De nombreuses entreprises détournent aujourd'hui artificiellement les bénéfices qu'elles réalisent dans notre pays, par le mécanisme de prix de transfert excessifs, mais également en évitant l'établissement d'une présence fiscale en France, en ayant recours à des montages financiers complexes ou tout simplement en profitant des failles de notre législation fiscale. Elles en arrivent ainsi à payer des montants d'impôt dérisoires. L'impôt sur les sociétés payé par Google en 2015 s'est élevé à 6,7 millions d'euros, pour un revenu estimé à plus de 1,5 milliard. Airbnb, dont le résultat est estimé à 65 millions d'euros, n'a payé que 69 000 euros d'impôt. Ce détournement se fait au détriment de l'État, des services publics, des entreprises locales concurrentes et de tous les citoyens.
Depuis de nombreuses années, des rapports – comme celui, excellent, de Pierre-Alain Muet en 2014 – ont soulevé ces problèmes ; les négociations internationales ont produit des propositions intéressantes, mais qui tardent à se concrétiser.
Le présent amendement vise à mettre un terme à ces pratiques et à réintégrer les profits détournés dans l'assiette de l'impôt, en inscrivant dans la loi le principe d'une territorialisation de l'imposition, en s'attaquant aux prix de transfert abusifs pratiqués par certaines entreprises et en redéfinissant, selon les préconisations du projet BEPS – acronyme anglais de Base Erosion and Profit Shifting, c'est-à-dire « érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices » – de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) –, la notion d'établissement stable afin de viser certains montages particuliers pratiqués par des entreprises, notamment les accords de commissionnaires, ayant pour unique but d'échapper artificiellement à la notion d'établissement stable.
En très grande partie inspiré du régime mis en place par la troisième partie de la loi de finances pour 2015 du Royaume-Uni, il prévoit pour l'application de cette nouvelle taxe sur les bénéfices détournés un taux équivalent à celui de l'impôt sur les sociétés (IS) majoré de cinq points. Les entreprises sont ainsi incitées à déclarer leurs bénéfices en France.
L'article 209 D du code général des impôts porte sur le cas spécifique des plateformes de mise en relation par voie électronique ; il prévoit que les bénéfices qu'elles réalisent au moyen de personnes domiciliées en France sont imposables au titre de l'impôt sur les sociétés ; dans le cas d'une personne morale établie à l'étranger, le mécanisme prévu à l'article 209 C s'applique.
Depuis que j'ai déposé cet amendement, j'entends dire qu'il serait satisfait par le droit actuel, notamment par l'article 57 du code général des impôts, qui porte sur les prix de transfert, ainsi que par l'article 64 du livre des procédures fiscales, consacré à l'abus de droit. Mais le mécanisme que je vous propose est plus large : il ne se limite pas à traiter des prix de transfert, mais impose tous les bénéfices réalisés grâce à une activité en France ; il introduit pour la première fois une acception étendue de l'établissement stable afin de lutter contre les entreprises qui se servent de la définition actuelle pour échapper à l'impôt. Il ne se limite pas aux régimes fiscaux privilégiés définis à l'article 238 A du code général des impôts. Il permet de sanctionner des entreprises établies dans des pays membres de l'Union européenne, dans le respect des traités et de la jurisprudence.
On a également voulu m'opposer – comme ce fut le cas au Royaume-Uni – l'existence de conventions fiscales. Mais cet amendement permet de passer outre en créant un nouvel impôt, auquel ces conventions ne pourront pas être appliquées.