Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, après avoir étudié, au cours des années précédentes, le pilotage des recettes fiscales et celui de dépenses, nous nous sommes interrogés cette année sur le point de savoir si les règles budgétaires européennes facilitaient ou non le pilotage des finances publiques.
Nous avons donc, tout d'abord, retracé l'évolution de ces règles, du Pacte de stabilité et de croissance jusqu'au Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), en passant par les deux réformes du Pacte de stabilité et de croissance, le « Two Pack » et le « Six Pack ». Qu'avons-nous découvert ? Premièrement, la progression de la dette publique de l'Union européenne – « l'éléphant dans la pièce » – accumulée au cours des vingt dernières années et qui atteint aujourd'hui un montant considérable n'a jamais été stoppée par l'application des règles budgétaires européennes, quelles qu'elles soient. Nous illustrons ce constat en citant certains chiffres qui montrent que même la dette publique de l'Allemagne est restée, pendant de très nombreuses années, supérieure à la limite de 60 % du PIB qui avait été fixée dans le traité de Maastricht.
Deuxièmement – et c'est peut-être l'élément le plus important de ce rapport –, ces règles n'ont jamais été appliquées au sens juridique du terme, car on en a fait progressivement une lecture politique. De fait, à chaque fois que leur application posait problème, il s'est trouvé des pays européens pour bâtir au sein du Conseil européen, sinon un consensus, du moins une majorité claire afin d'écarter les recommandations de la Commission en la matière. Les règles budgétaires européennes ne sont donc pas tant « stupides », comme les avait qualifiées Romano Prodi en 2002, qu'extrêmement politiques.
Troisièmement, le TSCG repose sur une notion très théorique, celle de croissance potentielle et de solde structurel, de sorte que nous collaborons, ou non, avec la Commission européenne sur le fondement de chiffres très difficiles à établir de manière transparente et qui, en tout état de cause, ne font pas l'objet d'un consensus. À preuve, nous avons comparé, page 29 de notre rapport, les dernières estimations, par le Gouvernement et par la Commission, des écarts de production et de solde structurel de la France. En 2015, la croissance potentielle de notre pays telle qu'évaluée par le Gouvernement est de 1,1 point de PIB alors qu'elle est, selon la Commission, de 0,8 ; quant au solde structurel qui en résulte, il est de moins 1,9 selon le Gouvernement et de moins 2,4 selon la Commission. En 2016, l'écart entre les deux évaluations s'accroît, puisqu'il est d'un demi-point s'agissant de la croissance potentielle et de 0,8 point s'agissant du solde structurel.
Comment est-il possible d'avoir un débat politique sur la situation de la France dans le cycle économique si les chiffres calculés selon les règles des traités ne font pas l'objet d'un consensus ? Nous rappelons, du reste, d'une part, que M. Padoan et un certain nombre d'autres ministres des finances européens ont entrepris une démarche pour remettre en cause le mode de calcul de la croissance potentielle et, d'autre part, que plusieurs membres de la Commission des finances ont demandé à Pierre Moscovici de revoir cette évaluation. J'en viens donc à ma première question, monsieur le secrétaire d'État. Comment peut-on piloter correctement les finances publiques de notre pays si nous ne sommes pas d'accord avec la Commission européenne sur les évaluations ?
Quatrièmement, il est fait une application très politique des règles budgétaires européennes. Nous avons en effet découvert que, contrairement à une idée reçue, il existe différentes façons d'écarter l'application stricte de ces règles. Ainsi, lorsque le Conseil européen considère que certains faits exceptionnels, qu'il s'agisse de la situation dans le cycle économique ou de chocs très particuliers, affectent l'Europe, un consensus politique se forme pour ne pas appliquer les règles. C'est ce que le Président de la République a résumé, dans son discours du 16 novembre 2015 devant le Congrès, à Versailles, en déclarant : « Le pacte de sécurité l'emporte sur le pacte de stabilité. » Un certain nombre de pays européens, notamment la Belgique et l'Italie, ont ainsi sollicité, au cours des derniers mois, la non-application de ces règles en raison de la crise migratoire et de la crise liée au terrorisme. En revanche, nous avons découvert, lors des auditions – et cela été confirmé à la fois par la direction du Trésor, la direction du budget et le cabinet de M. Sapin – que la France n'avait pas demandé que soient écartées les dépenses supplémentaires, évaluées à 1,5 milliard par la direction du budget, qu'elle a engagées en raison de ces deux crises. Pourtant, dans un contexte où l'Union européenne est fragilisée, le fait de considérer qu'un consensus politique émerge pour écarter les règles budgétaires à des moments critiques serait un merveilleux message adressé aux peuples européens.
J'en viens donc à ma seconde question, qui est une question politique car elle n'a pas de réponse juridique : pourquoi la France n'a-t-elle pas saisi l'opportunité d'avoir une lecture politique des traités européens dans le cadre du budget 2017 ?