Intervention de Cécile Untermaier

Séance en hémicycle du 15 novembre 2016 à 15h00
Déclaration du gouvernement et débat sur le décret du 28 octobre 2016 autorisant la création d'un traitement de données à caractère personnel

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Untermaier, suppléant M Dominique Raimbourg, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour procéder à l’établissement, à la délivrance, au renouvellement et à l’invalidation des cartes nationales d’identité et des passeports, ainsi que pour prévenir et détecter leur falsification et contrefaçon, le Gouvernement a souhaité mettre en oeuvre un nouveau traitement de données à caractère personnel, adossé au fichier existant, utilisé et performant des passeports, dénommé TES. Ainsi, les données personnelles et biométriques de tous les détenteurs d’une carte d’identité ou d’un passeport seront désormais compilées dans une base de données unique.

Ce décret du 28 octobre 2016 s’inscrit dans le cadre du Plan préfectures nouvelle génération, lancé en décembre 2015, qui vise à moderniser l’action publique.

Ce plan transforme les modalités de délivrance des titres : en 2017, l’instruction ne sera plus effectuée par 250 sites préfectoraux, mais par 58 centres d’expertise et de ressources titres. Le fichier accroît la dématérialisation des échanges et la lutte contre la fraude documentaire. Rapidité et efficacité sont à l’oeuvre, avec redéploiement sur des missions majeures, telles que le contrôle de légalité ou l’ingénierie de développement local.

L’ensemble, très cohérent, s’inscrit dans des actions de modernisation, de simplification et d’adaptation des services de l’État : il n’y a rien à y redire. Il faut, bien au contraire, féliciter M. le ministre de l’intérieur de ce qu’il s’emploie à moderniser un dispositif défaillant, sans lisibilité et sans traçabilité, s’agissant des cartes nationales d’identité, utile à des usagers toujours prêts à dénoncer l’absence de performance d’un tel service public.

Le bien-fondé de cette réforme a été dernièrement, et de façon légitime, remis en question en ce qu’il touche à la vie privée de l’ensemble des citoyens français. À ce sujet, une inquiétude s’exprime, que vous avez entendue, monsieur le ministre, en acceptant de débattre en commission des lois, puis aujourd’hui dans l’hémicycle. Le 22 mars 2012, on l’a dit, le Conseil constitutionnel censurait un projet de la précédente majorité, dénonçant des atteintes disproportionnées susceptibles d’être portées aux libertés individuelles.

Le fichier TES permet seulement de vérifier l’identité avancée par le demandeur d’un titre, non de rechercher l’identité d’une personne à son insu grâce à sa photographie ou à ses empreintes. En effet, l’entrée dans le fichier ne pourrait s’opérer qu’à partir des données nominatives, lesquelles permettent ensuite d’accéder aux empreintes ou à la photographie, afin de vérifier l’identité du demandeur.

Des interrogations demeurent sur la possibilité d’inverser le système et de partir de la base numérique pour aller à l’authentification. La première question que je soumets à notre débat est donc de savoir si un tel fichier donne au juge la possibilité d’obtenir une authentification, par exemple à partir de la numérisation d’un visage. Dans l’affirmative, quelles sont les garanties proposées pour empêcher une telle utilisation du fichier par un utilisateur non judiciaire ?

La seconde question, souvent posée, tient au risque de piratage. Le principe de précaution en matière de libertés individuelles nous oblige à clarifier les dispositifs pris pour prévenir un tel risque. Vous avez répondu, monsieur le ministre ; mais, sur ces questions, je vous renvoie à la proposition que je formulerai à la fin de mon intervention, en accord avec le président de la commission des lois.

Le présent débat parlementaire ne se limite pas au décret dont nous parlons : il concerne la question majeure des garanties apportées aux libertés publiques dans le cadre d’actions ainsi menées, et de la place que doivent y tenir la CNIL, le Conseil du numérique, mais aussi le Parlement. De tout cela ressort une évidence, à laquelle, j’en suis sûre, vous souscrivez : la nécessité d’un débat au Parlement ; car qui dit débat parlementaire dit débat public, et nous avons besoin de réfléchir ensemble, en toute transparence, sur cette question primordiale qui touche aux droits fondamentaux. Je pense d’ailleurs qu’il faudrait, à l’avenir, imposer la voie législative lorsque le fichier touche aux droits de l’homme ou à l’identité des citoyens, et ce en modifiant la loi du 6 janvier 1978.

Enfin, pour en avoir parlé avec le président de la commission des lois, il nous semble que l’Assemblée nationale, au-delà de ce décret, doit exercer sa compétence dans le domaine du fichage. Ce débat, qui lève objectivement des doutes et des inquiétudes, pourrait être l’occasion d’envisager la création d’une commission de contrôle composée de diverses sensibilités politiques avant la fin de l’année 2017, afin de dresser, dans un premier temps, un bilan concret, technique et objectif de l’expérimentation menée dans les Yvelines, avant de la généraliser. Plus généralement, cette commission pourrait aussi examiner, de manière concrète et annuelle, la technique du fichage, tant du point de vue des garanties juridiques que des techniques informatiques, avec l’objectif partagé et assumé de sécuriser les titres et de protéger les libertés publiques.

Pour conclure, je remercie M. le ministre pour les informations qu’il a déjà données, au fil des jours, aux parlementaires sur la question dont nous parlons ; je le remercie également d’avoir satisfait à l’exigence d’un débat, comme je remercie mes collègues, qui ont oeuvré au bien commun en soumettant le dispositif à l’hypothèse d’un gouvernement moins vertueux que le nôtre.

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