Intervention de Emma Haziza

Réunion du 9 novembre 2016 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Emma Haziza, présidente du bureau d'études Mayane :

Je dirige un bureau d'études un peu particulier puisqu'il constitue un centre de recherche « action » au sein duquel travaillent des docteurs ayant soutenu des thèses sur la question du risque inondation. L'ensemble des aspects est ainsi abordé dès lors qu'ils sont susceptibles de concerner le risque, qu'ils soient réglementaires, psychosociologiques, hydrologiques ou météorologiques, etc.

Mayane comprend quatre départements.

Le premier traite principalement de la gestion des risques et des crises. Nous travaillons sur les plans communaux de sauvegarde et cherchons principalement à améliorer les méthodologies mises en oeuvre. Nous incitons nos interlocuteurs à ne pas s'appuyer sur le zonage réglementaire des PPRI en allant plus loin, par la prise en compte du ruissellement dans les zones endoréiques où convergent les eaux.

Nous tâchons de mettre en oeuvre des solutions opérationnelles, car un maire reste avant tout un décideur et a besoin de solutions pragmatiques, ce qui nécessite en amont une ingénierie complexe, mais très vulgarisée.

Le second département traite de la réduction de la vulnérabilité, donc de la prospective. Nous développons des méthodes novatrices dans ce domaine, qu'il s'agisse du bâti individuel, public ou collectif. Cette question connaît aujourd'hui un véritable engouement, alors que fort peu de méthodes sont concrètement mises en oeuvre.

Nous travaillons avec la ville de Nîmes, et nous sommes donnés pour cible un tiers de la population située en zone inondable et pour objet la qualification des travaux à mettre en oeuvre sur le bâti afin de permettre aux intéressés de continuer d'habiter dans ces zones. De fait, Nîmes ne va pas être rasée alors qu'une hauteur d'eau de deux mètres a parfois été atteinte. Il s'agit malgré tout d'empêcher l'eau de pénétrer ou, à tout le moins, faute d'autre solution, de permettre à la population de se protéger.

Toutes les méthodes de réduction de la vulnérabilité peuvent être créées, comme une zone refuge lorsque le niveau des eaux surpasse le bâti : faut-il encore que la personne puisse gagner la zone concernée. Aussi développons-nous une dimension organisationnelle, qui est essentielle.

À cette fin nous entrons chez les familles et échangeons avec la population ; nous cherchons à comprendre leur perception du risque. Nous avons d'ailleurs constaté une différence considérable entre les personnes ayant déjà vécu de tels évènements, en 1988 ou 2014, par exemple, et les personnes venant d'arriver sur le territoire, qui n'ont aucune perception de la dynamique de ce type de crues. Cet aspect est essentiel, et nous appliquons des méthodes psychosociologiques, car nous devons échanger avec des gens qui ont été sinistrés et traumatisés.

Notre travail revêt par ailleurs des aspects très techniques puisqu'il s'agit d'analyser le bâti ainsi que les hauteurs d'eau susceptibles d'y entrer, cela à l'échelle du bâti individuel. Nous tâchons ensuite de trouver les mesures adaptées et nous accompagnons les familles dans la mise en place de ces solutions, ensuite prises en charge par des financements adaptés, notamment par le truchement du fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), dit « Barnier ». À ce jour, nous avons réalisé plus de 600 diagnostics de maisons individuelles et plus d'une centaine de bâtis collectifs, notre objectif étant de 5 000 diagnostics.

La semaine dernière, je me trouvais à Montargis, avec le maire, M. Jean-Pierre Door ; cette ville a été sérieusement touchée par la crue du mois de juin 2016. J'ai notamment parcouru les rues ayant été les plus sinistrées où, aujourd'hui, la plupart des commerces sont toujours fermés. Il m'a été indiqué qu'un commerçant venait de rouvrir ses portes ; il avait reçu une indemnisation de 300 000 euros et contracté un prêt de 130 000 euros. Je lui ai demandé s'il avait reconstruit à l'identique, et, tout naturellement, il m'a répondu positivement. Je lui ai fait part de l'existence de solutions susceptible d'empêcher l'eau de pénétrer, ne fût-ce que des bâtardeaux, d'autant plus, qu'en juin 2016, la vitesse de l'eau n'était pas très rapide.

Si une nouvelle crue devait à nouveau survenir, ce qui est potentiellement possible, dans la mesure où aucuns travaux n'ont été réalisés sur le linéaire du Loing, les mêmes inondations seraient constatées.

C'est pourquoi cette question est essentielle, que ce soit pour le tissu économique ou le bâti individuel : il faut chercher à faire comprendre aux aménageurs que ces inondations doivent servir de leçon, comme une piqûre de rappel. De véritables synergies se mettent d'ailleurs en oeuvre sur le territoire national, dont le grand prix d'aménagement « Comment mieux bâtir en terrains inondables constructibles » constitue l'une des concrétisations. Toute la France n'a pas vécu les inondations de 1910, mais le bassin du Loing les a connues ; ces expériences doivent être autant d'occasions de reconstruire mieux.

Aujourd'hui, la science et la recherchent établissent des méthodes concrètes, permettant la mise en place de solutions existantes.

Le troisième département du cabinet Mayane se consacre à la communication, car il faut apprendre à communiquer sur les risques. Ainsi les degrés rouge ou orange, ou l'ensemble du dispositif Vigicrues sont très mal compris des populations. Pour enseigner depuis plus de dix ans dans les mastères spécialisés en hydrologie, je demande souvent à mes interlocuteurs s'ils connaissent Vigicrues : il y a encore deux ou trois ans, ce type de sites présents sur la Toile n'étaient pas connus.

Un travail de communication reste donc à conduire, qui passe par la diffusion des documents existants, chaque commune dispose d'informations relatives aux risques majeurs, censés rappeler les mesures à mettre en oeuvre. Il est impérieux d'établir un lien entre les politiques générales et la façon dont elles sont perçues et comprises par la population.

On évoque souvent les gestes adaptés à connaître, car ils doivent changer en fonction des aléas auxquels on se trouve confronté. Le comportement ne peut pas être le même si l'on est confronté à une submersion marine, à un risque de ruissellement ou de submersion des cours d'eau où l'on sait être situé en zone inondable. Il s'agit donc d'une réflexion que nous menons sur l'ensemble du territoire de la France métropolitaine.

Le quatrième département traite de l'éducation ; il a formé plus de 50 000 enfants au risque inondation dans le sud de la France, notamment dans des zones inondables. Un véritable travail d'information de la jeunesse et de la population doit être mené. Avec sept années de recul, alors que nous formons 15 000 enfants par an, du CE2 jusqu'à la cinquième, nous constatons que la connaissance du site internet Météo France dans les familles est remontée par ces jeunes.

Nous apprenons aux enfants à comprendre par eux-mêmes les images satellites, à comprendre ce que signifie une vigilance orange, chose qui n'est pas claire pour tout le monde, et les gens ignorent comment se comporter. Je conçois que, sur le plan scientifique, il est nécessaire d'établir des seuils, notamment afin de déclencher la phase de vigilance rouge. Mais une différence colossale existe entre le niveau hydrométéorologique atteint lors de la survenance du phénomène lui-même et la perception qu'en a la population.

Lors des inondations de Montpellier en 2014, deux évènements concomitants sont advenus. La première semaine dans un bassin urbain et très médiatisé, alors que seule la ville avait été touchée, et que seuls des effets de ruissellement s'étaient produits. La semaine suivante, un phénomène d'ampleur supérieure est survenu, la nuit, sur l'amont du bassin : 300 maisons ont été touchées, dont certaines ont été soulevées et se sont reposées de travers ; les dégâts ont été colossaux, fort heureusement il n'y a pas eu de victimes. Ce second événement n'a pas été médiatisé parce qu'il concernait principalement les linéaires principaux de cours d'eau.

Une réflexion globale s'impose donc, à l'échelon territorial au sujet de l'information transmise, des outils existants — et ils existent —, que ce soit dans le domaine de la gestion de crise, de la réflexion en amont sur une meilleure reconstruction de l'habitat. La perception par la population constitue un enjeu primordial, car des thèses ont démontré que l'imprudence humaine est à l'origine de la plupart des décès et accidents corporels. Un taux très élevé de personnes victimes trouvées dans leur voiture était propriétaire de véhicules 4X4, qui, se croyant en sécurité, sont entrés dans des zones inondables.

La question est donc bien celle de la perception, et ce travail doit être conduit avec la population ; c'est ce à quoi nous nous attachons au quotidien.

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