Intervention de Olivier Meneux

Réunion du 9 novembre 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Olivier Meneux, directeur du projet Médicis-Clichy-Montfermeil :

Je vous remercie infiniment de me donner l'occasion de présenter ce grand projet culturel national et d'en débattre avec vous.

L'établissement public de coopération culturelle (EPCC) – intitulé qui en dit déjà long sur la forme prise par cette aventure et sur son ambition – n'existe que depuis un an. Nous avons opéré volontairement à bas bruit ; nous sommes engagés dans un temps de travail long et âpre. Nous avons d'abord établi un diagnostic, préalablement à la création de l'EPCC. Puis nous avons travaillé, pendant un an, à la structuration du projet. Il est désormais temps de le lancer. Cette audition coïncide donc avec le passage à la deuxième phase du projet.

Avant de présenter les axes de développement et les priorités du projet, je reviens sur son origine.

Nous sommes dans une situation géographique particulière. Il n'est pas habituel, dans les politiques culturelles françaises, d'envisager un projet d'envergure nationale hors des murs de Paris. Nous nous situons à Clichy-sous-Bois et Montfermeil, dans le nord-est de la région parisienne. Chacun d'entre vous connaît bien, parfois pour de tristes raisons, les particularités de ce territoire. Fortement enclavé, marqué par une relégation absolue, il se voit renvoyé à une assignation supplémentaire depuis les émeutes de 2005 : il est soudain devenu le territoire de la violence sociale. Il ne l'est pourtant pas plus qu'un autre, mais les dispositifs médiatiques produisent, on le sait, de la représentation et de l'assignation.

Le fait que le ministère de la Culture et de la Communication ait décidé, en 2014, de relancer, précisément en ce lieu, ce projet dédié à la jeune création, à l'émergence artistique et culturelle, à la transmission et à l'éducation artistique est donc plus qu'un symbole. Mais c'est aussi une volonté de réinventer ce qui fonde l'intervention publique en matière culturelle et, en termes d'aménagement, de ne pas situer les pôles fondamentaux que constituent les grandes agences et les grands établissements publics nationaux uniquement dans le centre des métropoles, principalement à Paris. On parle donc bien d'un établissement national situé en bordure du Grand Paris.

Le projet est né en 2007-2008 de la volonté de MM. Claude Dilain et de Xavier Lemoine, maires respectivement de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil. Après l'assignation sociale tragique faite à leur territoire à la suite des émeutes, ils ont considéré que la culture pouvait avoir pour effet de retourner cette image, de donner un rayonnement nouveau à ce territoire, de contribuer à sa réinvention.

Il s'agissait pour eux d'aller au-delà de la politique de la ville. Rappelons que ce territoire est en rénovation urbaine permanente depuis le début des années 2000, plus fortement encore à partir de 2008 avec le lancement d'un des plus grands plans de rénovation urbaine, et à nouveau depuis un an avec la rénovation de la cité du Chêne-Pointu dans le cadre du deuxième plan national de renouvellement urbain (PNRU 2). On est donc depuis quinze ans dans la rénovation des bâtiments, c'est-à-dire aussi dans la poussière. Cette réhabilitation urbaine est nécessaire, mais on voit bien que, dans les politiques de l'État à l'égard de ce territoire – elles sont parfois trop en « silos » ; je sais que vous plaidez pour l'interministérialité et la convergence des politiques publiques –, la logique de réparation l'a emporté sur toute autre.

Les maires des deux communes ont donc décidé de mettre la culture et l'éducation sur le devant de la scène, en considérant qu'elles pouvaient être, elles aussi, des éléments de reconstruction du territoire. À ce moment-là, l'État, dans un premier geste, par l'intermédiaire du ministre de la Culture et de la Communication, M. Frédéric Mitterrand, a considéré que l'on pouvait aussi, pourquoi pas, bâtir à Clichy-sous-Bois et Montfermeil un centre Pompidou, un musée du Louvre ou une Villa Médicis, en tout cas implanter dans ce quartier de la République un lieu de référence pourvu d'un identifiant culturel majeur, de portée nationale. L'État s'est alors doté d'un équipement en achetant la tour Utrillo, située au coeur du quartier des Bosquets. Finalement, le projet n'a pas abouti, mais le coup était parti, si j'ose dire.

En octobre 2014, la nouvelle ministre, Mme Fleur Pellerin, a relancé l'initiative en me confiant une mission de réflexion stratégique : elle m'a demandé de réfléchir aux conditions d'élaboration de ce projet pour le XXIe siècle, en abordant des questions tant locales que nationales. Le projet a été confirmé par Mme Audrey Azoulay à son arrivée rue de Valois, non seulement avec la création de l'EPCC en décembre 2015, mais aussi avec l'attribution d'un certain nombre de missions que je vais vous exposer.

Quelles sont les ambitions de ce projet ?

J'ai parlé d'un temps long. Pourquoi a-t-on fixé 2024 comme date cible ? Parce qu'il faut du temps pour créer un projet culturel et permettre aux politiques d'évoluer. Il faut le temps de l'appropriation, de la construction, de l'élaboration. L'émergence des grands projets, de la Cinémathèque française ou de la Philharmonie de Paris, entre autres, a été aussi longue, voire plus longue. Vous avez débattu de ces projets au sein de la représentation nationale bien avant qu'ils n'émergent. Parfois, ils ont connu quelques périodes chaotiques.

Il a été décidé que ce territoire méritait que ce laboratoire s'implante dès sa phase de préfiguration. Le projet cible ne pourra émerger en 2024 que si nous prenons le temps de réfléchir localement sur son implantation, de dialoguer avec les habitants et les parties prenantes, notamment les établissements publics culturels nationaux.

Nous avons aussi choisi 2024 parce que, à cette date, le territoire sera relié au Grand Paris. Actuellement, je l'ai dit, le territoire est enclavé, et la « zone d'expression » du projet, qui s'étend à moins de vingt minutes de son centre d'activité, comprend environ 60 000 habitants. En 2024, cette zone d'influence n'en comptera pas moins de 800 000, puisqu'une gare du Grand Paris Express sera implantée au pied même du projet Médicis-Clichy-Montfermeil. Pendant la durée des travaux, nous aurons donc un laboratoire de préfiguration, puis, en 2024, le rayonnement deviendra francilien au premier abord, mais au-delà il sera national. Je vais en permanence vous parler de ces trois cercles : nous construisons à l'échelle locale, nous pensons à l'échelle du Grand Paris, nous nous projetons à l'échelle nationale. Cette structuration en trois temps et en trois espaces est essentielle dans l'élaboration du projet.

Ce projet national est important du point de vue de la convergence des politiques publiques. Nous sommes, je l'ai dit, dans un territoire de la politique de la ville qui, actuellement, est pensé uniquement dans le cadre d'une approche en silos. Or, on ne peut pas bâtir un projet ambitieux au coeur de la République, dans un quartier de la relégation, sans dialoguer avec nos homologues de l'Éducation nationale, de la médiation sociale et culturelle, de l'éducation et de la transmission, mais aussi du développement économique. L'éducation et la culture, en particulier, doivent absolument s'allier et faire « bon ménage ». Il s'agit bien d'un projet culturel et artistique qui porte au coeur de son ambition la jeune création et l'émergence artistique, mais aussi la problématique de la transmission. La Seine-Saint-Denis est l'un des territoires les plus jeunes de France ; Clichy-sous-Bois Montfermeil est le territoire le plus jeune de la Seine-Saint-Denis.

Pourquoi monter ce projet de la sorte ?

En 2024, la tour Utrillo sera démolie et une gare du Grand Paris Express sera édifiée. Ce territoire sera relié tout d'un coup : il suffira alors de 25 minutes en transports en commun pour se rendre dans le centre de Paris, contre une heure et demie aujourd'hui, et de 10 minutes pour rejoindre les principales gares du Grand Paris Express. Ce territoire va donc changer totalement de visage et de perspective. Il va connaître un tournant en termes de développement économique et de construction.

Actuellement, il n'y a pas de grand équipement culturel dans le nord-est de la région parisienne. Il y a une scène conventionnée à Tremblay-en-France ; il y en avait une précédemment au Blanc-Mesnil. La Seine-Saint-Denis mène, on le sait, une politique culturelle très active, mais ses équipements culturels sont, malgré tout, situés au bord du périphérique et particulièrement tournés vers Paris. Peu d'équipements sont situés au coeur de ce qu'on peut encore appeler la banlieue.

Dès lors, avec l'adjonction d'une gare et d'un équipement majeur, notre ambition est de créer une porte culturelle du Grand Paris.

Pourquoi une ambition sur site dès maintenant ?

Premièrement, parce qu'en souhaitant sortir ce territoire de sa relégation, on va construire, pendant les dix ans que vont durer les travaux, encore plus de relégation ou de ghettoïsation. La volonté politique, nationale et territoriale, est majeure pour ce territoire ; la construction de la gare et du tramway, le renouvellement urbain sont des projets magnifiques, mais ils vont aussi bloquer le territoire, qui n'est desservi que par deux voies d'accès principales. Les travaux d'excavation préalables à la construction de la gare, par exemple, vont se traduire par le passage d'un camion semi-remorque rempli de terre toutes les huit minutes pendant six mois ! Il faut donc penser ce temps-là aussi.

Je vous fais part d'une anecdote. Lorsque nous avons relancé le projet avec la ministre de la Culture Fleur Pellerin il y a un an, j'ai rencontré un enfant de douze ans, qui s'émerveillait de ce nouveau déplacement de ministre à Clichy-sous-Bois et à Montfermeil et m'a demandé ce que nous allions faire. Je lui ai expliqué que, dans huit ans, là où il se trouvait, il y aurait une gare et, peut-être, un équipement culturel – à l'époque, nous n'en étions pas aussi sûrs ; aujourd'hui, nous sommes véritablement lancés. Il m'a répondu : « Ce n'est pas pour moi, monsieur : en 2024, j'aurai 22 ans. » Puis il s'est tourné vers son petit frère ou son cousin de 8 ans et lui a dit : « En revanche, ce sera pour toi. »

Ainsi, la politique publique de reconstruction correspond au temps d'une génération ; ces huit ans, il ne faut pas les oublier. C'est une des raisons pour lesquelles nous constituons ce projet dès à présent. Il s'agit non pas de répondre à une urgence culturelle, mais de bâtir dès maintenant une première réponse.

Deuxièmement, il est nécessaire de le faire parce que, pour un tel projet national, il faut prendre le temps de penser hors des cadres, c'est-à-dire hors de nos labels, de nos prescriptions, voire de nos conservatismes. Les politiques publiques doivent se renouveler. C'est le temps long que j'ai déjà évoqué tout à l'heure.

Comment allons-nous travailler ?

Lors de la création de l'EPCC en décembre 2015, notre ambition a d'abord été de développer le partenariat le plus large, d'obtenir l'adhésion territoriale la plus grande. L'État s'est fortement engagé, ainsi que l'a rappelé la ministre de la Culture et de la Communication hier devant vous. Mais un projet de cette envergure ne peut pas se réaliser sans coopération, sans ambition partagée. D'ores et déjà, les deux communes de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil, qui avaient manifesté à l'origine le désir d'un projet, et l'établissement public territorial Grand Paris-Grand Est de la métropole se sont impliqués dans le projet.

Pendant toute cette année, nous avons travaillé avec toutes les autres collectivités qui n'avaient pas eu le temps d'adhérer au projet lors de son lancement. Sans me prévaloir des décisions qui seront prises par leurs assemblées délibérantes, je peux vous annoncer aujourd'hui que la région Île-de-France, le département de la Seine-Saint-Denis, la métropole du Grand Paris et la ville de Paris souhaitent rejoindre cette aventure. Forts de la volonté de tous ces territoires, nous allons passer à une « version 2 » du projet d'ici au début de l'année 2017. Rappelons néanmoins que l'ambition de l'État reste prégnante dans ce dossier.

Bâtir un projet culturel en 2017, c'est d'abord se poser la question de la jeunesse et de la transmission. Tout au long de son histoire, le ministère de la culture a évidemment nourri une ambition forte en matière de création artistique : les artistes sont au coeur des dispositifs d'intervention. Il ne m'appartient pas de le remettre en question, ni à titre personnel, ni à titre professionnel, mais il semble que, trop souvent, la transmission et l'éducation artistique soient considérées par bon nombre de professionnels, sinon comme un alibi, du moins comme une forme secondaire d'intervention. Or, un État qui se veut fort en matière culturelle doit penser la création et la transmission comme les deux axes fondateurs de sa politique publique.

À mon sens, ce projet est l'un des premiers dans lequel l'acte de création et l'acte de transmission seront considérés comme deux pans essentiels et consubstantiels à sa construction. D'abord, parce que le territoire sur lequel il s'implante est jeune, je l'ai dit, mais, surtout, parce que les nouvelles générations d'artistes n'interviennent plus aujourd'hui sans se poser les questions de leur rapport au territoire et au public, de la transmission et de l'accompagnement des publics. Il ne s'agit évidemment pas de réduire l'acte créatif à un simple instrument, mais il faut aussi savoir demander ou commander des actes d'intervention sociale aux artistes et aux équipes artistiques. Ils sont d'ailleurs tout à fait volontaires en la matière.

Dès janvier 2017, nous allons monter une quinzaine de résidences artistiques sur site, avec quinze modes d'expression différents. Pendant un an, ces artistes vont travailler sur leurs oeuvres, en résidence, selon un schéma assez classique – il est même défini dans des circulaires. Mais, en sus, nous allons leur demander de mener une réflexion commune sur le thème de l'espace public, du déséquilibre dans l'espace public et de la manière de vivre dans cet espace public. L'année prochaine, nous travaillerons peut-être sur la question de la traduction au sens large, non seulement du point de vue linguistique, mais aussi du point de vue anthropologique, notamment sur le problème crucial des catégorisations et de l'assignation. Pendant dix ans, nous allons former, avec ces artistes, un répertoire de réflexion qui nourrira le projet et son ambition culturelle. Cela se fera dans le cercle local, mais ces artistes sont des « artistes-monde » : il ne s'agit pas simplement de confier des projets à des artistes issus d'un territoire donné ; ce sont des artistes que nous repérons dans un cadre de jeune création et d'émergence artistique.

Le deuxième axe du volet création est dédié à la jeunesse et à la transmission, avec un appel à candidatures intitulé « Création en cours », lancé par les ministères de la Culture et de l'Éducation nationale. Il s'agit du premier dispositif en matière de professionnalisation des jeunes artistes. Pour les nouvelles générations issues des écoles supérieures « culture », on le sait, l'accès au marché de l'art, aux représentations, aux institutions, aux dispositifs de soutien, à tout ce qui forme le champ de l'intervention publique et privée en matière culturelle, est souvent délicat. Dans le cadre de « Création en cours », 100 artistes seront accueillis en résidence dans 100 écoles et collèges de la République – il s'agit donc, par définition, d'un projet national. Il leur sera proposé de travailler avec nous à des formes de création et de recherche.

Par ailleurs, à l'image de la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR), dont la mission photographique a révolutionné la commande publique en la matière et nourri, pendant trente ans, nos regards et nos représentations sur l'évolution de la France, au-delà même du champ culturel, nous allons commander chaque année, pendant dix ans, une recherche spécifique à une dizaine de photographes sur les mutations du Grand Paris.

Ainsi, dès 2017, tout en étant un établissement de préfiguration, nous allons accompagner près de 150 équipes artistiques dans des projets de recherche et de création, tous tendus vers la question de la mutation urbaine, de la transmission, de l'accompagnement des regards. L'ensemble de ces protagonistes, chercheurs et créateurs, nourriront au quotidien le travail de l'équipe projet qui est chargée d'élaborer le projet scientifique et culturel pour 2024. Le lieu que nous bâtissons aujourd'hui n'est donc pas le lieu cible de 2024, qui sera beaucoup plus ample et ambitieux.

Le calendrier du projet, monsieur le président, est relativement complexe. Nous avons diagnostiqué en 2015, nous avons élaboré en 2016, nous lançons en 2017. En 2018, nous ouvrirons une maison du projet, une « maison-balise », si je puis dire, de près de 1 000 mètres carrés, qui sera un lieu d'expression et un le lieu de rencontre avec les habitants et les différents publics. Entre 2018 et 2021, nous continuerons cette politique culturelle, tout en bâtissant notre projet scientifique et culturel, dont l'ambition est double, vous l'avez compris : transmission et création.

La perspective est celle d'un équipement francilien majeur pour la création, la transmission et la diffusion – en cela, nous dépassons sans doute le projet d'une Villa Médicis. Actuellement, je le répète, il n'y a pas de grand équipement culturel au nord-est de l'Île-de-France. Notre cahier de prescriptions cite un certain nombre de fonctions cibles pour 2024 : un plateau d'art contemporain, qui accueillera vingt à trente artistes par an ; sans doute une école de la deuxième chance ; sans doute une université populaire et, également, un projet dédié à l'enseignement supérieur artistique. Pour le bâtiment, nous nous orientons vers un espace de 17 000 à 25 000 mètres carrés.

Nous allons étudier tout cela au cours des 18 mois qui viennent. J'aurai l'occasion, je l'espère, de venir vous présenter le fruit de notre réflexion stratégique. Nous pensons que, d'ici un an et demi, l'ensemble des conditions seront réunies, avec tous les partenaires publics engagés dans l'EPCC, mais aussi, demain, des partenaires privés – je sais que la question du mécénat vous tient à coeur. Je ne peux malheureusement pas vous en donner la liste aujourd'hui, car ce travail est en cours. Sachez simplement que nous dialoguons avec plusieurs partenaires potentiels et que de grands mécènes, notamment des fondations – Orange, Total, Bettencourt Schueller –, souhaitent rejoindre et accompagner le projet. J'aurai le plaisir d'annoncer les conclusions de ces discussions d'ici quelques semaines.

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