Intervention de Jean-Marc Lacave

Réunion du 9 novembre 2016 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jean-Marc Lacave, président de Météo-France :

Mesdames, messieurs les députés, je vous prie de m'excuser car je vais devoir vous quitter à onze heures. Mais comme je ne veux pas frustrer les échanges, Olivier Rivière sera là pour représenter Météo-France.

M. Marc Mortureux vous ayant donné beaucoup d'informations, je serai plus succinct en ce qui concerne la description du déroulement de l'événement et je vous parlerai du seul point de vue de Météo-France.

Les six premiers mois de l'année 2016 ont connu une pluviométrie très excédentaire sur la moitié nord du pays – en moyenne 30 % de pluies supplémentaires, avec des records de pluie dès janvier et février dans le nord de la France. Seul le mois d'avril a connu une situation normale. Quant au mois de mai, il a été tout à fait exceptionnel puisque c'est le mois le plus pluvieux depuis 1959 en Bourgogne, Centre-Val de Loire, Île-de-France et Picardie. À Paris, on a battu le record de 1873, début des recensements de pluie, et à Romorantin celui de 1922.

Le mois de mai lui-même a été haché entre plusieurs périodes. Les pluies ont été abondantes du 20 au 22 mai puis elles se sont calmées le lundi, le mardi et le mercredi, avant de reprendre le jeudi 26 et le vendredi 27. Les pluies ont été très abondantes le samedi 28 et le dimanche 29 puis exceptionnelles le lundi 30 mai.

Le cumul des précipitations sur le mois de mai a été à peu près normal jusqu'au jeudi, et c'est à partir de cette date que le cumul du mois de mai est devenu très supérieur à la normale constatée.

D'un point de vue purement météorologique, on était dans un régime de dépression en provenance de l'Atlantique assez normal en cette période de l'année. Si l'on rencontre d'ordinaire ce type de régime plutôt à la fin de l'hiver, il arrive souvent que le pays soit traversé, au printemps, par un régime dépressionnaire avec en même temps de l'air chaud et humide en provenance du sud de l'Espagne. La combinaison de cet air chaud et humide et de ces dépressions entretient des phénomènes de précipitations abondantes et continues. Ce qui est particulier cette fois, c'est que la dépression se bloque, trouve un point d'équilibre, si j'ose dire, sur l'Allemagne pour des raisons physiques. Cette dépression fait donc du surplace, le noyau de pluie est plutôt stable, peu mobile. On a des retours de pluies qui arrivent continûment, notamment le dimanche et le lundi, de l'Allemagne et du Benelux, par le phénomène de rotation de l'atmosphère.

Ce qui aggrave les choses, c'est que depuis le début de l'année, notamment depuis le début du mois de mai, les sols sont largement saturés, le week-end précédent n'ayant évidemment pas arrangé les choses. Cet air chaud et humide combiné à la dépression donne des intensités parfois remarquables. Ce qui sera exceptionnel, ce n'est pas tellement la pluie instantanée en intensité comme cela se produit avec un orage, dans un épisode cévenol par exemple, mais le cumul sur cinq jours, du jeudi au lundi, la pluie n'ayant jamais dépassé les seuils de vigilance rouge. Le lundi, jour où il a le plus plu, n'a pas connu une intensité exceptionnelle – il y a déjà eu des seuils de cette nature à cette période de l'année. Simplement il se trouve que cette cinquième journée s'additionne aux quatre jours précédents. On atteint alors un cumul tout à fait exceptionnel.

J'en viens aux prévisions. Le mercredi précédent, nous n'avions pas de signal suffisamment robuste sur un phénomène remarquable. Nous utilisons un certain nombre de modèles : des modèles globaux à l'échelle de la planète, un modèle européen, lui aussi à l'échelle de la planète, qui est de grande qualité – c'est souvent un élément de référence qui nous aide dans nos analyses–, et nos modèles à maille fine. On a identifié le blocage de la dépression sur l'Allemagne le jeudi, mais il y avait beaucoup d'incertitudes quant à la position exacte et l'intensité des pluies qui allaient en découler. Nous avons signalé l'événement de façon officielle à partir du jeudi. Le dimanche, nous avons eu confirmation du phénomène, convergence des modèles numériques sur la position de la dépression, mais nous avions encore des incertitudes sur son intensité, sa localisation et sa durée. Ce n'est que le lundi, c'est-à-dire le jour où il pleut beaucoup, que les modèles convergent sur la localisation, l'intensité et l'axe du cumul des précipitations. On voit bien que ce sont des phénomènes encore difficilement appréhendés avec beaucoup d'anticipation sur les modèles numériques, du fait des limites mêmes de nos puissances de calcul. Nous savions qu'il allait se passer quelque chose, mais la difficulté c'était de savoir où et avec quelle intensité exactement.

En même temps que nous suivions nos modèles, nous avons fait nos premières communications. Il existe en fait deux types de communication : les communications régulières et les communications exceptionnelles en fonction des événements. Nous publions des bulletins de précipitations deux fois par jour. Le premier bulletin produit à sept heures du matin le samedi 28 donne la quantité de pluie dans les deux jours à venir. Nous nous rendons alors vraiment compte que nous entrons dans des phénomènes de cumuls exceptionnels. Aussi passons-nous de la production régulière à la production exceptionnelle de crise avec un outil qui est non plus le bulletin, mais l'avertissement précipitations. Du 29 mai au 2 juin, nous allons émettre neuf avertissements précipitations parce que l'on dépasse un certain nombre de seuils fixés dans nos tablettes, en liaison avec les services aval d'annonce des crues, le Schapi ou les services de prévision des crues (SPC).

Le lundi 30 mai, en début de matinée, nous avons commencé à mettre en vigilance orange pluies l'Île-de-France et un certain nombre de départements. Nous levons la vigilance orange le mardi, parce que considérons que nous arrivons à la fin de l'épisode de pluies remarquables. Mais le phénomène lui-même, son impact, ses conséquences prend la suite non plus avec la vigilance pluies-inondations mais avec la Vigicrues dont M. Marc Mortureux vient de parler.

Comme il s'agissait plus d'un cumul de pluies sur plusieurs jours que d'une question d'intensité instantanée, il n'y a jamais eu de dépassement des seuils qui justifiait, météorologiquement parlant, ni le week-end, ni le lundi, le passage à la vigilance rouge. Je le répète, l'aspect « crues » a été envisagé à partir du mardi, mais auparavant Météo-France n'avait pas considéré que l'on était dans un phénomène météorologique de nature rouge. C'est un problème de cumuls sur des sols saturés.

En dehors des avertissements pluies d'une part, et de la vigilance d'autre part, Météo-France a procédé à partir du 30 mai, avec son centre national de prévision ou avec les centres régionaux comme celui de l'Île-de-France qui couvre l'Île-de-France et le Centre, à des web conférences, audioconférences, etc. c'est-à-dire les outils qui sont régulièrement inscrits dans nos procédures de communication, avec le Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC), les centres opérationnels de zone (COZ) de Paris ou de l'Ouest, le Schapi, les SPC, pour faire partager l'information le plus largement possible, sans compter que les annonces de précipitations intenses font également l'objet de communications directes vers les collectivités locales concernées qui sont abonnées, ce service étant mis gratuitement à leur disposition par Météo-France.

Je tenais à expliquer comment nous avons vécu l'événement, comment nous l'avons vu venir, comment nous avons plus ou moins anticipé sa bonne dimension, et comment paradoxalement il s'est arrêté le lundi ou le mardi, pour laisser place aux conséquences en termes d'inondations. Nous étions mobilisés pour vérifier que de nouvelles pluies ne viendraient pas s'additionner au phénomène de crues rapides pour certains petits cours d'eau, ou de crues lentes comme celui de la Seine, que l'on a connu à partir de ces cumuls du week-end précédent.

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