Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous sommes pour la dernière fois réunis pour examiner, en lecture définitive, le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Comme lors des examens en première et en nouvelle lectures, nous nous abstiendrons sur un texte qui reste, à nos yeux, au milieu du gué.
Mais saluons d’abord le mérite premier de ce projet de loi, celui de mettre en discussion la probité politique et la corruption des élites. Il était essentiel que nous ayons un débat de fond sur ce sujet, tant les scandales à répétition indignent l’opinion publique et fracassent la confiance de nos concitoyens à l’égard des dirigeants politiques et économiques.
Ainsi, après avoir exercé les fonctions de président de la Commission européenne, M. Barroso n’aurait pas enfreint le code de bonne conduite et les règles d’intégrité de l’Union européenne – c’est du moins ce qu’affirme le comité d’éthique de l’Union – en acceptant un poste à responsabilité au sein de Goldman Sachs, la sulfureuse banque d’affaires américaine qui avait, on s’en souvient, joué un rôle machiavélique dans le déclenchement de la crise grecque. Stupeur !Incompréhension ! Dégoût, même. Ce pantouflage inacceptable – et je pèse mes mots – revêt, selon moi, une double signification : d’une part, il montre que l’Europe, en plus d’aller droit dans le mur, tend à appuyer sur l’accélérateur, ce qui est désolant et appelle des actes forts ; d’autre part, il montre la nécessité de se montrer intraitable en matière d’éthique, de lutte contre la corruption, d’exercice transparent de fonctions publiques, qu’elles soient locales, nationales ou transnationales, si l’on veut un jour restaurer ce lien de confiance avec la population.
Pour revenir à notre pays, oui, nous sommes aujourd’hui en retard en matière de lutte contre la corruption. Ce constat est partagé sur tous les bancs de l’hémicycle. Mais on se demande bien quel est le fil conducteur de ce texte, véritable « fourre-tout », puisque l’on y parle non seulement de corruption, mais aussi de droit des sociétés, d’agriculture, de domanialité publique, d’assurance emprunteur, de réglementation financière et de bien d’autres sujets encore.
Plutôt que de se concentrer sur l’essentiel, ce projet de loi tente ainsi de traiter tous les sujets à la fois, alors que certains d’entre eux auraient mérité un projet de loi spécifique. Cela nous laisse un sentiment d’amertume, l’impression d’être davantage dans l’affichage que dans le concret. Or en la matière, l’ambition affichée ne saurait suffire, seuls les actes comptent.
Toutefois, la principale avancée concerne la protection des lanceurs d’alerte. Sur ce sujet, nos discussions auront permis d’enrichir le projet de loi, ce qui est une très bonne chose. Pour autant, beaucoup reste à faire pour garantir un statut pleinement protecteur à cette « ressource », cette véritable « richesse » pour la démocratie.
Nous étions par ailleurs favorables à la création d’une agence française anti-corruption, mais les contours finalement retenus pour la nouvelle institution nous semblent flous, notamment pour ce qui concerne son indépendance.
De même, mes chers collègues, il était urgent de réguler les pratiques des lobbyistes, et la création d’un registre public obligatoire va clairement dans le bon sens. On peut néanmoins regretter que le champ d’application de cette disposition ne soit pas aussi large que possible.
Mais là où le bât blesse fondamentalement, c’est en matière de lutte contre la délinquance économique, la fraude et l’évasion fiscales ainsi que sur les règles relatives à la probité du monde des affaires.
Sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, peu d’engagements ont été pris – presque aucun, si ce n’est un reporting pays par pays, lacunaire et largement critiqué par la société civile. Le combat n’est pas fini et nous espérons avancer avant la fin de la législature, comme nous l’avons fait pour la taxe sur les transactions financières.
Par ailleurs, alors que le Sénat, de droite, y est favorable, l’Assemblée refuse toujours de faire sauter le verrou de Bercy, véritable anomalie démocratique, « préjudiciable à l’efficacité de la lutte contre la fraude fiscale », selon les mots de la Cour des comptes.
Mettre l’économie au service de la société, et non l’inverse, voilà bien une autre cible que manquera ce projet de loi. Largement lacunaire, l’encadrement des rémunérations dans les entreprises, tel qu’ici proposé ne suffira pas à faire disparaître les prétentions délirantes de quelques surhommes autoproclamés. Ainsi, rendre décisionnel le vote des actionnaires aura un impact très marginal, comme on s’en rendra probablement compte très vite. Toutes nos propositions en la matière auront été successivement retoquées, à l’image de celles contenues dans la proposition de loi que j’ai défendue sur l’encadrement des rémunérations dans les entreprises, qui visait à supprimer les salaires indécents pratiqués dans les grandes entreprises du CAC 40.
Nous déplorons également que se poursuive, malgré l’opposition de nombreux élus d’outre-mer, la volonté de céder à une filiale privée de la CDC les parts détenues par l’État dans les sociétés immobilières d’outre-mer, qui représentent 48 % du logement social de ces territoires.
Au bout du compte, accueillant favorablement les réelles avancées du texte qui nous est soumis, mais prenant également acte des ces manquements importants, nous ne pourrons pas voter en faveur de ce projet de loi.