Intervention de Harlem Désir

Réunion du 25 octobre 2016 à 17h00
Commission des affaires européennes

Harlem Désir, secrétaire d'état chargé des affaires européennes :

S'agissant des normes sanitaires et de leur harmonisation, le marché intérieur et la politique agricole commune (PAC) ont, en principe, vocation à mener cette dernière à bien, même si des différences peuvent subsister d'un État membre à l'autre, notamment en cas de surtranposition des directives européennes. Servons-nous des normes européennes pour que ceux-ci soient des étalons ou éléments de benchmarking, sur le plan sanitaire ou phytosanitaire, dans les négociations internationales, pour conclure des accords de libre-échange ou dans le cadre de l'OMC.

Le monde agricole connaît cependant des difficultés. En face des crises agricoles, le ministre de l'agriculture s'est mobilisé pour que des aides exceptionnelles soient versées au secteur, mais aussi pour que des mesures soient prises afin de mieux maîtriser l'évolution du marché. Nous espérons qu'elles vont aboutir et qu'elles permettront de sortir durablement de la double crise du lait et du porc.

Monsieur Pueyo, vous soulignez que le plan d'investissement en Afrique produira ses effets sur le long terme, mais que nous sommes confrontés à des crises d'urgence et qu'il y a encore des naufrages en Méditerranée centrale. C'est bien le signe que les problèmes ne sont pas derrière nous, qui tiennent notamment à l'effondrement de la Libye, en proie à une crise interne à la résolution de laquelle nous travaillons avec nos autres partenaires. Les problèmes tiennent aussi aux causes même de l'immigration : tant qu'il y aura des guerres, des dictatures, du sous-développement et de la misère, nous observerons des tentatives de traversée de la Méditerranée.

Il faut donc lutter contre les passages illégaux, à l'origine de tant de drames et de naufrages, et cela passe en particulier par l'accord qui a été conclu avec la Turquie. Il n'existe pas d'équivalent avec la Libye, car cet État n'offre pas les mêmes garanties. C'est pourquoi les trafics continuent entre la Libye et l'Italie, et que l'on voit encore, au large des côtes italiennes, notamment de Lampedusa, des scènes de naufrages, des drames et des morts, comme ceux qui se produisaient en mer Égée avant l'accord UE-Turquie. On sait d'ailleurs, par les témoignages des migrants et réfugiés recueillis au large de l'Italie par les marines de l'Union européenne, qu'ils subissent de la part des réseaux de passeurs des traitements indignes, une quasi-mise en esclavage, des violences très graves à l'égard des femmes sur le territoire même de la Libye. Grâce à un mandat élargi, l'opération Sophia de l'EUNAVFOR MED arraisonne les bateaux de passeurs, secourt les migrants et remonte les filières des trafics de tout type, notamment d'armes. À cette fin, nous coopérons également avec les pays du Sahel, en particulier le Niger.

L'accord entre l'Union européenne et la Turquie a fait l'objet de votre part de diverses réactions : M. Richard a exprimé le désaccord de son groupe ; Mme Chabanne a repris les nombreuses remarques relatives aux droits de l'homme, au droit d'asile, à la situation des réfugiés dans les camps en Turquie qui avaient pu être formulées. S'il faut tenir compte de ces remarques, un premier bilan permet de constater que l'on est passé de 2 000 à 2 500 traversées quotidiennes de l'Égée par des migrants avant l'accord du mois de mars, à 80 par jour aujourd'hui. Nous ne sommes donc plus du tout en face du même type de trafic et il y a substantiellement moins de naufrages et de drames au large des îles grecques. C'est pourquoi le Conseil européen a souligné que les engagements doivent être tenus par les deux parties.

L'accord prévoit que, même secouru par la marine européenne, un migrant ne peut monter plus haut en Europe. La route des Balkans lui est barrée, du fait de la fermeture par la Macédoine de sa frontière avec la Grèce. Il est renvoyé en Turquie où, dans le cadre du programme de réinstallation, il peut déposer sa demande auprès de l'UNHCR ou des bureaux établis par les États membres de l'Union européenne : telle est la voie de l'accueil en Europe. Toutefois, beaucoup de réfugiés veulent vivre près de la Syrie, en Jordanie, au Liban et en Turquie. C'est là que nous leur apportons du secours, en aidant ces États à leur assurer des conditions de vie correctes, dans des camps ou dans les villes. Le ministre des affaires étrangères Jean-Marc Ayrault s'est ainsi rendu dans la ville comme dans le camp de Gaziantep, qui accueille beaucoup de réfugiés. L'accord avec la Turquie fonctionne donc, même s'il fut difficile à négocier et reste difficile à mettre en oeuvre. Il était, en tout cas, nécessaire, car il a permis d'interrompre le trafic.

Il faut néanmoins aider la Grèce à faire face aux migrants arrivés sur son territoire avant la conclusion de l'accord avec la Turquie. Un goulet d'étranglement s'est formé après la fermeture de la route des Balkans. Plus de 60 000 réfugiés, notamment Érythréens et Syriens, largement éligibles à l'asile, y sont concernés par le programme de relocalisation. D'autres migrants ne relèvent pas du droit d'asile et seront, selon les termes de l'accord UE-Turquie, renvoyés en Turquie, où nous sommes attentifs à ce que leurs droits soient respectés. D'autres encore seront renvoyés dans leur pays d'origine en vertu d'accords de réadmission que la Grèce peut avoir avec différents pays.

L'accord UE-Turquie doit fonctionner dans le respect du droit d'asile. Un examen individuel des dossiers doit être effectué pour tous les Syriens qui sont arrivés en Grèce, même après le mois de mars, avant qu'ils soient éventuellement renvoyés en Turquie. Très peu ont été l'objet de retour en Turquie, monsieur Richard, puisque vous m'avez interrogé sur un bilan chiffré. La procédure d'asile est très longue, mais le signe est d'ores et déjà passé que ce n'est pas une façon de pouvoir arriver en Europe. Pour ceux qui étaient là avant la signature de l'accord et qui ne peuvent être renvoyés en Turquie, 5 953 relocalisations ont eu lieu dans les autres pays de l'Union européenne, 4 637 depuis la Grèce et 1 316 depuis l'Italie. La France en a été la première destination, à hauteur de 1 756 migrants, soit 40 % des relocalisations en provenance de la Grèce. D'autres États membres se sont engagés à adopter un rythme plus soutenu pour ces relocalisations.

Avec la Turquie, le système de réinstallation repose sur le système du un pour un : pour chaque Syrien renvoyé de la Grèce vers la Turquie, l'Europe accueille un Syrien. Au-delà, l'Union européenne s'est engagée à accueillir plusieurs milliers de réfugiés déjà présents en Turquie. Non moins de 10 695 personnes ont ainsi été réinstallées dans vingt États membres, dont 1 694 dans le cadre de l'accord entre l'Union européenne et la Turquie. La France a réinstallé 664 personnes, dont 228 en provenance de Turquie, 243 en provenance du Liban et 193 en provenance de Jordanie.

Au système de migration non contrôlé, illégal et meurtrier se substitue un système de gestion des réfugiés qui soit aussi protecteur de leurs droits que de leur sécurité.

Pour les gardes-frontières, madame la présidente, la contribution de la France devrait s'élever à 170 personnes sur les 1 500 de la réserve mobilisable à l'échelle européenne. Le Conseil européen a demandé à ce que tous soient près pour la fin de l'année, ce qui sera le cas pour notre contingent. Il s'agit en général d'agents issus de corps comparables à ceux de notre police de l'air et des frontières. Porteront-ils le même uniforme ? A priori non. Les uniformes différeront selon le pays contributeur mais seront complétés par un bandeau qui permettra une identification commune, comme cela se pratique pour les opérations de l'ONU.

S'agissant de la guerre en Syrie, la France oeuvre à une résolution politique du conflit, d'abord aux Nations unies. Elle a aussi abordé le sujet à Berlin, après la réunion en format Normandie sur l'Ukraine, pour tenter de faire revenir la Russie sur le veto qu'elle a opposé de façon scandaleuse à la résolution française proposée au Conseil de sécurité, tendant à garantir l'accès à l'aide humanitaire aux populations civiles, et pour qu'elle accepte de reprendre une négociation politique. Une réunion à Londres et quelques autres n'ont pas encore débouché.

À propos des méthodes différentes à suivre pour la conclusion des accords de commerce, vous avez raison, madame Karamanli. De tels accords sont en discussion avec le Mercosur, le Japon et plusieurs pays de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN). Il importe d'associer davantage les parlements nationaux et la société civile à la conclusion de ces accords, dès le stade de la définition du mandat de négociation. La France, au demeurant, a toujours demandé que ces mandats soient publics, sachant qu'ils font, de toute façon, toujours l'objet de fuites. Nous considérons, en effet, que la transparence est importante en ces matières, car il ne s'agit plus seulement de droits de douane et de quotas. Ce sont maintenant des réglementations concernant des services ou des questions sensibles touchant aux normes environnementales, sanitaires et sociales qui peuvent être remises en cause. Puisque les parlements sont saisis pour ratification de l'accord à la fin du processus, autant diffuser, au cours de la négociation, les informations expliquant les bénéfices et garanties pouvant être attendues, les contreparties apportées et les éléments de réciprocité.

En ce qui concerne le plan en faveur de l'Afrique, j'ai tracé un parallélisme avec le plan Juncker parce que les projets seraient garantis par le budget de l'Union européenne et par des engagements de la Banque européenne d'investissement (BEI), qui peut agir hors de l'Union européenne, quoique dans des proportions limitées de son bilan, ce qui peut être amené à évoluer. D'autres outils sont à notre disposition. C'est ainsi que nous encourageons des initiatives privées et publiques en Afrique, dans les domaines de la transition énergétique, de l'agriculture, des infrastructures de transport et dans le secteur industriel. Tous ces domaines sont générateurs d'emplois, ce qui dessine d'importantes perspectives de développement économique nécessaires pour accompagner la lutte contre les migrations – puisque c'est ce qui pousse l'Union européenne à s'engager davantage dans l'économie africaine.

Madame Chabanne, vous dites avec raison que le conflit en Syrie est le plus meurtrier de ces dernières années, avec 300 000 morts. Il est aussi très long puisqu'il dure depuis 2011. Il a amené une proportion considérable de la population syrienne à se réfugier dans les pays voisins, une petite partie venant se réfugier en Europe. La France veut inscrire son soutien dans le cadre plus large des contributions internationales, car les États-Unis et le Canada, mais aussi l'Australie, ont eux aussi un rôle à jouer.

La plupart des réfugiés se trouvent cependant dans les trois pays voisins de la Syrie. C'est là qu'un grand effort doit être fait sur les conditions de vie dans les camps et sur le respect des droits de l'homme. Avec le HCR, avec les ONG européennes et non européennes, nous travaillons pour assurer de bonnes conditions aux Syriens réfugiés en Turquie. Certes, des problèmes existent, mais je souligne que c'est la Turquie qui accueille le plus de réfugiés syriens. Nous conduisons avec elle un débat très ferme sur le respect des droits de l'homme. Si Jean-Marc Ayrault a indiqué, lors de son déplacement, que la France reconnaissait la légitimité du pouvoir turc à lutter contre les auteurs de la tentative de coup d'État, il a précisé que cela ne pouvait pas se faire en condamnant ou en mettant en prison des fonctionnaires de l'éducation nationale ou d'autres services qui n'avaient rien à voir avec l'exécution du coup d'État. En tout état de cause, les réfugiés se rendent en Turquie, ou d'ailleurs en Jordanie ou au Liban, parce qu'ils considèrent qu'ils s'y trouvent en sécurité.

Monsieur Pueyo, vous avez évoqué les risques de remise en cause de l'accord entre l'Union européenne et la Turquie. Les membres du gouvernement turc veulent seulement que l'Union européenne respecte ses engagements. Mais la facilité financière de 3 milliards d'euros est bien là, et les réinstallations suivent leur cours. Dans l'accord sur les visas, il n'y a pas d'automaticité ; il est soumis à certaines conditions qui sont claires depuis le début : les soixante-douze critères pour la Turquie et, pour ce qui concerne l'Union elle-même, l'adoption d'une clause de sauvegarde révisée.

Quant à la situation à Mossoul, madame la présidente, l'État islamique, qui y recule, doit être combattu et battu. Ses combattants reviendront vers leur pays d'origine, et donc parfois en Europe. Tout cela est, bien sûr, l'objet d'une très grande vigilance. Les civils restent un sujet de préoccupation pour les forces de la coalition. Il y a un risque et même une probabilité qu'ils cherchent refuge hors de la ville, ce qui a été identifié comme un très gros problème à anticiper, en termes d'abri, de sécurité, de logement et de nourriture, car il s'agira d'accueillir jusqu'à la moitié de la population de Mossoul au cours des prochaines semaines et des prochains mois. Avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, des places ont donc été prévues dans les environs de Mossoul pour non moins de 750 000 réfugiés. L'Union européenne participe beaucoup au financement et à l'organisation de cet accueil humanitaire des populations civiles.

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