Intervention de Harlem Désir

Réunion du 25 octobre 2016 à 17h00
Commission des affaires européennes

Harlem Désir, secrétaire d'état chargé des affaires européennes :

Le Conseil européen des 20 et 21 octobre était le premier rendez-vous à vingt-huit après le sommet informel de Bratislava du 16 septembre dernier. Il importait pour la France qu'il s'inscrive résolument dans la mise en oeuvre de la feuille de route de Bratislava. C'est chose faite : les conclusions correspondent aux priorités qui avaient été fixées, en particulier sur les enjeux de sécurité intérieure et le suivi des questions liées aux migrations ; des jalons ont également été posés sur les questions économiques prioritaires, dont l'extension du plan Juncker.

La politique commerciale de l'Union européenne et les relations avec la Russie font partie des sujets qui ont été longuement débattus. Ces deux points étaient inscrits à l'ordre du jour de longue date, mais ont été rattrapés par l'actualité.

Il s'agissait également du premier Conseil européen de Mme Theresa May. Elle a renouvelé l'annonce qu'elle avait faite au congrès de son parti, au début du mois, de l'activation de l'article 50 du traité sur l'Union européenne avant la fin mars 2017. Ce sujet n'a pas donné lieu à un débat, conformément à la ligne retenue par les Vingt-sept de ne pas mettre en oeuvre de pré-négociations avant l'activation de l'article 50. Le Conseil européen s'en est donc tenu à une information par la Première ministre. Au moment où l'article 50 sera activé, commencera un compte à rebours de deux ans maximum au terme duquel le Royaume-Uni sortira de l'Union. Cela correspond au calendrier que nous souhaitions, avec une sortie avant les élections du prochain Parlement européen et la désignation de la prochaine Commission, au milieu de l'année 2019.

Sur les questions de migration et de sécurité, les conclusions du Conseil européen sont très claires. Elles reprennent le premier volet de la déclaration de Bratislava en mettant l'accent sur ses deux premiers objectifs : le contrôle de la frontière extérieure et la maîtrise des flux.

Sur le contrôle de la frontière extérieure, il faut se féliciter du lancement, le 6 octobre dernier, du corps européen de garde-frontières et garde-côtes. Il s'agit d'une avancée majeure en faveur de laquelle votre assemblée et votre commission ont souvent plaidé. Ce corps doit encore atteindre sa pleine capacité grâce au déploiement de personnels et d'équipements issus des États membres, et à la constitution d'une réserve de 1 500 personnels mobilisables d'ici à la fin de l'année.

Le Conseil européen a également rappelé les objectifs que nous devons fixer à l'Union avec des calendriers précis pour plusieurs textes.

Il souhaite une adoption rapide du code frontières Schengen révisé pour permettre le contrôle systématique et coordonné de tous les voyageurs franchissant les frontières extérieures de l'Union, y compris les ressortissants européens. Un accord existe au sein du Conseil, et ce dernier lance un appel au Parlement européen afin qu'il adopte rapidement cette législation.

Une position doit également être établie sur un système d'entrée-sortie avant la fin 2016, qui fait partie du paquet « Frontières intelligentes ».

De même, nous attendons la proposition de la Commission en vue de la mise en place du système européen d'information et d'autorisation concernant les voyages (ETIAS). Cet équivalent de l'Electronic System for Travel Authorization (ESTA), le système électronique d'autorisation de voyage des États-Unis, permettra d'enregistrer les voyageurs qui empruntent les transports aériens de l'Union européenne préalablement à leur voyage afin d'opérer des contrôles et de parer aux risques en termes de sécurité et de migration. Un accord existe également depuis plusieurs mois sur ce sujet au sein du Conseil, notamment à l'initiative de la France et de l'Allemagne. Nous sommes impatients que la Commission se prononce afin que l'examen législatif de ce texte commence.

S'agissant de la maîtrise des flux, l'enjeu est d'abord la poursuite de la mise en oeuvre de la déclaration Union européenne-Turquie de mars 2016. Les flux ont considérablement diminué en Méditerranée orientale, mais la situation reste difficile en Grèce, en raison de la saturation des centres d'accueil. Selon les autorités grecques, plus de 60 000 migrants sont actuellement bloqués en Grèce, dont 14 000 dans les îles où les procédures de retour vers la Turquie sont un peu difficiles à mettre en place. Un appel a été lancé pendant le Conseil européen afin que les États membres viennent davantage en aide au Bureau européen d'appui en matière d'asile – qui répond au nom anglais d'European asylum support office (EASO) –, et au système grec d'asile. L'appel vise aussi à ce que les relocalisations soient accélérées. Leur rythme est désormais plus soutenu, mais il demeure insuffisant. La France y prend une grande part : elle est le premier pays en termes de relocalisations depuis la Grèce avec 1 756 Syriens, Irakiens et Érythréens relocalisés depuis le 1er janvier.

La solidarité est nécessaire à l'égard des pays de première arrivée que sont la Grèce et l'Italie. Elle passe à la fois par une aide aux agences qui contrôlent la frontière – FRONTEX et l'EASO –, mais aussi par l'aide à l'accueil de ceux des réfugiés qui ont vocation à rester en Europe, c'est-à-dire par la relocalisation. Un certain nombre de chefs d'État ou de gouvernement, notamment des pays d'Europe centrale, ont voulu promouvoir l'idée que certains pays pourraient s'exonérer de cette solidarité, mais le Conseil européen ne l'a pas retenue. Pour l'instant, le cadre qui existe, c'est la relocalisation. Certains dirigeants défendent la possibilité d'apporter d'autres types de solidarité et mettent en avant le concept de « solidarité flexible ». Or cette idée n'est pas pertinente en Europe où la solidarité est le fondement de tout, qu'un partenaire soit confronté à une difficulté économique ou à des risques touchant à sa sécurité. C'est ainsi qu'après les attentats terroristes sur son sol, l'année dernière, la France a invoqué, pour la première fois, l'article 42, paragraphe 7, du traité sur l'Union européenne, déclenchant, par solidarité, une mobilisation de ses partenaires sur le plan militaire.

Depuis le début de la crise migratoire, certains pays sont plus exposés que d'autres. Les réfugiés ne souhaitent pas particulièrement s'installer en Grèce ou en Italie, mais ces deux pays subissent les conséquences de la géographie qui en fait la porte d'entrée de l'Union européenne. Ils doivent donc être soutenus et bénéficier de la solidarité des autres États membres, en particulier en matière d'accueil. En Italie, aujourd'hui, ce sont environ 160 000 migrants qui sont répartis dans des centres d'accueil disséminés sur le territoire ou dans des hotspots.

Le Conseil européen a appelé les deux partenaires à la déclaration Union européenne-Turquie au respect de leurs engagements. La Turquie doit en particulier lutter contre les réseaux de passeurs et de trafiquants d'êtres humains afin que les flux ne reprennent pas dans la mer Égée. Dans cette partie de la Méditerranée, le nombre de drames humains et de naufrages a très nettement diminué, contrairement à ce qui se passe au large de la Libye. De son côté, l'Union européenne doit continuer d'apporter une aide financière à la Turquie pour l'accueil des réfugiés syriens sur son territoire. Cette aide a déjà été fortement mobilisée : dans le cadre de l'enveloppe de 3 milliards d'euros qui avait été décidée, 400 millions environ ont été dépensés, et plus de 2 milliards ont été affectés à des projets qui doivent maintenant être mis en oeuvre.

À la demande de la France, le Conseil européen a rappelé que l'évolution en matière de visas était subordonnée au respect de soixante-douze critères, parmi lesquels une modification de la loi relative à la lutte contre le terrorisme, et à l'adoption d'un mécanisme de suspension en matière de visas plus fort que celui en vigueur. Celui-ci jouerait le rôle de clause de sauvegarde en permettant de faire face à un éventuel problème migratoire pour les pays bénéficiant d'une exemption de visa.

Le Conseil européen a également porté une attention particulière à l'action relative aux causes profondes des migrations. C'est la première fois que ses conclusions comportent autant de précisions en la matière. Une prise de conscience s'est sans doute opérée que, au-delà du contrôle des frontières et des opérations de réadmission de ceux qui n'ont pas vocation à être accueillis, l'action doit aussi porter sur le développement et la stabilité des pays d'origine et de transit des migrants – et pas uniquement des réfugiés. Il a été décidé de mettre en oeuvre des cadres de partenariat avec ces pays, en priorité avec les pays africains dont l'Éthiopie, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Nigeria. Dans le cadre de ces partenariats, l'Union entend mobiliser l'ensemble des politiques européennes liées au développement, au commerce, à l'appui sécuritaire ou à l'aide à l'accueil des migrants, y compris de ceux qui ne font que traverser un pays – le Niger est ainsi sur la route de la Libye. Il s'agit de réunir les conditions permettant le développement de l'activité économique, de l'emploi et de l'agriculture afin que les populations puissent rester sur place ; le développement aussi de coopérations en matière de sécurité entre pays africains. Il s'agit aussi d'avoir avec ces pays des accords migratoires portant à la fois sur les migrations légales, la lutte contre l'immigration illégale, les réadmissions ou encore les procédures de retour.

Dans le volet financier de cette politique d'action sur les causes profondes des migrations, un nouvel instrument est proposé : le plan d'investissement extérieur. Sorte de plan Juncker pour l'Afrique, il inciterait à mobiliser des investissements pour un continent, certes en proie à des problèmes, mais très dynamisé par une forte croissance économique et démographique. Le Conseil européen demande qu'une proposition sur les moyens d'accompagner et encourager les investissements dans les infrastructures, les équipements et la modernisation des économies, lui soit présentée le plus rapidement possible pour pouvoir adopter, d'ici à la fin de l'année, une position que les co-législateurs pourraient voter dans le courant du premier trimestre 2017. Nous sommes convaincus que l'Europe doit investir massivement dans le développement de l'Afrique : c'est l'une des grandes leçons qu'il faut tirer des événements qui se sont déroulés ces dernières années en Méditerranée.

La politique commerciale constituait le deuxième sujet inscrit à l'agenda du Conseil. Alors que les discussions devaient initialement porter sur les instruments de défense commerciale, il a beaucoup été question du CETA, sous les feux de l'actualité. Le Conseil européen a constaté qu'il y avait, sur ce dossier, un accord des vingt-sept États membres, mais qu'il manquait celui de la Belgique. Pour sa part, la France estime que de longues années de négociations ont permis d'aboutir à un bon accord. La reconnaissance des indications géographiques, l'ouverture des marchés publics, y compris subfédéraux, les garanties en matière de normes sociales et environnementales, le respect du principe de précaution, la protection des services publics, le mécanisme de règlement des différends sous contrôle public : tout cela nous convient. Certaines avancées constitueront même des références pour d'autres accords commerciaux. Nous sommes donc favorables à l'entrée en vigueur de ce traité, comme le Premier ministre l'a réaffirmé lors de son déplacement au Canada. La signature de l'accord est cependant suspendue à l'approbation de la Belgique, aujourd'hui bloquée par l'opposition de plusieurs parlements régionaux, notamment celui de Wallonie, en application des règles constitutionnelles de la Belgique.

Nous pensons qu'il est possible d'apporter des réponses aux questions posées par le parlement de Wallonie grâce à la déclaration interprétative discutée ces dernières semaines. Elle était aussi demandée par d'autres États membres, notamment l'Allemagne, après un arrêt de la cour constitutionnelle de Karlsruhe sur la nécessité de préserver le rôle du parlement national et du Parlement européen. La discussion doit donc se poursuivre avec la Belgique, et nous espérons qu'un accord sera trouvé au plus tôt. Bien sûr, se pose la question de savoir si le sommet entre l'Union européenne et le Canada, prévu pour la fin de la semaine, pourra avoir lieu. Cela semble difficile, mais un report n'équivaut pas à une annulation.

En revanche, s'agissant du Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) avec les États-Unis, nous considérons que les conditions nécessaires à un accord ambitieux et équilibré n'ont pas été trouvées. L'offre américaine est très faible notamment pour ce qui concerne les marchés publics subfédéraux ou la reconnaissance des indications géographiques, qui n'a pas fait l'objet d'une réponse de la part des Américains. Les conditions de non-réciprocité entre les entreprises américaines et françaises, et le refus des normes environnementales ne sont pas non plus des éléments propices à la conclusion de la négociation. La situation de blocage actuelle doit être dépassée pour repartir, le moment venu, sur de nouvelles bases. Il est maintenant clair que nous ne parviendrons pas à conclure cet accord avec l'actuelle administration américaine.

Ce qui se passe sur le CETA est, en tout cas, la démonstration que, dans ces négociations commerciales, la substance est plus importante que le calendrier. Les accords de commerce doivent être négociés de façon plus transparente, ils doivent être fondés sur la réciprocité, offrir toutes les garanties de respect des normes environnementales et sociales, et ne pas remettre en cause le droit à réguler des États. Sans quoi, ils ne seront ni soutenus par les parlements ni compris par les citoyens. Nous pensons que de bons accords commerciaux sont possibles et qu'en les négociant avec des exigences fortes, l'Europe peut contribuer à une mondialisation mieux régulée et mieux acceptée.

Ces éléments ont constitué la toile de fond de la discussion sur la modernisation des instruments de défense commerciale de l'Union européenne, en particulier ceux permettant de lutter contre le dumping. Chacun est, par exemple, conscient de l'impact extrêmement fort sur l'emploi en Europe des surcapacités internationales de la sidérurgie, notamment celles de l'industrie chinoise. Le débat a porté en particulier sur la règle du droit moindre, le « lesser duty rule », que l'Europe ne met pas en oeuvre contre le dumping, mais qui est parfaitement applicable dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Les États-Unis l'utilisent, par exemple, pour porter leurs droits de douane à 200 %, alors qu'en Europe, les hausses ne dépassent pas 25 %, l'Union disposant d'autres outils de défense commerciale. Dans ce domaine, plusieurs textes législatifs sont en cours d'examen, mais certains États membres, dont la France, souhaitent que le dispositif européen actuel soit vraiment renforcé, d'autant que la question se posera avec la Chine dans les mois qui viennent. Le Conseil européen a fixé comme objectif la conclusion rapide, d'ici à la fin 2016, d'un accord sur cette modernisation.

Les relations entre l'Union européenne et la Russie figuraient parmi les questions importantes à aborder lors de ce conseil. Initialement, la discussion devait être d'ordre général et porter sur le type de partenariat à instaurer avec la Russie, le renouvellement des sanctions liées à la situation en Ukraine n'étant prévu que pour le mois de décembre. Mais l'urgence de la situation à Alep l'a emporté. Le Conseil européen a envoyé un message extrêmement clair : il condamne avec force les attaques perpétrées par le régime syrien et ses alliés, notamment la Russie, contre des civils à Alep ; il déclare que ces atrocités doivent cesser, qu'un processus humanitaire doit être mis en place le plus rapidement possible et que les populations civiles doivent pouvoir y accéder de toute urgence ; il indique qu'un arrêt des combats est nécessaire – et pas seulement une trêve de quelques jours –, et qu'un cessez-le-feu créera les conditions propices à l'ouverture de négociations relatives à une transition politique en Syrie. Le Conseil a insisté avec force : « Ceux qui se sont rendus coupables de violations du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l'homme doivent répondre de leurs actes. L'Union européenne envisage toutes les options disponibles, si les atrocités commises actuellement devaient se poursuivre. » Mme Federica Mogherini, la Haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a été mandatée, avec la Commission, pour mettre en oeuvre une initiative humanitaire d'urgence et des évacuations sanitaires.

Concernant l'Ukraine, le Président de la République française et la Chancelière allemande ont rendu compte des résultats de la réunion qui s'était tenue en format Normandie, le 19 octobre, à Berlin, avec le Président Poutine et le Président Porochenko. Elles ont été très difficiles, compte tenu des relations entre l'Ukraine et la Russie. La décision a toutefois été prise de poursuivre la mise en oeuvre des accords de Minsk et de continuer le travail dans un même format de négociation avec une feuille de route portant sur l'organisation des élections locales, la sécurité des observateurs de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), l'adoption du statut décentralisé des régions de l'est de l'Ukraine, et le contrôle du cessez-le-feu. Au mois de décembre, la question reviendra au Conseil européen sous l'angle de la reconduction éventuelle des sanctions sectorielles à l'égard de la Russie.

Sur la relation générale avec la Russie, les diverses interventions ont été marquées par des inquiétudes concernant ce qui se passe en Europe : survols aériens, cyberattaques, campagnes de désinformation. Le Conseil dit « oui » à un partenariat avec la Russie, mais en faisant face avec fermeté et unité à une réalité en matière de sécurité. Ce débat reviendra au mois de décembre.

Enfin, le Conseil européen a salué la ratification par l'Union européenne de l'accord de Paris, issu de la COP21, qui a permis que ce texte entre en vigueur. La dynamique ainsi lancée doit se poursuivre avec une ratification par l'ensemble des États membres dans les plus brefs délais.

L'ordre du jour du Conseil portait sur une partie de « l'agenda de Bratislava ». Une autre partie sera évoquée lors du Conseil européen du mois de décembre, notamment tout ce qui concerne l'agenda de la défense. Un travail préalable est en cours, et une réunion des ministres de la défense et des affaires étrangères sera consacrée à des sujets tels que les états-majors, les financements ou les bases industrielles de défense. Nous souhaitons que cette autre partie de la feuille de route de Bratislava fasse aussi l'objet de décisions.

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