Intervention de Stéphane le Foll

Réunion du 9 novembre 2016 à 16h45
Commission des affaires économiques

Stéphane le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement :

Plusieurs questions ont trait, en fait, à l'avenir de la PAC. Je vous ai indiqué qu'il existait, s'agissant de la réforme de cette politique, quatre pistes communes qui sont autant de points d'appui dans la discussion. Ce n'est pas rien, mais la négociation aura lieu en 2019-2020, et elle dépendra de l'actualité et des rapports de force du moment. Même s'il y a longtemps que je suis là, il n'est pas certain que ce soit moi qui négocie en 2020. Je peux néanmoins formuler des propositions afin de poser les bases d'une politique agricole organisée autour du maintien du verdissement, que certains voudraient supprimer et qui suppose que nous modifiions la façon dont on aborde les enjeux environnementaux.

Si nous voulons sortir du système de normes actuel, il faut en effet que nous passions à des modèles qui puissent être considérés comme vertueux du point de vue environnemental. De fait, si des normes ont été édictées, c'est pour lutter contre les pollutions. Prenons l'exemple de la directive sur l'eau. Lorsque j'ai pris mes fonctions, il existait un contentieux entre la France et l'Europe. Nous avons négocié, cela a été difficile, mais ce contentieux est aujourd'hui réglé : la mise en oeuvre des plans d'action est en cours. La Bretagne est d'ailleurs en train de prendre un virage très important, grâce à des mesures telles que la surveillance des flux d'azote total ou la couverture des sols. La chambre d'agriculture régionale considère désormais l'environnement, non pas comme une contrainte, mais comme un enjeu économique de la compétitivité de demain. Cela a bien changé, tant mieux ! On ne va pas s'en plaindre.

En quoi consisterait ce verdissement nouveau ? Je propose la création de zones homogènes pour lesquelles on pourrait définir des critères – taux de matière organique dans les sols, biodiversité – et des objectifs de rotation et de couverture des sols et d'utilisation de la photosynthèse. Nous proposerons, le 15 décembre, une base de travail sur ces critères. Ainsi, on pourrait fixer, pour une zone pédoclimatique cohérente et homogène, un objectif chiffré d'augmentation du taux de matière organique dans les sols au cours des cinq prochaines années. Une fois que la zone est délimitée et les objectifs définis, le verdissement accompagne la stratégie des agriculteurs. S'ils n'atteignent pas les objectifs, ils sont sanctionnés ; s'ils les atteignent, il n'y a aucune raison de les embêter en leur imposant de nouvelles normes. Grâce à la couverture des sols, non seulement on conserve la biodiversité existante, mais on en crée : acariens, nématodes, collemboles, carabes, vers de terre… En substituant des objectifs à des normes, on sortirait de la logique actuelle en passant, enfin, du contrôle a priori des moyens à un contrat sur des objectifs. Encore faut-il que les modèles de production puissent répondre aux enjeux environnementaux. C'est l'objet du débat sur la définition des critères. Le groupe de travail que j'ai évoqué collaborera pendant deux ans avec l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) sur ces sujets, afin que nous soyons prêts à faire des propositions en 2018-2019.

En ce qui concerne le CETA, les clauses de sauvegarde sont bien déclenchées au niveau européen. Elles peuvent l'être, pour l'instant, par la Commission, ce qui signifie que si l'on n'exerce pas de pressions politiques sur celle-ci, on peut parfois attendre longtemps... Ce déclenchement n'est pas automatique ; il s'agit d'une décision politique, qui nécessite donc la mobilisation du Conseil et du Parlement européens.

J'en viens à la question de l'épargne de précaution. Lorsque les prix des produits sont élevés, le système actuel d'aides forfaitaires à l'hectare – les fameux droits à paiement de base (DPB), auxquels il faut ajouter les paiements redistributifs – ne modifie pas le niveau de revenus, qui peut être très bon quand le prix de la tonne de céréales, par exemple, est de 250 euros, comme ce fut le cas en 2012. Mais lorsque ce prix chute de 100 euros, et que s'ajoute à cette baisse un rendement faible lié à une inondation ou à un problème de production, les aides ne permettent pas, dans certaines exploitations, de dégager un revenu. Il faudrait donc mettre en place un dispositif contracyclique qui permettrait d'aider les agriculteurs lorsque les prix sont bas et le rendement faible, et de diminuer les aides lorsque les prix sont hauts. C'est ce que font les États-Unis, mais ils ont un budget fédéral, voté chaque année, à la différence de l'Union européenne, dont le budget est pluriannuel et très peu flexible, de sorte qu'il nous est impossible de porter les aides de zéro à 100 d'une année sur l'autre.

Aujourd'hui, on ne vote que les dépenses du budget européen. Les recettes, quant à elles, sont décidées dans le cadre d'un accord qui fixe un cadre financier pour 7 ans. Le budget européen n'a pas de véritables recettes propres. Ses recettes sont constituées des taxes à l'importation – mais plus on signe d'accords commerciaux, plus le produit de ces taxes diminue – et, pour le reste, des contributions des États. D'où le débat sur ce que ceux-ci reçoivent en retour ; chacun se souvient du fameux : « I want my money back » de Mme Margaret Thatcher. Certains États sont contributeurs nets – ils contribuent davantage qu'ils ne reçoivent –, d'autres sont bénéficiaires nets : ils contribuent moins qu'ils ne reçoivent. Cela s'appelle la solidarité, et c'est ce dont ne veulent pas les Anglais.

Le système budgétaire européen ne permet donc pas de faire du contracyclique. C'est pourquoi nous proposons ce dispositif d'épargne de précaution. Il permettrait, lorsque les choses vont bien, de prendre une partie des aides du premier pilier de la PAC – les DPB –, pour alimenter une caisse, une provision, qui permettrait aux agriculteurs de développer des stratégies assurantielles et mutualisées afin de faire face, le cas échéant, aux pertes de revenus liées à des aléas sanitaires, économiques ou climatiques. Il s'agit bien de contracyclique : lorsque les prix sont bons, l'aide, qui n'est pas vraiment utile, est mise de côté pour créer une épargne de précaution qui peut être réutilisée quand les prix baissent. Comme on ne peut pas le faire en modulant le versement des aides, on autorise les agriculteurs à provisionner une partie de celles-ci.

Cette caisse, dont je souhaite qu'elle reste au niveau des agriculteurs, pourrait être – il faut que nous en discutions – individuelle, collective ou prendre la forme d'un système de péréquation générale. Plusieurs formules existent. Je rappelle que, dans le dispositif actuel, qui consacre 100 millions d'euros à soutenir le système assurantiel, un peu moins de 30 % des agriculteurs sont assurés. Comment amorcer le processus ? Si l'on pouvait prendre une partie des aides du premier pilier, on pourrait, par exemple, rendre cette assurance obligatoire.

J'en viens aux mesures laitières. La proposition de l'EMB consiste à créer un tunnel avec un prix plafond et un prix plancher. On peut se demander à quoi servirait un prix plafond ; je ne suis pas certain que les agriculteurs y soient favorables. Le prix plancher, quant à lui, permettrait de déclencher, lorsqu'il est atteint, un système d'intervention ou de réduction de la production. Mais la question est alors de savoir à quel niveau fixer ce prix plancher. Je ne suis pas opposé à un tel système, mais il n'y a, à l'heure actuelle, aucune majorité pour le mettre en oeuvre au niveau européen. J'ajoute que le président de l'EMB est bavarois ; or, les relations entre la Bavière et le reste de l'Allemagne sont telles qu'il n'y a pas d'accord sur ce système. Toujours est-il que, si l'on voit bien l'intérêt d'un plancher, on peut se demander en quoi le plafond est justifié et ce qui se passera s'il est atteint.

Le véritable problème réside dans le fait qu'une grande partie du lait européen est exportée hors d'Europe. En effet, une laiterie peut utiliser son lait soit en produit transformé à forte valeur ajoutée, soit en produit peu transformé, du type poudre de lait, qu'elle exporte ; c'est ce que l'on appelle un mix laitier. Plus la part de produit peu transformé est importante dans votre mix laitier, plus vous êtes sensible au prix de la poudre de lait, surtout si vous exportez. Certains développent des stratégies de qualité pour valoriser leur poudre à un niveau plus élevé en exportant de la poudre destinée au lait infantile. Mais il est difficile de définir des prix, car le producteur et l'industriel qui exportent de la poudre dépendent du prix mondial. D'où les tensions. Lorsque, sur le marché Spot Fonterra – Nouvelle-Zélande, Chine –, le prix baisse, quoi qu'il arrive, cela impacte l'Europe. Nous devons donc en tenir compte pour éviter les crises provoquées par des baisses de prix trop importantes.

S'agissant de la propriété des terres agricoles, la loi d'avenir pour l'agriculture et la loi « Sapin II » ont renforcé le rôle et la place des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER), pour leur permettre de s'intéresser aux mouvements de foncier à l'intérieur des sociétés foncières existantes. On s'est effet aperçu, dans le Loiret ou le Loir-et-Cher, qu'à l'intérieur d'un groupement foncier, les exploitants s'échangeaient des terres et les vendaient ; or cela passait inaperçu. Désormais, tout mouvement devra être justifié par la création d'un groupement spécifique, de sorte que la SAFER saura ce qui se passe.

L'enjeu de l'accès au foncier, c'est celui de l'accès à l'activité agricole de manière générale car il détermine le niveau de capital nécessaire pour pouvoir s'installer, ce capital étant constitué, en plus du foncier, des bâtiments et, lorsqu'on fait de l'élevage, du troupeau. Plus ce capital est élevé, plus sa rentabilité diminuera et plus il sera difficile pour de nouveaux agriculteurs de s'installer. Là est donc le véritable enjeu. Le foncier doit donc être le plus accessible possible et le capital nécessaire à l'exploitation doit être limité au maximum. Je pense en particulier aux bâtiments. Aux Pays-Bas et au Danemark, par exemple, où le hors-sol est très développé, avec des bâtiments très sophistiqués, les exploitants sont de plus en plus endettés. Tant qu'on leur accorde des prêts et que les taux d'intérêt sont bas, cela ira. Mais si les taux d'intérêt remontent, comme ils sont déjà surendettés, on sait ce qui se passera… Nous devons donc développer la stratégie inverse, à savoir un minimum de capital à investir, pour pouvoir installer des jeunes notamment, avec des taux d'endettement plus faibles et des besoins en fonds de roulement de départ moins importants.

Le foncier est donc un enjeu. Faut-il définir des zones de protection des terres agricoles ? Oui, cela existe dans les plans locaux d'urbanisme (PLU). Faut-il modifier en partie l'urbanisme pour consommer moins de terres agricoles ? C'est certain. C'est pourquoi nous avons créé, dans la loi d'avenir pour l'agriculture, les commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers, les CDPENAF. Ces commissions doivent émettre un avis conforme sur les zones agricoles AOP, ce qui permet d'éviter la perte de terres à forte valeur ajoutée agricole. Peut-être faudra-t-il, à l'avenir, étendre le dispositif à l'ensemble des terres agricoles. D'autres mesures existent ; je pense à la taxe sur la mutation des terres agricoles, qui nous permet de récolter environ 20 millions d'euros par an ; ce n'est pas assez. Différents outils sont donc disponibles pour nous permettre de maîtriser la consommation des terres agricoles, mais la démarche est globale. Il faut voir la pression que subissent les élus du Sud-est, notamment : la ville de Nice, par exemple, va bientôt occuper l'ensemble des vallées alentour. Toutes les villes s'étendent sur des terres agricoles qui sont souvent, de surcroît, les meilleures. En France, nous avons un avantage stratégique dans ce domaine, car nous avons encore de l'espace, contrairement à l'Allemagne ou aux Pays-Bas où il n'y a plus de sols.

Cela m'amène à évoquer le règlement sur l'agriculture bio. Je ne suis pas d'accord pour que celle-ci puisse se faire hors-sol, même sans pesticides. C'est un point très important. Je pense au maraîchage : l'agriculture verticale peut être entièrement bio. On ferme hermétiquement les bâtiments, de sorte qu'on élimine les problèmes de parasites ou de maladies ; les leds permettent de calculer la luminosité de manière à être toujours au maximum de la production du végétal, et on fait des tomates magnifiques et totalement bio ! Il faut y faire très attention, car cela pourrait être autorisé.

En ce qui concerne la pollution des cours d'eau, nous avons mis en place notre plan d'action et nous sommes sortis du contentieux, alors que l'Allemagne, elle, est en plein dedans, et pour tout le pays.

La production d'énergie par l'agriculture est un véritable enjeu. Quand j'ai pris mes fonctions, le nombre de méthaniseurs agricoles était de 90 ; aujourd'hui, nous en sommes à 150 ou 170, alors qu'en Allemagne, il y en a 4 000. Il ne s'agit pas de copier l'Allemagne, mais c'est tout de même un enjeu important. C'est à ceux d'entre vous qui sont également élus locaux que je m'adresse. La commune de Liffré, en Ille-et-Vilaine, par exemple, a intégré le méthaniseur agricole dans un contrat avec un groupement d'intérêt économique et environnemental (GIEE). En gros, ce méthaniseur est alimenté par les déchets verts de la commune et par ceux des agriculteurs, qui ont contractualisé avec elle. Ils produisent 30 % du gaz consommé à Liffré ! Ces stratégies sont les meilleures. Un méthaniseur de 150 à 500 kilowatts suffit. Les collectivités locales viennent en appui, paient notamment le raccordement au réseau, et on crée ainsi une boucle agriculture-collectivités locales très intéressante. Je vous demande vraiment d'y réfléchir.

J'en viens aux zones défavorisées simples (ZDS) en Aveyron. Je sais que des communes ont été retirées du dispositif. Je sais également que 90 % du territoire aveyronnais est en zone de montagne et, à ce titre, en ZDS – il en reste donc très peu exclu de ce zonage. Et quand j'observe une carte de l'Aveyron, elle est couverte de rouge sauf deux petites zones blanches – sans doute le GAEC qui se trouve dans la zone non couverte. Ce n'est pas moi qui ai décidé des critères géophysiques : nous avons appliqué ceux de l'INRA. Je souhaite bon courage à ceux qui vont venir me contester les critères. J'ai fait établir cette carte parce que c'était une obligation résultant d'une décision prise en 2010 au niveau européen. J'applique donc les règles tout en restant ouvert à la discussion. Et si l'on doit étendre les ZDS, nous devons disposer de critères objectifs, qu'il s'agisse de l'herbe, des chargements… Et même si nous disposons d'une certaine marge, il est évident que les communes qui étaient en ZDS auparavant ne le seront pas toutes à nouveau. J'ai demandé aux préfets d'établir, pour chaque département, des critères permettant de maintenir au maximum les zones actuelles dans le futur zonage.

Pour ce qui concerne les retraites des agriculteurs, nous aurons une réunion sur le fond le 30 novembre prochain. L'objectif fixé par le Président de la République, suivant lequel les retraites agricoles devront représenter au moins 75 % du SMIC, sera atteint. Au-delà, nous devons examiner la manière de rendre le système globalement pérenne. J'ai précisé, lors de l'examen des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » du projet de loi de finances pour 2017, que l'on tiendrait compte des vingt-cinq meilleures années – ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Mes propositions vont donc dans le bon sens. La revalorisation de la retraite complémentaire obligatoire (RCO) devait reposer sur trois éléments : les réserves du fonds de roulement de la Mutualité sociale agricole (MSA) ; la sortie des optimisations des paiements de cotisations sociales sur les structures foncières – pour une recette évaluée à 160 millions d'euros –, point sur lequel nous nous sommes complètement trompés puisque les recettes ne sont que de 20 millions d'euros ; enfin, l'augmentation des cotisations de 1,3 point à 2 points afin de financer 75 % de la RCO.

Madame Chantal Guittet m'a interrogé sur les agrocarburants. Quand j'ai pris mes fonctions, en 2012, on imputait la hausse du prix des céréales aux agrocarburants auxquels une trop grande part de la production était, disait-on, consacrée. Or si, aujourd'hui, les prix sont si bas, est-ce parce que la part de la production consacrée aux agrocarburants a baissé ? Non : et nous sommes passés de 230 euros la tonne à 120 euros la tonne. La part de la production de céréales consacrée aux agrocarburants n'est donc pas ce qui détermine le prix des céréales

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