Mesdames les présidentes, Mesdames et Messieurs les députés, merci de votre invitation à venir m'exprimer devant vous. Je me suis exprimé plus de vingt fois devant le Parlement, mais je reviendrai aussi souvent que vous le souhaitez. C'est bien normal car l'Assemblée nationale, comme le Sénat, travaillent effectivement depuis des années sur ces sujets. Vous avez fait des propositions très importantes, que ce soit sous la forme de résolutions adoptées au sein de vos commissions respectives, ou sous celle de travaux parlementaires individuels ; votre implication est extrêmement forte, et c'est indispensable. Les sujets commerciaux sont maintenant plus qu'hier au coeur des préoccupations des Français, au coeur des préoccupations des Européens, et pas seulement. Il est donc important que la démocratie puisse s'exercer, à la fois au moment de la ratification des accords, mais aussi tout au long du processus ; j'y reviendrai.
Je me concentrerai, comme vous m'y avez invité, sur l'accord avec le Canada, mais je répondrai évidemment aux autres questions.
Vous le savez, les discussions se sont conclues à l'été 2014. Lorsque j'ai eu l'honneur d'être nommé, elles étaient déjà terminées – c'était à peu près concomitant. Depuis lors, tout un travail de mise en forme, de traduction du texte, s'est engagé, pour qu'il puisse être soumis aux parlements. Beaucoup de débats ont eu lieu ensuite, même ces dernières semaines.
Vous avez rappelé, Mesdames les présidentes, ce qui s'est passé en Wallonie, en Belgique, qui a conduit à reporter de quelques jours le sommet UE-Canada. Plusieurs points étaient soulevés par le Parlement wallon. Pour être tout à fait honnête, rappelons qu'il avait déjà soulevé ces objections il y a environ un an. Au mois de septembre 2015, pour la première fois, il avait énuméré un certain nombre de critères importants pour lui, mais, précisons-le, l'importante de ces critères avait également été soulignée par vous-mêmes, Mesdames et Messieurs les députés. Contrairement à ce qui a été affirmé, le parlement wallon n'a pas été le seul à faire son travail : le Parlement français n'a cessé de faire le sien. Je trouve extrêmement surprenant que toutes vos heures de travaux, vos nombreuses propositions concrètes soient ainsi balayées d'un revers de main. Les Wallons ont donc émis des objections dont beaucoup rejoignent des préoccupations que nous avons partagées. Ils ont en particulier travaillé sur la question de la ratification : que se passe-t-il si un parlement national ou, dans le cas de la Belgique, régional s'oppose à l'accord ? Et comment l'arbitrage privé est-il remplacé par un nouveau mécanisme ? Et qu'est-ce qui peut être fait en matière de clause de sauvegarde agricole, notamment en cas de déséquilibre sur les marchés ? Quelle sera la place des services publics une fois l'accord avec le Canada finalisé ? Sur aucun de ces points, le Parlement n'a manqué de vigilance ni ne s'est dispensé de travailler – pas plus, d'ailleurs, que le Gouvernement. Je fais partie de ceux qui ont considéré que la Wallonie soulevait ces objections de manière tout à fait légitime. Je ne suis pas de ceux qui s'en indignaient et estimaient que ceux qui ne voulaient pas voter dans tel sens n'avaient rien compris – et je suggère à tous ceux qui aiment l'Europe de ne pas choisir cette voie.
La démocratie doit vraiment être au rendez-vous tout au long du process européen. La difficulté à laquelle nous nous sommes heurtés, c'est que la Wallonie n'a été prise en compte que tout à la fin dans le processus de décision. L'honnêteté force à dire que beaucoup de problèmes, qui avaient suscité des objections convergentes, notamment de la part des sociaux-démocrates européens, avaient déjà été réglés, mais vu qu'à aucun moment la Wallonie n'a pu faire officiellement valoir ses droits, elle a ainsi demandé à disposer, elle aussi, de ce temps-là.
Soyons tout à fait honnêtes : l'accord n'a pas été réécrit à la suite de cet épisode, pas une ligne n'en a été modifiée. Les discussions n'ont été rouvertes qu'une seule fois, à la suite de la proposition française et allemande, devenue ensuite l'objet d'un consensus européen, de remplacer l'arbitrage privé par la Cour de justice commerciale internationale. Les Canadiens l'ont acceptée et c'est la seule fois que l'accord a été modifié sur le fond – c'était le 29 février dernier.
Nous avons beaucoup échangé à ce propos, vous connaissez le dossier parfaitement. Le Gouvernement français fut le premier à s'attaquer au scandale démocratique que constitue l'arbitrage privé tel qu'il existe aujourd'hui et à proposer – dans un premier temps devant le Parlement français, d'ailleurs – son remplacement par un nouveau mécanisme de cour de justice publique, respectant les règles de déontologie, respectant le droit des États à mettre en oeuvre des politiques publiques, des choix démocratiques, sans se voir traîné devant des tribunaux d'exception. La chronologie est parfaitement connue : débat devant le Parlement français au mois de décembre 2014 ; déclaration franco-allemande au mois de janvier suivant sur ce sujet ; déclaration commune des sociaux-démocrates européens au mois de février 2015 ; transmission de la proposition française au mois de juin 2015 ; acceptation, au mois de septembre suivant, de cette proposition par la Commission européenne, après qu'elle l'a légèrement retravaillée ; intégration de ce dispositif dans le CETA au mois de février dernier. J'y insiste un peu parce que vous m'avez invité à rappeler les faits.
Répétons-le : ce qui a été dit par le Parlement wallon rejoint parfaitement ce qui a été dit ici sur la nécessité absolue, dans l'avenir, de supprimer l'arbitrage privé et de le remplacer par ce nouveau mécanisme de cour. Nous souhaitons tous, à terme, une cour multilatérale de justice commerciale qui respecte la déontologie et le droit de la puissance publique et de la démocratie à mettre en oeuvre des politiques publiques. C'est donc un tournant important dans les relations commerciales internationales, qu'il faut saluer comme tel et, maintenant, conforter avec la position française, qui est claire : nous ne signerons plus de traités qui comportent de l'arbitrage privé. S'il peut encore être renforcé et amélioré, le modèle de cour qui a été établi est maintenant le nouveau standard.
De même, nous devons être animés par cette préoccupation démocratique tout au long des processus de négociation. Vous m'avez interrogé sur les questions d'application provisoire et de ratification. La France s'est engagée tout au long du processus, avec de nombreux partenaires européens, pour que vous ayez le dernier mot sur cet accord. J'avais pris cet engagement devant la Représentation nationale et, jusqu'au bout, je me suis engagé pour qu'il soit tenu. Avant l'été, du côté de la Commission européenne, la tentation existait toujours de revenir sur la mixité, contrairement à ce qui avait toujours été dit par l'ensemble des États membres, mais nous avons obtenu gain de cause. Il est donc clair aujourd'hui que c'est vous qui serez amenés à voter, et à dire oui ou non à cet accord ; c'est vous qui serez amenés à vous prononcer sur l'ensemble du traité. C'est là un acquis du Conseil des ministres chargés du commerce qui s'est tenu il y a trois semaines à Luxembourg. Si un parlement national rejetait cet accord, l'ensemble de l'accord tomberait, y compris les dispositions entrant dans le champ de l'application provisoire.
En matière de processus de ratification, c'est là un acquis très important, qui répond à la demande française et qui satisfait aux conditions posées par la Cour suprême allemande. Tel est l'état du droit, maintenant acté au niveau européen. Cela me semble apporter des garanties fortes quant au caractère démocratique de la validation de l'accord. C'est donc vous qui déciderez à la fin, par votre vote, selon un calendrier qui n'est pas encore établi. La Commission européenne va d'abord présenter le texte au Parlement européen. Une fois qu'il se sera prononcé, nous pourrons procéder à la ratification parlementaire nationale. Et le Parlement européen doit voter pour que l'accord puisse entrer en vigueur de manière provisoire ; c'est là un autre combat dans lequel nous nous sommes beaucoup engagés. Ce n'est pas écrit dans les traités, mais nous avons souhaité qu'il y ait ce verrou démocratique au niveau européen avant l'application provisoire. Ensuite, je le répète, c'est à vous que l'accord sera soumis.
Vous avez parfaitement raison, Madame la présidente de la commission des affaires européennes : le grand nombre de parlements devant se prononcer rend tout cela extrêmement aléatoire. Pour l'avenir, il nous semble extrêmement important de réfléchir aux processus de ratification. Comment impliquer les parlements nationaux bien plus en amont, comment associer les parlementaires aux négociations ? Je suis effectivement favorable à une association des parlements à la conduite même des négociations. C'est possible aux États-Unis : les membres du Congrès peuvent prendre part au processus de négociation. Bien sûr, il faut déterminer les modalités d'une telle association, car nous n'allons pas mettre 200 parlementaires représentant tous les pays de l'Union autour de la table – cela ne fonctionnerait pas –, mais, d'une manière ou d'une autre, les parlements, européen comme nationaux, doivent être présents aux négociations pour qu'en permanence un regard démocratique soit porté sur ces sujets qui concernent la vie de tous les jours des gens. Il faut donc progresser en cette matière comme sur la transparence. Vous connaissez la position française sur ce sujet, qui est de faire de l'open data. Le Président de la République a accepté d'intégrer cette idée dans les propositions pour l'open governement, grande initiative internationale sur la transparence de la puissance publique. Voilà donc où nous en sommes sur ces aspects-là.
Sur le fond, vous le savez, l'analyse du Gouvernement est que cet accord est positif. Tout d'abord, la réciprocité est au rendez-vous, et notre agriculture bénéficie d'une reconnaissance importante. Ensuite, c'est le premier accord qui prévoie une cour de justice commerciale internationale – ce n'est pas un accord qui repose sur l'arbitrage, contrairement à ce qu'on a pu lire. Le Gouvernement a salué ces résultats, mais c'est maintenant à vous qu'il revient d'apprécier si cet accord mérite d'entrer en vigueur.
Les négociations du TiSA réunissent pour leur part vingt-trois pays et entités – je pense notamment à l'Union européenne. C'est un enjeu important pour notre pays, compte tenu de l'expertise française et du fait que notre pays est excédentaire dans le secteur des services. Nous en attendons évidemment des règles claires et un accès amélioré à l'exportation. La vingt et unième session a débuté le 2 novembre dernier. Les négociations sont donc en cours. Souhaitant la transparence, nous avons salué la publication du mandat le 9 mars 2015, mais tout ce qui a été dit sur la transparence dans les négociations du TTIP, du CETA, etc., vaut pour l'ensemble des négociations commerciales, sauf exception dûment justifiée, liée à la sécurité nationale ou autre considération de ce type. Nous avons des intérêts offensifs très importants dans les transports maritimes et aériens, les services financiers, les services postaux, mais nous restons extrêmement exigeants car très vite, quand on discute de services, les choses peuvent déraper, des brèches peuvent être ouvertes, qui compromettent un certain nombre de principes qui nous sont extrêmement chers. Nous sommes donc particulièrement attentifs aux questions des services publics, des services audiovisuels, et des domaines y sont liés ; c'est là une constante de la diplomatie française, sur la plupart des points concernés, par-delà les alternances. Voilà où nous en sommes.
Évidemment, je suis à votre disposition pour apporter davantage de précisions si vous le souhaitez. Vous êtes nombreux à participer au conseil stratégique des politiques commerciales, que je réunis régulièrement au Quai d'Orsay, pour rendre des comptes aux parlementaires, aux syndicats, aux organisations non gouvernementales (ONG), aux fédérations professionnelles, précisément pour mener ce travail d'explication et d'appropriation tout au long des processus de négociation.
Il est effectivement possible que l'accord avec le Canada, comme d'autres textes internationaux, soit soumis à un référendum aux Pays-Bas. La décision appartient aux autorités néerlandaises, et nous n'avons pas à en juger. Il est cependant vrai que la diversité et le nombre des procédures de ratification font peser un risque sur tout texte soumis à une approbation parlementaire ou référendaire, d'où cette proposition française, que je vous présente aujourd'hui, d'une association très en amont des différents parlements, d'une association permanente des représentants démocratiques, des élus à l'ensemble de ces processus de négociation.
Je suis à votre disposition si vous souhaitez plus de précisions. Merci, en tout cas, d'être venus si nombreux m'écouter m'exprimer sur ces sujets ; votre implication atteste de leur importance.