Intervention de Marwan Lahoud

Réunion du 9 novembre 2016 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Marwan Lahoud, président du groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales :

Je vais peut-être vous surprendre. La révolution digitale est peut-être avant tout dans le profil des équipes. Le jeune ingénieur, par construction, est un data scientist, intégré dans l'univers numérique. Le problème n'est donc pas tant de savoir si l'on embauche de tels profils que de savoir si notre organisation est attractive en permettant l'adaptation des carrières, l'adaptation de l'accueil. Nous devons aussi savoir accepter le fait que le jeune ingénieur, nouvel arrivant, ne connaîtra pas une carrière similaire à la nôtre, c'est-à-dire rester dans la filière alors que des attentes se trouvent ailleurs. Il s'agit bien plus d'un changement culturel que d'un changement technologique. Le résultat fait que, aujourd'hui, le groupe Airbus, conscient de ce changement, et sa filière aéronautique, restent en France très attractifs pour les jeunes diplômés dans les domaines scientifique et technique. Nous devons tenter de comprendre comment tirer profit de cet avantage et comment retenir les nouvelles recrues.

Concernant le changement de business model, les GAFA nous ont montré que l'espace était un business alors que le modèle général, qui prévalait jusqu'alors, insistait sur une économie mixte, composée d'une part souveraine et excluant les retours sur investissement dans le domaine spatial. Or, Space X et Blue Origin ont permis de montrer que des acteurs peu philanthropes pouvaient investir dans une activité rentable. Dans le cadre du programme Ariane 6, auquel vous avez grandement contribué en 2013 dans la prise de décision, Mme Fioraso, je dirais qu'il s'agit également d'un changement de business model. Pour la première fois, l'industrie investit elle-même dans un projet de lanceur. Elle est ainsi prête à investir si le modèle économique et bon. C'est d'ailleurs pour cela que les décisions ont un peu traîné face à de vieilles habitudes, en particulier concernant le retour géographique.

Concernant l'observation spatiale, l'initiative d'Airbus consistant à lancer ses propres satellites ne vient pas d'une logique « défense » ou de « compétition défense ». Nous avons une activité « géo-information » (GEO) peu connue mais très performante : la fourniture d'images. Nous sommes l'un des principaux fournisseurs – si ce n'est le principal fournisseur – de Google en matière d'imagerie spatiale.

Il se trouve que nos concurrents américains ont accès, car l'administration américaine leur donne accès, à des images « très haute résolution » (THR). Or, quand votre concurrent dispose de telles images, il « tue » l'activité des autres entreprises. Nous devions donc réagir, ce que nous avons fait en lançant cette initiative satellite THR. Ce n'était pas du tout calculé, mais nous allons lancer cette activité car nous en avons besoin pour faire vivre notre activité GEO – pas seulement toutefois, car il y a bien un business case et un retour sur investissement dans ce domaine.

Concernant nos relations avec les armées, la vente d'images aux militaires va-t-elle se substituer à la vente de satellites d'observation ? Il reste du travail à faire – les militaires ont besoin de maîtriser totalement la programmation – mais c'est envisageable. J'insiste, il s'agit réellement d'un changement de business model. Pour reprendre ma classification, nous sommes ici dans l'innovation disruptive avec la simple utilisation d'une technologie actuelle – la THR – mais au service d'un modèle économique différent qui est le suivant : nous n'allons plus vous vendre des satellites, nous allons en conserver la propriété, mais nous allons vous vendre des images.

Sur la digitalisation, nous en sommes à la première vague. D'autres viendront. La première vague c'est surtout une révolution en matière de micro-électronique au sens large. Tous les dix-huit mois, il y a une multiplication par deux la puissance de calcul, de stockage ou de la résolution d'images, ou la division par deux du coût de la puissance de calcul. Mais pour l'instant, la révolution de l'intelligence humaine ne s'est pas produite. Le jour où on combinera ces extraordinaires moyens de calculs, de capture d'images et d'information avec de la réflexion, de l'algorithme intelligent, nous aurons franchi une étape. Pour répondre à une question qui m'a été posée, je pense que nous n'en sommes qu'au début du voyage.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion