique qui prévoyait la création d'une chaîne d'information, élément absent du projet de l'autre finaliste de la procédure de nomination, Pascal Josèphe. La volonté de la nouvelle présidente de France Télévisions a ensuite dû rencontrer celle du président de Radio France mais rien ne garantit que de futurs dirigeants soient aussi coopératifs ou partagent une vision similaire du développement de l'audiovisuel public. Par ailleurs, au cours des auditions que j'ai effectuées, j'ai pu constater que les autres projets structurants ne réunissent pas en l'état les volontés nécessaires à leur mise en oeuvre alors qu'ils pourraient constituer autant de moteurs du développement des entreprises qui composent l'audiovisuel public, tout en permettant un meilleur usage des moyens qui leur sont consacrés.

J'insiste donc sur les limites d'une coordination s'appuyant sur la seule volonté des entreprises et la nécessité pour l'État d'assumer enfin son rôle de stratège et de pilote garant d'un développement harmonieux et coordonné de l'audiovisuel public. Je ne peux que constater que ce rôle fait actuellement cruellement défaut. Nous sommes en présence d'un actionnaire unique : l'État est représenté dans tous les conseils d'administration, il négocie les contrats d'objectifs et de moyens avec les différentes sociétés, précise par décret le contenu des cahiers des charges de celles-ci et élabore le budget, mais il ne pilote pas une politique nationale, pas plus qu'il n'en fixe les grandes lignes, ce qui représente actuellement à mes yeux la principale menace pour l'avenir de l'audiovisuel public.

Le groupe de travail sur l'avenir de France Télévisions coordonné par M. Marc Schwartz avait préconisé la mise en place d'une instance de pilotage stratégique où les présidents de l'audiovisuel public auraient échangé régulièrement sur leurs développements stratégiques avec les ministres compétents. Force est de constater que cette instance n'a été réunie qu'une fois et que l'État n'a pas joué le rôle proactif qui aurait dû être le sien. Les contrats d'objectifs et de moyens de l'ensemble des sociétés de l'audiovisuel public étant à peine renouvelés ou en cours de l'être pour une durée de cinq ans, les projets structurants qui n'auraient pas été lancés seront autant d'occasions perdues pour l'avenir du service public que d'arguments à disposition de ceux qui préconisent un rapprochement des structures.

Dans leurs rapports d'information respectivement consacrés au projet de contrat d'objectifs et de moyens de Radio France pour 2015-2019 et à la nouvelle chaîne publique d'information en continu, Martine Martinel et Jean-Marie Beffara ont tous deux proposé l'élaboration d'un contrat d'objectifs et de moyens thématique consacré à l'offre d'information. Dans le même esprit, j'appelle de mes voeux une réactivation rapide de l'instance de pilotage stratégique de l'audiovisuel public et l'élaboration d'une contractualisation commune à l'ensemble des partenaires de l'audiovisuel public et à l'État afin de définir de nouveaux projets communs à mettre en oeuvre et de permettre à l'État d'affirmer une vision consolidée et un rôle de pilote stratégique du secteur.

Dans la droite ligne des rapports que je viens de citer, sans doute conviendrait-il de préconiser une nouvelle articulation des contrats d'objectifs et de moyens des entreprises publiques de l'audiovisuel pour les mettre en concordance avec l'entrée en fonction de leurs présidents et l'émergence d'éventuels projets communs, tout en redonnant à l'État actionnaire un rôle plus pertinent que celui de simple financeur.

En somme, cette chaîne d'information publique en continu, pourvu qu'on prenne soin de soutenir son côté novateur et expérimental, est l'exemple vivant d'une nouvelle approche de l'audiovisuel public et de ses missions. Elle appelle à reproduire les mécanismes de sa réussite à l'échelle du pilotage de l'audiovisuel public dans sa globalité. Sans remettre en cause l'indépendance des entreprises de l'audiovisuel public, que nous n'avons eu de cesse de renforcer ces quatre dernières années, nous voulons redonner un rôle moteur à l'État face aux défis auxquels il est confronté dans un monde où se fait plus que jamais sentir le besoin de compréhension, de recul, d'intelligence et d'analyse. Le service public de l'audiovisuel doit à cet égard jouer le rôle majeur qui lui est historiquement dévolu.

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