Intervention de Pierre Lellouche

Réunion du 12 octobre 2016 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lellouche :

Monsieur Rioux, je me félicite que vous fassiez enfin un vrai plan stratégique pour votre agence, je crois que nous en avons besoin. Comme M. Cochet, je souhaite que l'expérience des parlementaires contribue à cet exercice, car il y a beaucoup d'expertise dans cette pièce sur ces différents sujets.

Vous avez cité M. Serge Michailof, qui fut longtemps un de vos agents et qui a publié un excellent livre intitulé Africanistan, que je conseille à tout le monde.

Il faut sortir de l'enfumage des chiffres. Nous nous gargarisons de nos fameux 10 milliards, mais au bout du compte, une fois déduites les restructurations des dettes, les bourses aux étudiants chinois et autres calembredaines de ce genre, l'Assemblée vote sur le tiers de cette somme. Sur ce tiers, vous êtes le principal bailleur, et il reste très peu de chose pour les dons. Et, comme vous le savez mieux que moi, votre activité est centrée sur des pays en décollage, sinon vous ne prêtez pas.

Dès lors, il me semble que nous devons affronter deux problèmes stratégiques : les flux migratoires et la sécurité et l'emploi de nos forces. Nous sommes sur quatre théâtres d'opération aujourd'hui ; M. Le Drian était à votre place hier pour nous en parler.

Concernant la démographie, le problème principal est le Sahel, qui va compter 200 millions de personnes dans les vingt-cinq ans qui viennent. La question est la suivante : combien d'argent mettons-nous au Sahel, monsieur le directeur ? Pas loin de zéro. Parce que les sommes disponibles pour les dons de la France aux seize pays les plus pauvres du monde s'élèvent autour de 200 millions d'euros. Cela signifie que dans des pays absolument stratégiques pour nous, où nous avons des soldats engagés – Mali, Niger, Burkina, Tchad ; là où est Boko Haram – nous menons une opération militaire, Barkhane, qui doit coûter autour de 600 millions d'euros par an, notre empreinte économique est presque inexistante.

J'ai connu cela quand je m'occupais de l'Afghanistan : pour accompagner nos forces, il n'y avait pas un centime, et il fallait aller pleurer aux guichets administratifs pour trouver trois francs six sous afin d'accompagner la présence militaire de nos forces.

Il faut absolument faire des flux migratoires et de la démographie la priorité absolue, et donc revoir le mode de fonctionnement de l'AFD ou de l'aide en général, car si nous prêtons massivement aux pays en décollage, comme la Côte d'Ivoire, et que nous n'avons rien pour les pays où nous avons des problèmes, c'est extrêmement ennuyeux.

Le deuxième sujet est l'emploi de nos forces armées. Nous ne pouvons pas envoyer de forces armées sans accompagnement économique, sauf à passer pour des colonisateurs, car une fois que nous partons, la crise ressurgit, comme le disait M. Bacquet.

Si vous faites ce plan stratégique, il faut vraiment prendre le taureau par les cornes, quitte à affronter des tensions politiques ici où là, mais tout le monde est d'accord sur cette question.

Deux autres points recueillent l'accord général. L'un a déjà été cité par M. Myard, et j'avais essayé de faire bouger les choses mais les circonstances ne l'ont pas permis, ce sont les financements européens. Près de 20 % de l'aide européenne provient d'argent français. C'est de l'argent sur lequel nous perdons le drapeau. Nous n'avons pas les moyens d'agir, et après vous êtes obligés d'aller quémander à Bruxelles. C'est le monde à l'envers ! Il me semble vital de remettre les choses sur la table.

Le deuxième point est de relier l'aide. Mme Dagoma et tous ceux qui connaissent les problèmes savent que lorsque les Chinois, les Japonais, les Indiens et bien d'autres – y compris les Allemands – mettent de l'argent quelque part, leurs entreprises sont derrière. Nous, nous mettons de l'argent du contribuable, nous faisons jouer l'effet de levier, et derrière, il y a des entreprises chinoises. Cherchez l'erreur ! J'ai vu cela à de nombreuses reprises sur le terrain.

Il faut arrêter de se payer de mots, ce sont des bagarres internes à la bureaucratie. On prétend que ce n'est pas possible à cause des règles internationales ; mais les gens s'en affranchissent, des règles internationales ! Si vous faites cet effort, vous aurez tout le monde avec vous. Allez jusqu'au bout, visez la démographie, visez la sécurité, visez nos entreprises — il ne suffit pas d'aller au MEDEF, il faut lier l'aide — et viser la récupération d'un certain nombre de crédits européens. Voilà modestement ce que je vous conseille ce matin.

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