Intervention de Marie-George Buffet

Réunion du 2 novembre 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-George Buffet, rapporteure pour avis sur les crédits du livre et des industries culturelles :

Le programme 334 a pour objectif, dans sa première action à laquelle je me suis attachée, de favoriser le développement de la création littéraire, d'encourager la pratique de la lecture et de soutenir la chaîne du livre. Comme l'ensemble du programme, les crédits de paiement comme les autorisations d'engagement de l'action « livre et lecture » sont en légère hausse, à périmètre constant. On ne peut que s'en féliciter : 2017 est marquée par une embellie budgétaire qui ne peut nous étonner. Cette hausse devrait permettre de répondre aux besoins les plus évidents, les plus obligatoires de la Bibliothèque nationale de France (BNF) et de la Bibliothèque publique d'information (BPI), de financer la revalorisation du point d'indice et de stabiliser les équivalents temps plein (ETP) au niveau de 2016 – stabiliser, seulement, alors que la légère hausse de la fréquentation aurait pu aboutir à de nouvelles embauches. Cette hausse devrait aussi permettre de faire avancer les travaux de rénovation du quadrilatère Richelieu de la BNF et de poursuivre, en lien avec le Centre Georges Pompidou, la rénovation des espaces de la BPI, pour en renforcer la qualité d'accueil. Je rappelle que le taux de fréquentation de la BPI a baissé depuis 2014 de façon préoccupante.

Je dirai un mot sur le Centre national du livre (CNL) dont le budget global d'intervention a baissé entre 2014 et 2015. Cette diminution, liée à l'assiette des taxes qui lui sont en partie affectées, ne sera pas entièrement corrigée par la réforme de cette assiette en 2015.

Il faut se réjouir de l'effet du plan de soutien aux librairies. Leur part de marché est stabilisée à 22 % des ventes mais des fragilités demeurent, qu'il s'agisse de la dégradation de la rentabilité de ces librairies ou des inégalités territoriales. Si les librairies de centre-ville arrivent à se maintenir, beaucoup de territoires urbains périphériques sont aujourd'hui confrontés à l'absence complète de points de vente de livres. Je voudrais donc insister sur la place de la commande publique pour soutenir ces librairies. Il n'est pas difficile de maintenir cette commande publique puisque les appels d'offre ont été simplifiés pour l'achat de livres scolaires. Cela demande simplement une volonté politique de la part des collectivités dans ces territoires urbains périphériques.

J'ai voulu rappeler ces quelques points du rapport car tous ces acteurs – BNF, BPI, CNL et librairies – sont des vecteurs importants de la chaîne du livre et donc de l'accès à la lecture. Mais d'autres acteurs sont tout aussi essentiels à cet accès. Je pense bien sûr aux bibliothèques départementales et municipales, aux points d'accès aux livres et aux associations. Des acteurs de la lecture pourtant peu visibles, insuffisamment mis en valeur, souvent insuffisamment dotés et inégalement répartis sur le territoire de notre pays. Pourtant, l'accès au livre et à la lecture est synonyme d'épanouissement, d'accès au langage, aux connaissances, à l'esprit critique, à la citoyenneté et de développement du savoir et de la recherche. Cette intervention publique en faveur de la lecture mériterait donc, dans les temps présents, de bénéficier d'un nouvel éclairage et de nouvelles approches.

D'où ce rapport pour un renouveau des politiques en faveur de la lecture publique. Les besoins sont là. 55 % des communes, soit plus de 11 millions de personnes, ne bénéficient pas d'un lieu de lecture publique et beaucoup de familles n'ont pas de livres à domicile. Alors que de nombreuses études montrent que la langue reflète les inégalités sociales, l'apprentissage du langage chez les plus jeunes enfants par l'accès à la lecture d'histoires et par le rapport aux livres, le plus tôt possible, est une source de développement de la pensée et de l'esprit critique et permet le recul des ségrégations. Or, cet accès des plus jeunes aux livres est encore trop limité. L'effet, en termes d'échec scolaire, de cet accès limité aux livres et à la lecture est également insuffisamment interrogé. Enfin, 7 % de la population métropolitaine ayant été scolarisée dans notre pays souffrent aujourd'hui d'illettrisme. Il est donc nécessaire de conforter, de valoriser et de renouveler les politiques publiques de développement du livre et de la lecture.

Permettez-moi de saluer les associations qui oeuvrent en ce domaine, notamment auprès des publics les plus défavorisés. Je voudrais citer les bibliothèques de rue de l'association ATD Quart monde, le partenariat entre La Petite Bibliothèque ronde et les Restos du coeur, l'action du Secours populaire visant à mettre des livres à disposition du public et l'initiation à la lecture des enfants du plus jeune âge, en lien avec la Protection maternelle infantile (PMI), les crèches et les assistantes maternelles. Je citerai ainsi l'opération « Première page », lancée en 2009 et dont ont bénéficié 200 000 enfants de moins de trois ans en 2016, et l'opération « Lire et faire lire » qui vise 37 % des collégiens ayant actuellement un accès difficile à la lecture.

Toutes ces associations, lors de leurs auditions, ont soulevé la question de la pérennité de leurs subventions. Travaillant avec des institutions sur le long terme, elles ont besoin d'avoir une vision claire de l'avenir de leurs moyens, ce que ne permet pas le cadre des appels à projet.

J'évoquerai à présent l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme. Toutes les associations et institutions que j'ai auditionnées ont insisté sur son rôle positif de coordination et d'impulsion auprès de l'État, des associations, des collectivités et des entreprises en faveur de la lutte contre l'illettrisme. La Cour des comptes a rendu un avis très positif sur la gestion de cette agence. Aussi je m'interroge quant à sa dissolution dans une agence de défense de la langue française. Cela montre qu'il y a une confusion quant aux causes de l'illettrisme et donc quant aux moyens d'agir contre ce fléau.

Toutefois, le vecteur indispensable de l'accès au livre et à la lecture est la bibliothèque – municipale ou départementale –, service public nécessaire à l'exercice de la démocratie, à l'égal accès à la lecture, à l'indépendance intellectuelle et au progrès de la société. Cette mission, rappelée dans la Charte des bibliothèques, est de taille. La France dispose d'un maillage important de 16 300 lieux de lecture qui contribuent à l'aménagement culturel du territoire. L'État leur apporte son soutien financier par l'intermédiaire du CNL, avec le concours particulier de la dotation générale de décentralisation pour un montant constant de 80 millions d'euros. La bibliothèque est souvent aussi un lieu qui favorise le lien social, un lieu de rencontres.

Ce réseau de bibliothèques a des défis à relever si l'on veut en relancer le taux de fréquentation et élargir les publics concernés par la lecture publique.

Tout d'abord, il faut renforcer le maillage et la qualité du service : 17 % de la population n'ont pas accès à ces lieux de lecture publique. Cette insuffisance concerne les zones rurales mais aussi les villes moyennes puisque 197 villes de plus de 5 000 habitants n'ont pas de lieu d'accès à la lecture publique. Il convient également de veiller à la qualité de ces 16 300 lieux, dont 9 200 ne sont que des points d'accès aux livres, sans l'encadrement nécessaire de professionnels. Vous trouverez à cet égard un tableau dans mon rapport.

Ensuite, il faut maintenir une réelle qualification des personnels. Dans les bibliothèques municipales, 26 % de personnels sont de catégorie C. Beaucoup de ces établissements n'ont plus de personnel formé et qualifié.

Il faut enfin faire évoluer les bibliothèques elles-mêmes, leur espace et les services qu'elles rendent. Nous avons auditionné longuement les responsables de la bibliothèque de la Courneuve qui ont ouvert, à côté d'un espace de lecture et des espaces de travail, des espaces de convivialité où les jeunes et les familles peuvent se retrouver pour échanger et où les élèves peuvent faire leurs devoirs. Cela peut, petit à petit, susciter chez eux l'envie d'aller vers les livres et vers la lecture.

Nous nous sommes demandé, lors de nos auditions, si la tendance à ouvrir les bibliothèques à toute une série d'activités – notamment celle d'accueil d'enfants en décrochage scolaire ou d'associations qui font de l'animation – n'allait pas affecter le coeur de métier des bibliothécaires. Il reste que les bibliothèques ont besoin de s'ouvrir pour gagner de nouveaux lecteurs. La question de l'amplitude horaire a aussi été débattue : elle ne doit pas être décidée d'en haut mais s'adapter aux différents territoires et aux différents publics qui n'ont pas toujours les mêmes besoins.

Il faut développer les réseaux et veiller à ce que la réforme des territoires, qui se met en place petit à petit, ne vienne pas perturber les réseaux existants mais les conforte au contraire, tant ils sont nécessaires pour offrir partout la même qualité de service aux lecteurs. Dans ce système en réseau, le contrat « Territoire lecture » a partout recueilli des avis très positifs mais à ce jour, seuls 120 contrats ont été signés. Et dans les directions régionales des affaires culturelles (DRAC), les personnels dédiés à la lecture publique sont parfois très peu nombreux : en Île-de-France, par exemple, il n'y a qu'une personne chargée de la mobilisation en faveur de la lecture publique. Toujours en termes de réseaux, si le rapport entre les bibliothèques et l'éducation nationale est très étroit dans le primaire, il est aujourd'hui insuffisant dans le secondaire, tant au collègue qu'au lycée.

J'en viens enfin à la question des moyens. En 1983, la gestion des bibliothèques municipales revient aux communes. Puis, en 1992, les bibliothèques centrales de prêt sont transférées aux conseils généraux pour devenir des bibliothèques départementales. Or, avec la baisse des dotations publiques, la lecture pourrait être la variable d'ajustement dans certaines collectivités – ou, du moins, elle pourrait en rester au niveau actuel sans que les moyens soient mis pour renouveler l'offre et attirer de nos nouveaux publics.

C'est pourquoi il faut donner une ambition politique et une visibilité à l'enjeu de la lecture publique. On parle souvent de l'art vivant et des festivals mais très peu, dans l'actualité, de nos bibliothèques, de la lecture publique et de l'effort pour amener de nouveaux publics à la lecture.

En conclusion, je remercie toutes les personnes que nous avons auditionnées, qu'elles représentent des associations ou institutions.

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