Intervention de Marc Mortureux

Réunion du 9 novembre 2016 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Marc Mortureux, directeur général de la prévention des risques :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de nous donner l'occasion de revenir sur les inondations du mois de juin dernier. Cette culture du retour d'expérience, qui commence d'ailleurs à bien se développer, permet de tirer les leçons de ce type d'événement.

Je suis directeur général de la prévention des risques au ministère de l'écologie, à la fois des risques naturels et technologiques. Le service central d'hydrométéorologie et d'appui à la prévention des inondations (Schapi), basé à Toulouse sur le campus de Météo-France, pilote le réseau de la prévention des crues et de l'hydrométrie. Le réseau Vigicrues informe, en temps réel et de façon permanente, sur l'état de 22 000 kilomètres de cours d'eau, la hauteur et éventuellement le débit.

Un mot sur l'événement que j'ai vécu du lundi 30 mai au dimanche 5 juin. La gestion de crise a été décidée, avec la ministre Ségolène Royal, à partir du mardi matin et tous les dispositifs du Schapi ont été mis en oeuvre. Les prévisions étaient actualisées au moins deux fois par jour. Un premier point presse était fait en fin de matinée, et un autre avait lieu systématiquement à dix-sept heures, afin de donner des informations le plus rapidement possible et de façon la plus transparente.

Je vous rappelle les faits : le mois de mai a été très pluvieux et il y a eu beaucoup d'orages le week-end du 28 et 29 mai. Le lundi et le mardi suivants, la pluie est tombée en continu. Aussi les terrains étaient-ils complètement saturés. On a donc connu une crue exceptionnelle de certains affluents de la Seine, en particulier du Loing, et de petits cours d'eau comme l'Essonne, l'Orge et l'Yvette, avec des niveaux qui ont dépassé toutes les références que nous avions, même la fameuse crue de 1910 en ce qui concerne le Loing. Tout cela a contribué à faire monter le niveau de la Seine qui a atteint 6,10 mètres au pont d'Austerlitz, à Paris, le matin du samedi 4 juin. Ce chiffre est à comparer aux 6,18 mètres enregistrés en 1982, malgré tout très loin de la crue de 1910 où l'on avait atteint 8,62 mètres, soit 2,5 mètres de plus. Si ce niveau n'a pas été atteint, c'est parce que l'Yonne et la Marne, qui sont pourtant des affluents très importants, ont été en crue de façon modérée. Il faut savoir que le dimanche 29 mai, le niveau de la Seine était de 1,04 mètre, niveau assez classique à cette époque de l'année, et qu'il est montré très rapidement, de 1,60 mètre en une seule journée, le mardi. Contrairement à ce qui avait été dit, la montée et la descente ont été très rapides.

On a parlé de Paris et de l'Île-de-France, mais il ne faut pas oublier le Loiret, le Cher et ses affluents, avec une mise sous surveillance pendant plusieurs jours de la digue de Villandry parce que la cote de sécurité avait été dépassée. Des évacuations préventives ont eu lieu en prévision de la rupture de cette digue.

Les inondations ont concerné d'autres pays que la France, et notamment l'Allemagne. Le préjudice au plan économique est évalué à environ 1 milliard d'euros, montant un peu plus élevé encore en Allemagne. C'est le plus fort préjudice sur un événement donné depuis la mise en place du dispositif catastrophe naturelle, CATNAT. Nous avons déploré quatre morts sur l'ensemble de la période, directement ou indirectement liés à ce phénomène, y compris l'épisode orageux dans le nord de la France où un automobiliste s'est noyé en empruntant une route inondée. Enfin, on a recensé environ 20 000 évacuations, ce qui est important.

On a estimé le montant des dégâts d'une crue du type de celle que l'on a connue à Paris en 1910 entre 20 et 40 milliards d'euros. Aussi, si les inondations de ce mois de juin ont été de grande ampleur, les dégâts auraient pu être bien plus lourds. Sur le plan météorologique, Jean-Marc Lacave vous dira peut-être qu'il n'est pas du tout impossible d'envisager des phénomènes sensiblement plus importants.

Ces inondations ont eu la spécificité d'être causées par beaucoup de petits affluents qui ne sont pas tous équipés de dispositifs de surveillance. De plus, ces cours d'eau ne sont pas, pour l'essentiel, dans des territoires à risque important inondation (TRI). Dans le cadre de la directive européenne relative à l'évaluation et à la gestion des risques d'inondation, 122 TRI ont été identifiés. Or il se trouve que la plupart des endroits qui ont été le plus touchés – Montargis, Nemours, Romorantin etc. – ne sont pas à l'intérieur des périmètres qui ont été décrits. Ce n'est pas une surprise en soi parce que ces TRI ont été surtout dimensionnés par rapport au risque d'inondation et à l'ampleur de la population susceptible d'être touchée. Toutefois, cela nous interpelle de savoir que les endroits qui ont été le plus durement affectés ne sont pas dans ces territoires à risque important inondation.

Ce phénomène a eu également pour spécificité d'être assez rapide et d'intervenir assez tard dans l'année, avec des conséquences importantes sur le plan agricole. De plus, à cette époque, les barrages réservoirs qui sont bien en amont de l'agglomération parisienne sont à peu près pleins puisqu'ils servent aussi à l'étiage, à entretenir le débit des cours d'eau. Du coup, ils ne peuvent plus jouer le rôle d'écrêtage des crues. Sachant que les pluies sont tombées surtout en aval de ces barrages réservoirs, ils n'auraient pas de toute façon forcément joué un rôle majeur. Mais il faut tout de même prendre en compte cette spécificité.

Un mot sur la gestion de crise que j'ai pu vivre d'assez près pendant toute la semaine. J'ai été assez impressionné par la qualité de la mobilisation de tous les acteurs sur le terrain – collectivités locales, services de l'État, opérateurs privés. Mais il faut savoir que, si le phénomène avait été beaucoup plus important, nous aurions été aux limites, en termes de ressources humaines, pour assurer la surveillance de toute une série de digues, de points sensibles. Tout cela repose en fait sur un nombre de personnes relativement limité. Je pense qu'il en est de même au niveau des communes. En l'occurrence, s'agissant de l'épisode lui-même, je trouve que les choses se sont bien passées, notamment le déclenchement des vigilances par Météo-France, soit au titre des phénomènes météorologiques, soit au titre des prévisions de crue des cours d'eau. Dès qu'un tronçon de cours d'eau est déclaré, dans le cadre de Vigicrues, en vigilance jaune, orange ou rouge, le département est automatiquement placé par Météo-France en vigilance jaune, orange ou rouge. Globalement, lorsque l'on reprend le séquencement de ces différentes journées, on voit que le passage à un niveau de vigilance a eu lieu au moins vingt-quatre heures avant l'arrivée des événements. Au début du phénomène, il est clair que les préavis sont extrêmement courts. Par exemple, pour Montargis, le Loing amont est passé en vigilance jaune le dimanche, orange le lundi et rouge le mardi matin. Dès le lundi soir, il y avait déjà beaucoup de dégâts. Certes, les premières villes touchées ont été prises de court, mais après, en aval, l'information est bien passée – elle était très médiatisée. En tout cas, il n'y a pas eu d'erreur manifeste, me semble-t-il, même si des questions se posent sur la prévision.

Quand nous nous sommes mis en gestion de crise le mardi matin, je dois avouer que nous n'anticipions pas malgré tout un phénomène de cette ampleur et nous n'avions pas d'éléments d'analyse permettant de prévoir un tel événement.

Toute une série de retours d'expérience sont en cours. Des missions ont été confiées au Conseil général de l'environnement et du développement durable (GEDD), et dans les départements chaque préfet a coordonné un exercice de retour d'expérience. Dès le début du mois de juillet, un premier bilan a eu lieu avec l'ensemble des acteurs, avec un sentiment assez partagé que tout s'est plutôt bien passé. Mais, je le répète, si le phénomène avait été de plus grande ampleur, tout aurait été bien plus compliqué. Si les réseaux d'électricité, des télécoms, etc. qui sont vitaux pour notre vie quotidienne, avaient été touchés, la gestion de l'événement aurait été infiniment plus complexe.

Quant au dispositif Vigicrues, il a bien fonctionné. Mais on a vu que certains cours d'eau, qui ne sont pas surveillés, ont été à l'origine de beaucoup de problèmes, ce qui nous interpelle. Actuellement, le dispositif surveille 22 000 kilomètres de cours d'eau – je rappelle qu'il y en a plus de 100 000 de plus d'un mètre de large. On ne peut probablement pas tout gérer de façon centralisée. Peut-être faut-il travailler avec les communes, les syndicats de communes, ce qui permettrait une complémentarité avec le dispositif national.

Il est nécessaire également de mieux fiabiliser certaines stations de mesure. Le vendredi matin, à moins de vingt-quatre heures du sommet de la crue, est survenu en effet un petit incident sur la station clé du pont d'Austerlitz, probablement lié à des déchets qui ont faussé la mesure du capteur de pression. Nous nous sommes retrouvés avec un décalage de trente centimètres, qui a été vite découvert parce que nous avons des lectures directes, mais qui a généré un peu d'émoi sur le moment, sachant que toute la prévision ne se fait pas sur une seule mesure. Nous avons donc déjà mené un travail pour renforcer, avoir des redondances sur les stations de mesure les plus critiques. Quant à la modélisation elle-même, il reste du travail à faire. Nous avons bien vu qu'il y avait un certain nombre d'incertitudes puisque chaque fois que nous faisions tourner les modèles, nous obtenions des fourchettes un peu différentes. Il y aura toujours des incertitudes ; c'est inévitable. Des progrès sont certainement possibles sur la modélisation pour améliorer la prévision à vingt-quatre heures et se projeter un peu plus loin, sachant que ce n'est pas toujours facile parce que les scénarios sont différents à chaque fois.

Nous avions eu la chance de réaliser, au mois de mars, l'opération Sequana, cet exercice de grande ampleur de simulation d'une crue majeure de la Seine. Il est clair que cela a aidé la gestion de l'événement. Il y a eu des réflexes et coordination des différents opérateurs. J'insiste sur l'importance d'effectuer des exercices. Les plans communaux de sauvegarde (PCS) sont absolument indispensables, et il faut les tester concrètement et les réviser régulièrement. Peut-être faut-il aussi simplifier dans un certain nombre de cas et s'assurer de leur caractère opérationnel.

La question de la fragilité d'un certain nombre d'ouvrages se pose également. Une digue sur le canal de Briare qui appartient à Voies navigables de France (VNF) a rompu en amont de Montargis. Il semble que cela ait généré quelques centimètres supplémentaires pendant un certain temps. Cela pose la question de l'entretien de toutes ces digues sur l'ensemble du territoire et de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations (GEMAPI) dont la responsabilité est désormais confiée aux intercommunalités. La responsabilité des digues et de leur entretien est un élément important dans le dispositif de prévention des inondations.

À Nemours, l'odeur des pollutions par les hydrocarbures a été spectaculaire. Là aussi, il est clair qu'il faut effectuer un travail en amont pour voir comment réduire la vulnérabilité des territoires. Les cuves, les fûts qui se renversent et occasionnent des pollutions aux hydrocarbures sont un vrai problème, de même que la génération des déchets. Nous avions déjà travaillé sur ces problématiques, et un certain nombre d'organismes sont venus apporter leur aide. C'est un sujet complexe dans l'après crise pour les communes.

Nous avions plutôt bien géré l'information des sites industriels Seveso pour mettre en sécurité les sites susceptibles d'être inondés. Dans ce cadre, un travail important a été effectué.

Les plans de prévention de risques des inondations (PPRI), qui sont élaborés par l'État avec les collectivités locales, visent à imposer un certain nombre de contraintes en matière d'urbanisme dans les zones particulièrement exposées aux risques inondation. Il est nécessaire de revoir un certain nombre de ces plans parce que les hypothèses qui avaient été retenues ont été dépassées.

Lorsque de tels événements surviennent ou lorsque l'on identifie qu'ils peuvent se produire quelque part, il faut apprendre à construire autrement, c'est-à-dire prendre en compte le risque inondation dans l'aménagement du territoire. La ministre a lancé un grand prix d'aménagement pour apprendre à innover dans les procédures d'aménagement, afin de créer des territoires où la vulnérabilité sera fortement réduite. Il existe des dispositifs tout simples, par exemple veiller à installer les postes électriques suffisamment en hauteur, ce qui aura des conséquences moindres, sur les plans humain et économique, même si le territoire est inondé. C'est une dimension très importante qu'il faut prendre en compte pour le futur.

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